Le peuple algérien se prépare à occuper la rue demain pour le quatorzième vendredi consécutif de grandes manifestations, plus que jamais déterminé à faire aboutir les revendications qu’il adresse sans être entendu au chef d’état major de l’armée qui exerce, depuis la démission de Abdelaziz Bouteflika, les fonctions suprêmes à la tête de l’Etat et de l’armée.
Ce sont pourtant des revendications légitimes consistant à laisser le peuple algérien organiser lui même la transition et le processus électoral, en en confiant la mise en œuvre à des personnalités en qui il a confiance.
Il ne s’agit pas d’une hérésie politique puisque la constitution, au titre de ses articles 7 et 8, l’autorise expressément. C’est une demande que Gaïd Salah se devait de satisfaire dès sa formulation. environ deux semaines après la démission de l’ex président de la république, mais il s’est toujours dérobé à cette éventualité, même si dans un de ses premiers discours il avait déclaré être dû côté du peuple.
Le chef d’état major ayant choisi de préserver le système politique en place depuis l’indépendance du pays plutôt que sa patrie, a choisi d’aiguiller le peuple insurgé contre les dérives du régime de Bouteflika, vers l’article 102 de cette même constitution, parce qu’il lui offrait la possibilité de contrôler la transition et de la diriger selon son bon vouloir, en la confiant à des hommes proches du président déchu, connus pour leur docilité et leur virtuosité dans l’art de trafiquer les élections.
Les manifestants ont beau manifester massivement plusieurs semaines durant pour exiger le départ de ces hommes, Ahmed Gaïd Salah a toujours refusé de les écouter. Le chef de l’Etat par intérim, le premier ministre et le président du Conseil Constitutionnel sont toujours à leurs postes, avec la ferme intention d’organiser le scrutin présidentiel à la date fixée par la constitution, à savoir, le 04 juillet 2019.
Pour cette 14é sortie qui se déroulera ce 24 mai à travers tout le territoire national, le peuple algérien sera sans doute cette fois encore face à un commandement militaire aussi autiste qu’autoritaire, un chef d’Etat et un premier ministre muets et des forces de l’ordre de plus en plus nerveuses et enclines à jouer de la matraque et du gaz lacrymogène.
En pleine montée des températures de saison et d’observance du ramadan, les manifestants auront du mal à maîtriser leurs nerfs, ce qui peut faire craindre l’apparition de violences jusque là évitées malgré les dérives policières et les manipulations tentées sur les réseaux par des « mouches électroniques » recrutées à cet effet.
L’autre crainte pour ce vendredi vient de la montée d’adrénaline provoquée par la réapparition des leaders des 4 partis de l’ex alliance présidentielle ( Ahmed Ouyahia, Djemai, Amara Benyounes, Amar Ghoul) qui ont déclaré, à grands renforts médiatiques, soutenir le discours et la feuille de route d’Ahmed Gaid Salah.
Le soutien apporté par ces personnes qui, pour le peuple, symbolise la « Ayssaba » qu’il dénonce depuis le début du Hirak, correspond à une sournoise volonté de Gaïd Salah, d’aller avec ces partis honnis vers un 5é mandat sans Bouteflika, mais avec un autre homme désigné, comme d’habitude, par l’état major militaire. Le peuple est fermement décidé à s’opposer à cette issue en utilisant toutes les voies légales et pacifiques possibles (grèves, marches, blocages des bureaux de vote, désobéissance civile etc.).
Les manifestations de ce vendredi est donc capitale et le commandement militaire n’a vraiment pas intérêt à la considérer avec cette désinvolture qui a toujours été la sienne jusque là.. Les événements pourraient cette fois lui échapper et prendre une tournure incontrôlable. D’où la nécessité d’abandonner sa feuille de route têtue qui ne fait plus recette aujourd’hui, pour entamer, aussi tôt que possible, un dialogue avec des personnalités mandatées par le Hirak. Ce ne sont pas les élites respectées et compétentes qui manquent.
La seule difficulté, mais tout à fait surmontable, pourrait provenir de la trop grande ampleur et de la diversité sociologique du mouvement. Une conférence regroupant le maximum d’acteurs du Hirak pourrait, nous en sommes convaincus, dégager en peu de temps, les représentants habilités à négocier avec l’état major de l’armée la feuille de route et les garanties afférents à cette transition,telle que voulue par le peuple.
Autant d’espoirs auxquels s’accrochent inlassablement les manifestants que 13 vendredis et jours de semaines de marches et de confrontations musclées avec les forces de l’ordre, n’ont pas pu épuiser, tant l’espoir de changer positivement le destin du pays est grand.