L’historien spécialiste du mouvement national et enseignant d’Histoire à l’université d’Alger, Mohamed El Korso, s’est exprimé sur la suppression du ministère des Moudjahid. L’historien a expliqué pourquoi la suppression de ce département ministériel « ne peut être envisagée pour le moment » et objectivement impossible ».
« Dire que la nation est redevable envers nos glorieux chouhada et valeureux moudjahidine, c’est peu dire. Ils ont payé le prix fort. Ils méritaient et méritent que leurs souffrances soient allégées, que nous les protégions, que nous leur apportions toute l’attention demandée », a indiqué Mohamed El Korso dans un entretien accordé au quotidien Liberté de ce mercredi 2 décembre 2020. L’historien a répondu à la question : « Êtes-vous pour la suppression de ce ministère, comme le suggèrent certains ? »
« Mais continuer à parler d’ayants droit pour ceux qui ont au minimum 70 ans, cela relève d’un autre âge, sans aucun jeu de mots. Les temps ont changé. Il faut bien en prendre acte. Faut-il supprimer ce ministère dans l’immédiat ? Je n’irais pas jusque-là. Ce sera d’ailleurs objectivement impossible », a-t-il expliqué.
« C’est un fait que ce ministère est budgétivore, ne serait-ce que par le nombre de ses fonctionnaires et toute la logistique qu’il mobilise. Il a été question dans un passé pas très lointain de le rattacher à la chefferie du gouvernement. Devant la violente levée de boucliers de la « famille révolutionnaire », le projet a été retiré », a-t-il rappelé.
« Bien qu’à long terme, il faille bien passer par là ; sa « suppression » ne peut être envisagée pour le moment, » et ce, a-t-il expliqué, pour trois raisons. « Ce ministère a toujours été, et le sera pour quelque temps encore, une carte politique entre les mains des différents régimes », a-t-il dit en ajoutant que « deuxièmement, de nouvelles missions d’ordre historico-politique, comme avancé précédemment, viennent de lui être confiées » et enfin, « alors qu’il s’appelait ministère des Moudjahidine seulement, il s’appelle désormais ministère des Moudjahidine et des Ayants droit. »
Autrement dit, a ajouté Mohamed El Korso, « cela signifie qu’il s’inscrit dans la durée. Il survivra au dernier moudjahid et continuera à prendre en charge les ayants droits des ayants droits dans une espèce de continuum sans fin. »
Le département des Moudjahidine est critiqué par le fait qu’il bénéficie dans le cadre des Loi des Finances d’un budget plus gros que ceux de secteurs considérés stratégiques tels que l’agriculture, les ressources en eau…
A ce propos, l’historien Mohamed El Korso a rappelé que « ce n’est pas la première fois que cela arrive ». « Dans la LF 2000, le budget alloué au ministère des Moudjahidine dépassait celui des secteurs névralgiques pour le développement du pays et la construction de la démocratie comme la justice, les travaux publics, les transports, la santé, sans parler de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. »
« Ce qui pose problème, c’est la part consacrée à la santé qui souffre cruellement en ces temps de pandémie de Covid-19, non seulement d’infrastructures, mais plus grave encore, de moyens basiques comme l’oxygène, le gel hydroalcoolique, les moyens de protection (masques, blouses et sur-blouses…) », a-t-il expliqué en ajoutant que « e constat dénoncé depuis l’apparition de la pandémie en mars par d’éminents professeurs, et non des moindres, n’a pas trouvé un écho favorable auprès des décideurs. La notion de priorité stratégique – parce que c’est le cas — n’a, malheureusement, pas été respectée. »
Pour rappel, le ministère des Moudjahidine et des Ayants droit a bénéficié d’un budget de fonctionnement de 235 milliards de dinars dans la loi de finances 2021 adoptée à l’Assemblée populaire nationale (APN), le 17 novembre dernier.
Interrogé sur les missions actuelles du ministère des Moudjahidine, au-delà du versement des pensions des ayant-droits, Mohamed El Korso a expliqué que « la mission dévolue à ce ministère depuis 1962 a évolué avec le temps. » « Il fallait inventorier les chouhada et les chahidate, les moudjahidine et les moudjahidate, mettre en place des structures pour préserver la mémoire du peuple combattant, telles que le Musée national du moudjahid et des musées par wilaya, le Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954, etc. », a-t-il rappelé, ajoutant qu' »en parallèle, et c’était le plus urgent, prendre en charge les victimes de la Révolution, qu’il s’agisse des ayants droit des chouhada ou des moudjahidine eux-mêmes. »
« Depuis une année, de lourds dossiers comme celui des disparus, des archives, des indemnisations des victimes des essais nucléaires ont été confiés à ce ministère qui sont, en même temps, du ressort du Conseiller chargé auprès la présidence de la République des archives et de la mémoire », a-t-il précisé.