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Le développement des ressources humaines en Algérie : coûts de non efficacité

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Peu de thèmes réunissent autant de consensus que celui qui a trait au rôle et à l’importance du développement humain dans les « Succès Stories » des entreprises et des pays développés ou émergents. Le dénominateur commun de ces réussites consiste à recruter les meilleurs éléments, les développer sans cesse, les maintenir super motivés et utiliser d’une manière optimale leur force de travail mais surtout leur intelligence. Les deux facteurs clés du succès et de la réussite des firmes et des nations demeurent l’intelligence humaine et l’information. Cette partie traite des aspects quantitatifs et qualitatifs du développement humain en Algérie. Elle montre, chiffres à l’appui, que les ressources nationales allouées au développement humain, de même que son management qualitatif, sont loin d’être satisfaisants. Cela explique, en grande partie, la faiblesse et la stagnation de la productivité dans notre pays. Si des correctifs en profondeur ne sont pas apportés rapidement, même des politiques macroéconomiques qui visent l’offre seront vouées à l’échec, sans parler des politiques de demande qui n’ont jamais produit de résultats dans les pays en voie de développement. Il nous faut donc adresser les véritables priorités : le développement humain, la modernisation technologique et managériale ainsi que le financement d’une économie productive efficace et diversifiée.

A elle seule, la revente des équipements d’une entreprise (immeubles, brevets, usines etc.) permettrait d’obtenir à peu près une valeur neuf fois inférieure à sa capitalisation boursière (valeur de l’entreprise en bourse). La différence constitue surtout la valeur de ses ressources humaines. On peut aussi se référer aux études empiriques pour apprécier la valeur d’un personnel compétent et motivé. Les études économiques montrent qu’au sein des entreprises d’un même pays, le volume en termes de capital et de main-d’œuvre utilisée explique à peu près 60% de la production. Lorsqu’on fait la comparaison entre les pays, ce taux tombe à 40%, ce qui implique que 40 à 60% de la production de biens et de services dans les économies actuelles ne s’expliquent pas par la quantité de capital et de travail incorporée (la fameuse fonction de production). Les deux facteurs communément avancés pour expliquer ces résidus demeurent la qualité des ressources humaines et les modes de management utilisés.

Nous avons là une piste intéressante qui expliquerait pourquoi le taux d’utilisation des capacités existantes hors hydrocarbures s’est situé depuis le début des années 1970 jusqu’à aujourd’hui entre 45 et 55%. Les caractéristiques fondamentales du management des ressources humaines peuvent également nous éclairer sur les différentiels de performance que nous avons vis-à-vis de pays infiniment plus pauvres que nous en ressources naturelles. En 1964, le PIB de l’Algérie était légèrement supérieur à celui de la Corée du sud. En 2015, alors que notre PIB se situe autour de 170 milliards, celui de la Corée frôle les 1400 milliards de dollars. En période normale, le taux d’utilisation des capacités avoisine les 95% en Corée du sud.

En Algérie, les analyses macro et microéconomique révèlent trois mythes qu’il faut absolument remettre en cause, circonscrire et dépasser pour espérer dégager des améliorations substantielles. Le premier consiste à dire que l’Algérie est un pays qui dépense quantitativement beaucoup pour le développement des ressources humaines. Le second stipule que nous formons des ressources humaines de qualité puisque nombreux sont ceux qui réussissent à l’étranger. Et le troisième consiste à dire que tout est perdu puisque la refonte des qualifications humaines nécessite des décennies voire plus d’un siècle. Pour le volume des dépenses, nous avons les statistiques de l’UNESCO et de plusieurs organismes internationaux. La France, les USA et la Corée du Sud dépensent plus de 6% de leur PIB pour les divers secteurs de l’éducation. Si on incluait les dépenses privées, on arriverait facilement à 8%. L’Algérie consacre 4,5% à 5% de son PIB à l’éducation. Ainsi, ces pays dépensent au moins 15 fois plus que nous pour chaque élève ou étudiant, en termes réels. Les salaires engloutissent une partie de la différence mais le reste est investi en technologie, ingénierie pédagogique etc. Nous devons consentir des efforts énormes quantitativement et qualitativement pour espérer être un pays émergent. Les entreprises des pays développés investissent plus de 2,9% de la masse salariale en divers programmes de formation, recyclages et autres. La Corée du Sud atteint plus de 3,5% de la masse salariale alors que nous en sommes à 0,4%. La comparaison avec les pays émergents est édifiante. Le mythe, partagé par la vaste majorité des Algériens, qui stipule que nos dépenses en éducation sont suffisantes, n’est en fait qu’une illusion d’optique. La fable qui consiste à stipuler que le niveau de qualité est appréciable est aussi à reconsidérer sérieusement. Lors des différentes études menées auprès des firmes multinationales installées ou qui avaient étudié l’environnement des affaires pour s’y implanter, le facteur le plus cité comme repoussoir est la qualité des ressources humaines (managers, comptables, ingénieurs et surtout techniciens et ouvriers spécialisés). Ceux qui réussissent à l’étranger sont une minorité, qui souvent se forme en dehors des institutions éducatives officielles ; et ils ne deviennent compétitifs à l’étranger qu’après des recyclages laborieux.

D’ailleurs, la productivité du travail est un indicateur de la qualité des ressources humaines. Le rendement par heure de travail est de 38$ en Corée du sud, 20 au Mexique, 32 au Portugal, 12 en Tunisie et 6,2 en Algérie. Ainsi va le mythe de la qualité des ressources humaines formées en Algérie. La troisième chimère consiste à dire que tout est perdu et qu’il nous faudra probablement des siècles pour tout reconstruire. Tel n’est pas le cas. La Pologne, la Chine et d’autres pays viennent de nous administrer une belle leçon en la matière. Ils ont recyclé pratiquement toutes les ressources humaines opérationnelles en quelques années, en plus de moderniser rapidement et en profondeur leurs systèmes éducatifs pour mieux prendre en charge les futures générations. Les deux projets (formation longue durée et recyclages rapides) fonctionnent en parallèle avec une très grande efficacité. Il est possible d’opérer une refonte totale des modes de fonctionnement de ce secteur stratégique. Cependant, il faut que les institutions publiques et les entreprises adoptent de nouveaux styles de management. Rien ne sert de qualifier hautement ses ressources humaines, si c’est pour les injecter dans des institutions sous gérées. Nous produirions alors des frustrations et des conflits au lieu d’améliorer les performances.

Nous payons lourdement le coût de non qualité du développement humain. La facture est astronomique. Nous devrions avoir un PIB d’au moins 1500 milliards $, eu égard à notre potentiel économique. Nous avons injecté 800 milliards $ dans les infrastructures pour stimuler l’économie mais nous avons mal ciblé les priorités. Certes, on devait faire un rattrapage dans le domaine des infrastructures mais l’écart est plus substantiel dans le domaine humain. Tant que celui-ci perdure, aucune stratégie économique ne peut nous permettre de décoller. Nous aurons toujours un multiplicateur négatif. Les experts chinois calculent que chaque dollar injecté dans leur économie (plan de relance) induit 2,5 $ de PIB. Nous avons injecté 30% du PIB annuellement (hors hydrocarbures) ces dernières années pour un taux de croissance de 5% à 6%. Nous sommes encore une économie qui ne sait pas transformer la rente en richesse nationale durable. Il y a bien sûr le phénomène de l’importation (Leakage) mais surtout d’un sous-management des ressources notamment des ressources humaines.

Il y a énormément d’aspects sous-jacents à cette problématique, comme les données géostratégiques, la culture du pays, la sociologie politique etc. Mais dès lors que l’ensemble de ces éléments constitue un tout favorable au développement, le vecteur de transmission le plus important aux pratiques opérationnelles demeure le développement humain. On ne peut jamais insister suffisamment sur ce facteur. Mais rien ne sert de se lamenter sur le passé, il faut plutôt identifier ce qu’il convient de faire à l’avenir.

Pr. A. Lamiri

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