On attendait ne serait ce qu’un début de solution à la crise qui oppose le peuple algérien au haut commandement militaire à l’issue de ce huitième vendredi de grandes manifestations, mais il n’en fut rien. Bien au contraire Le bras de fer entre les deux belligérants semble se durcir avec l’entrée en lice concertée de brigades police et de gendarmerie qui ont failli commettre l’irréparable dans le tunnel des facultés d’Alger, pour l’une, et fait subir de lourds inconvénients aux automobilistes engagés sur les axes routiers menant à la capitale, pour l’autre.
L’état major militaire est resté sourd aux revendications des citoyens qui battent le pavé chaque vendredi et jours de semaine pour réclamer de gérer eux-mêmes leur destin politique en confiant notamment la gestion de la transition à des personnalités intègres qu’ils auront délibérément choisies. Faisant fi de cette légitime revendication, le commandement militaire dirigé par le général Ahmed Gaid Salah d’appliquer unilatéralement l’article 102 de la constitution, aussi tôt mis à exécution par l’octroi de l’intérim de la chefferie de l’Etats au président du Sénat et le maintien en l’état du gouvernement et du conseil constitutionnel confiés respectivement à Nouredine Bedoui et Tayeb Belaiz, deux caciques du système sur qui on ne peut compter pour organiser des élections honnêtes et transparentes tant ils ont la réputation peu honorable de virtuoses de la fraude électorales.
Les relations entre l’état major militaire incarné par le vieux général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah et les manifestants qui ne se sont toujours pas dotés d’une direction politique à même de les représenter, se sont de ce fait crispées. Faute de dialogue entre les camps qui s’opposent, les relations risquent même de se dégrader davantage dans les prochains jours. Il règne en effet partout en Algérie et, sans doute encore d’avantage, dans la capitale où la répression policière vient de faire violemment apparition, une ambiance électrique qui augure de lendemains difficiles avec de sérieux d’affrontements.
Après huit semaines d’intenses mobilisations populaires qui ont affectées toutes les catégories socioprofessionnelles, le Haut commandement militaire continue en effet à « jouer à la roulette russe » la sécurité et le destin politique des algériens. Chaque vendredi, les Algériens veillent a ce que les manifestations restent pacifiques mais jusqu’a quand ce pari pourra t-il être tenu, notamment, lorsque les violences policières entrent en jeu comme ce fut le cas vendredi à Alger centre où une tragédie a été évité de justesse ?
Le haut commandement militaire ne pouvait pourtant pas ignorer que ces démonstrations de forces populaires équivalent à de véritables référendums, réclamant le retour immédiat à la souveraineté populaire pour le choix du mode de transition jusqu’au scrutin présidentiel, qui devra consacrer le libre choix dans la désignation du futur leader politique. Pour d’obscures raisons, le chef d’état major de l’armée, auquel la constitution algérienne n’accorde pourtant pas la prérogative de décider de la nature de la transition à mettre en œuvre après la démission du président Abdelaziz Bouteflika, a jeté son dévolu sur l’application de l’article de la constitution (article 102) qui confie l’avenir immédiat de l’Algérie à des personnes choisies par le président déchu, pipant d’emblée le sort du prochain scrutin présidentiel.
C’est très précisément ce que ne veulent pas les algériens qui le clament haut et fort depuis bientôt deux mois sans que le commandement militaire ne daigne y prêter attention. Une indifférence frôlant le mépris et qui pourrait faire basculer le pays dans l’irréparable au cas où le peuple, las d’attendre et d’être violenté par les forces de l’ordre, venait à se radicaliser.
Dans le bras fer qui se joue entre le peuple et l’état major de l’armée, il y a en effet comme une incompréhension que ne peuvent expliquer que des dessous d’affaires de corruption qu’il faut absolument empêcher d’être divulguées en continuant à exercer le pouvoir qui confère la possibilité de museler les enquêteurs et les juges. Ce sont en effet des fortunes colossales que certains généraux et leurs progénitures ont amassé vingt ans durant, à l’ombre du règne mafieux de Bouteflika et de son clan. Ils semblent de ce fait déterminés à organiser la prochaine alternance à leur convenance, en veillant à faire élire un président dont ils ont l’assurance qu’il leur garantira l’impunité et la poursuite du business.
C’est une attitude véritablement criminelle en ce sens qu’elle fait perdre un temps précieux, à un pays qu’attendent pourtant des challenges de tous ordres. Il s’agit en effet d’organiser une transition politique de qualité autour de l’article 7 de la constitution qui consacre la souveraineté du peuple quant au choix du mode de gouvernance et des personnes qui vont diriger le pays et ses institutions.
Plus tôt sera appliqué cet article de la constitution et plus tôt l’Algérie sortira de cette crise qui l’affecte, depuis que les algériens ont refusé que Bouteflika brigue un cinquième mandat présidentiel auquel il avait illégalement prétendu en violation de la constitution algérienne. Il est important que l’Algérie sorte le plus rapidement possible de cette crise, ne serait-ce, que pour reprendre en main son destin politique, mais aussi, son économie menacée d’effondrement à cause à cause d’un long statut quo sciemment provoqué par le clan du président déchu.
Après cette huitième grande manifestation qui a mobilisé, selon les premières estimations des médias, entre 22 et 24 millions de citoyens à travers tout le territoire national, devrait enfin lorgner du coté des algériens insurgés en leur proposant un dialogue apaisant autour d’une possible mise en œuvre de l’article 7 de la constitution légitimement réclamé. Cela renvoie évidemment à une question fondamentale qu’il faudra rapidement trancher: celle de la direction politique officielle du mouvement de contestation qui, faut-il le rappeler, n’existe pas à ce jour.
C’est une question qui pourrait être rapidement tranchée si le commandement militaire offre des garanties de protection et de négociation aux élites plébiscitées par le mouvement à l’effet de conduire la transition et l’organisation de l’alternance présidentielle. C’est à cette noble tâche que devrait se consacrer le commandement militaire plutôt qu’au torpillage du mouvement qui ne servira au bout du compte qu’à envenimer les relations entre les hauts gradés de l’armée et une population déterminée à aller jusqu’au bout de son légitime combat. Il n’y aura dans ce cas que des perdants !!