Industrialiser un pays contribue nécessairement à son développement : voilà un concept encore vivide dans l’esprit de nombreux décideurs et économistes. En outre, lorsque l’industrialisation contribue à créer d’autres industries, en fin de parcours elle opère une substitution aux importations. C’est pour certains, le summum du processus de développement. Le danger d’une telle idée est qu’elle perdure encore, en filigrane, dans les analyses de nos plus grands économistes.
La confusion entre industrialisation et développement conduit à encenser la période des années soixante-dix et à blâmer l’arrêt du processus d’industrialisation pour tous les maux économiques que nous vivons. Rien n’est plus éloigné de la réalité que ces assertions. On oublie ou on ignore qu’il y a des conditions très drastiques pour qu’un processus d’industrialisation se transforme en développement. La plus exigeante d’entre elles est l’efficacité managériale. Il faut deux types de technologies pour développer un pays. Une technologie hard, matérialisée par les équipements de production, les matières premières, les technologies de l’information et de la communication (TIC) etc. Mais il nous faut également une technologie soft qui peut se résumer en un mot : le management. Les ex-pays socialistes périclitèrent parce qu’ils n’avaient pas maîtrisé la technologie sociale qui fait fonctionner efficacement les entreprises et les institutions publiques : le management. Ni leur système politique ni leur modèle économique ne permettaient de l’intégrer. Il y a de nombreuses autres causes. Mais pour de nombreux analystes c’était l’erreur la plus fatale commise par les dirigeants marxistes.
Une industrie peut ruiner ou développer un pays par le processus de création ou de destruction de richesse qu’elle engendre. La vaste majorité de nos économistes n’ont pas compris ce phénomène si simple, qui explique pourquoi sans richesse appréciable les Coréens ont construit une économie avoisinant 7 fois notre PIB.
Prenons le cas des aciéries. Nous avons commencé par faire un investissement considérable en même temps que les coréens. Mais on utilisait avec abondance les inputs, surtout humains et matériels. Le taux d’utilisation des capacités était si faible que la valeur des outputs était nettement inférieure aux inputs. Les irréductibles polarisent leurs analyses sur les prix trop bas des outputs. Ils oublient que les coûts des inputs (ressources humaines, matières premières, électricité, services administratifs et sociaux) le sont encore plus. Mais le fait le plus important est celui consacré par le taux d’utilisation des capacités : en moyenne en dessous de 55%. L’absence de surplus financiers empêche l’entreprise de créer des filiales et de se développer. Elle consomme plus de richesses qu’elle n’en produit. De ce fait, les déficits sont constamment financés par le Trésor. Les ressources utilisées auraient pu créer des milliers de PME et des dizaines de milliers d’emplois. Si ces entreprises et ces emplois n’existent pas, c’est parce qu’ils ont été détruit par une industrie inefficace. Les aciéries coréennes fonctionnent différemment. Elles sont gérées avec les instruments de management les plus modernes de l’époque. Le taux d’utilisation des capacités dépassait les 95%. Les surplus financiers dégagés permettent l’expansion, la création d’une multitude de filiales et des milliers d’emplois. Chaque industrie coréenne créée devenait un centre de création de richesse, de démultiplication des PME et de création de dizaines de milliers d’emplois. Chaque industrie algérienne créée, sauf quelques exceptions, devient un centre de destruction de richesse, un lieu d’où s’évaporent les ressources qui auraient pu créer des milliers de PME et des dizaines de milliers de postes de travail. Ce mécanisme simple de création / destruction de richesse explique, en grande partie, le différentiel de performance entre ces deux types d’économies. C’est en ce sens que Peter F. Drucker, père fondateur du management moderne disait : « Il n’y a pas de pays sous-développé, il y a des pays sous gérés ».
L’Industrialisation finira telle par induire l’efficacité ?
La majorité des analystes qui souscrivaient aux thèses de l’industrie « industrialisante » savaient que les usines utilisaient trop de ressources et que leurs capacités de production demeuraient faiblement exploitées. Cependant, ils considéraient que dans un premier temps, il fallait s’industrialiser et maîtriser le management par la suite. On érige l’outil de production d’abord, on le gère avec les moyens de bord puis on met en œuvre les méthodes managériales efficaces. Ce raisonnement parait de prime abord logique. Mais les choses les plus simples ne sont pas toujours les meilleures. Cette ligne de pensée est purement intuitive. Elle provient de personnes qui ignorent totalement les règles du management moderne et notamment la culture d’entreprise.
Dès lors qu’on introduit des pratiques de gestion stériles à grande échelle dans la vaste majorité des entreprises et des institutions du pays, ces coutumes deviennent une réalité palpable, une culture, une manière de penser et de se comporter. Il faudrait alors une révolution culturelle pour muter le système et introduire de saines pratiques managériales. Aucun pays socialiste n’a réussi à introduire un management suffisamment efficace au cœur de ses entreprises pour créer une croissance intensive. Précisément, parce qu’on a généralisé les pratiques de laxisme, d’irresponsabilité et d’appréciations en fonction de paramètres autres que ceux liés aux résultats. Un groupe d’experts algériens qui analysait la décennie des années soixante-dix concluait que l’erreur a été de ne pas privilégier l’exportation à cette époque. Nous aurions alors rattrapé la Corée du Sud ! Il suffisait de décréter l’efficacité pour qu’elle tombe du ciel. La culture d’entreprise n’existe pas. L’erreur d’analyse qui consiste à évacuer le management et la culture d’entreprise est commune à la vaste majorité de nos experts. Elle conduit à recommander des solutions plus erronées que les problèmes que l’on désire solutionner. Aucun pays socialiste n’avait envisagé une stratégie d’exportation. Nul Pays de l’Est n’avait les pratiques managériales pour le faire. Mais selon nos experts l’Algérie aurait pu être une exception mondiale.
La réalité scientifique est là : il était impossible d’améliorer le management et l’efficacité des entreprises économiques dans le contexte des années soixante-dix. On ne peut disséminer à grande échelle des cultures institutionnelles anti-efficacité et les changer par une baguette magique par la suite. Elles deviennent le ciment de la sociologie politique du pays. Il faut alors révolutionner le système ou vivre avec. La réponse est claire. Non nous ne pouvions pas rendre les entreprises des années soixante-dix plus efficaces sans passer par une économie de marché basée sur la compétitivité et l’efficacité. Mais même cette dernière on n’a pas su l’ériger.
Pr. A.Lamiri