Comme au temps des années socialistes, le sort des classes moyennes algériennes continue aujourd’hui encore, à dépendre de la rente pétrolière et sa traduction en dépenses publiques. Au début des années 80, ces couches sociales avaient repris des couleurs à la faveur du redressement des prix du baril, avant d’être laminées par le choc pétrolier de 1986, qui a tari les recettes durant toute une décennie et laminé les classes moyennes qui s’étaient constituées durant la période faste.
Le même scenario semble s’opérer aujourd’hui avec l’effritement progressif des classes moyennes qui avaient émergées à la faveur du boum pétrolier des années 2000. La hausse prodigieuse des recettes d’hydrocarbures permit en effet aux autorités algériennes de dépenser sans compter, en réservant une large part des encaisses disponibles à des réalisations qui offriront à des milliers de cadres, emplois et revenus dans les secteurs publics et privés. Le déclin de la rente pétrolière qui avait commencé à s’opérer en 2014 et qui se poursuit aujourd’hui encore, a déjà commencé à se répercuter sur les classes moyennes, notamment les cadres, de plus en plus nombreux à perdre leurs emplois ou les activités économiques qui les faisaient vivre.
Ces déclassements dus au chômage ou à la faillite des entreprises qu’ils avaient créées avant la crise, auront des effets désastreux sur cette catégorie sociale, qui structure son standing de vie en fonction de ses revenus salariaux ou professionnels. Lorsque les salaires leurs sont versés régulièrement ou que les revenus de leurs activités économiques et commerciales sont assurés, les cadres consomment en effet sans modération. Tout ce qui peut les distinguer des classes pauvres en matière de qualité de nourriture, d’ameublement, d’électroménager et de véhicules est acheté, quitte à s’endetter auprès d’une banque ou d’un ami qu’on est certain de pouvoir rembourser vu la consistance et la régularité de leurs revenus. L’acquisition d’un logement, pour ceux qui ne l’ont pas déjà, est également dans le programme de ces cadres, notamment les plus jeunes. Tout le drame de ces classes moyennes repose malheureusement sur la capacité de remboursement de leurs emprunts qui dépend exclusivement de ces revenus qu’ils doivent impérativement s’assurer, au risque d’être insolvables. Dès que cet apport financier est coupé ou sombre dans la précarité, les cadres concernés sombrent en effet dans la pauvreté et s’exposent à bien des ennuis avec leurs créanciers. Lorsqu’ils sont nombreux à être touchés par ces disparitions de revenus salariaux, la consommation nationale en est également automatiquement affectée. Les achats effectués dans les commerces de gros et de détails régressent, en entrainant avec eux les producteurs qui ne trouvent plus de raisons de produire davantage, lorsqu’ils ne sont pas carrément obligés de fermer leurs usines. Il en est de même pour les importateurs amenés à faire des coupes dans les quantités importées, en supprimant de leurs listes les produits qui ne se vendent plus, parce que trop chers pour les classes moyennes appauvries.
L’enrichissement des classes moyennes a également dopé le crédit bancaire qui a enregistré un boom considérable, en raison des emprunts contractés notamment par les cadres, qui souhaitaient acquérir un logement, financer la construction de la maison familiale ou acheter un véhicule. Ces dépenses au moyen du crédit, ont beaucoup contribué à doper la consommation des ménages et, par conséquent, la croissance économique. La chute vertigineuse des crédits accordés aux particuliers est aujourd’hui si forte, rapporte la presse, qu’elle ne représente plus que 8% des crédits accordés à l’économie. Relancer la croissance dans ces conditions, sera tout simplement impossible, à moins que les prix du pétrole franchissent, on ne sait par quel miracle, la barre des 100 dollars le baril.
Si le processus d’appauvrissement des classes moyennes est à l’évidence largement entamé, il n’est cependant pas encore suffisamment apparent, car il subsiste encore chez de nombreux cadres d’importantes économies accumulées durant la décennie 2010, époque à la quelle leurs furent accordées de substantielles augmentations de salaires. Les entrepreneurs privés ont également fait de bonnes affaires qui ont contribuées à les enrichir. Tous ces membres de la classe moyenne ont, en outre, acquis des biens matériels (véhicules, immobilier, bijoux et autres) qu’ils peuvent transformer, en cas de nécessité, en argent liquide. C’est pourquoi, les économistes que nous avons interrogés sur la question sont d’accord pour dire que si « les classes moyennes ont effectivement commencé à être touchées de plain fouet par la crise économique, leurs paupérisations effective ne se verra heureusement pas de si tôt, comme on a pu l’observer au Venezuela ou au Liban ». Car, explique l’un d’eux « la plupart des cadres qui composent ces classes sociales, disposent encore de liquidités importantes déposées en banques ou thésaurisées chez eux. Par ailleurs les entreprises privées ont certes des difficultés exacerbées par la crise sanitaire, mais elles ont encore des chances de reprendre leurs activités, pour peu que l’Etat leur accorde des aides. De ce fait, ajoute-il, elles peuvent passer sans grandes difficultés, les premiers inconvénients de la crise, sans toutefois pouvoir lui échapper, au cas où la crise se prolonge indéfiniment ».
Les cadres ont effectivement beaucoup épargné durant cette dernière décennie La Banque d’Algérie avait évalué en 2013 l’épargne privée à environ 44% des dépôts bancaires. Ce qui est énorme et tout de même rassurant pour le fonctionnement de l’économie nationale, dans le cas où les recettes budgétaires venaient à chuter encore davantage. La crise multidimensionnelle qui affecte le pays depuis 2014 et s’est compliquée encore plus ces deux dernières années, a réduit de moitié, cette épargne. Si rien n’est fait pour la régler rapidement, la crise de liquidités qui affecte les banques et pousse les épargnants à retirer leurs avoirs, risque de donner le coup de grâce à l’épargne nationale, qui financent des secteurs économiques aussi vitaux que l’habitat et les travaux publics.