De l’avis de tous les observateurs de la scène politique algérienne (journalistes, universitaires, politiciens, activistes etc.) que nous avons interrogés, il n’y a absolument aucun espoir que le pays s’apaise et reparte sur de bonnes bases, tant que le régime en place ne consentira pas à engager un dialogue franc et sincère avec le hirak qui cristallise le très fort désir de changement, auquel aspire le peuple algérien, et notamment, les plus jeunes qui constituent plus de 70% de la population
C’est une volonté de changement à laquelle prétendent pourtant adhérer les tenants actuels du pouvoir, qui n’ont du reste pas hésité à qualifier le hirak d’action populaire bénie « hirak el moubarek », dans le projet de la nouvelle constitution qu’ils s’apprêtent à soumettre au référendum. Des propos malheureusement en total décalage avec les réalités du terrain, faite de chasse effrénée aux activistes du mouvement, de « blackout » sur l’information et de sévères condamnations contre tout ceux qui agissent ou s’expriment en faveur de cette révolution pacifique qui les inquiètent. On ne constate en effet, aucune mesure d’apaisement susceptible d’annoncer une nouvelle façon d’aborder la problématique du hirak, bien au contraire, c’est à une véritable fuite en avant en matière de répression que l’on assiste, la dernière en date étant la condamnation d’un journaliste, Khaled Drareni en l’occurrence, à deux années de prison ferme uniquement pour avoir couvert une manifestation du hirak. Comme au temps de la toute puissance du défunt chef d’état major de l’armée, Ahmed Gaid Salah, le pouvoir continue à gérer le pays sur la à base de feuilles de route quasi martiales, en tenant à distance le peuple algérien, jamais consulté et, bien souvent, en allant à l’encontre de ce qu’il avait souhaité en se soulevant un certain 22 février 2019, contre le régime de Bouteflika et, plus largement, contre le système politique qui l’avait engendré.
Pour résoudre cette crise qui dure et s’exacerbe depuis le déclenchement du hirak, le pouvoir a, de toute évidence, choisi un traitement sécuritaire, au profit duquel, il a mis toutes ses forces et son savoir faire dans l’art de contrer les subversions populaires. Il n’y a, à ce jour, aucune lueur d’espoir pour que ce régime abandonne cette manière de résoudre les crises qui est « dans ses gênes », au profit d’une stratégie plus subtile, laissant davantage de place à l’intelligence, au dialogue et à la concertation avec les insurgés. Cette manière civilisée de traiter les crises politiques n’a pas encore droit de cité en Algérie et rien, pour l’instant, ne permet de penser qu’elle le sera de si tôt, tant que la direction du pays est encore aux mains de personnels politiques et sécuritaires, qui n’ont jamais résolu la moindre crise, autrement que par la brutalité et l’intrigue. C’est pourquoi, tous nos interlocuteurs pensent que rien de sérieux ne présage aujourd’hui encore, un dénouement à court terme de cette crise politique et morale qui est en train de tirer, petit à petit, l’Algérie vers le bas. Tant que les deux protagonistes (le pouvoir et l’écrasante majorité de la population algérienne), camperont sur leurs positions d’apparences inconciliables, le pays sera politiquement bloqué et, ça ne sera certainement pas les gesticulations du pouvoir, qui parviendront à décrisper cette situation à tous points dangereuse, pour les deux parties en conflit et pour la nation, en général. Faute d’issue politique au conflit, l’Algérie reste sous syndrome périlleux de la « cocote minute » qui accumule progressivement des pressions qu’elle ne pourra pas, un jour ou l’autre, contenir.
Les protagonistes sont pourtant parfaitement conscients que ce n’est qu’à l’issue d’une neutralisation des rapports de forces ou de leurs basculements en faveur de l’une ou de l’autre parties en conflit, que les algériens pourront enfin commencer à réfléchir à un nouveau projet de société, sur lequel ils pourront bâtir une nouvelle république, dans laquelle, chacun pourra enfin trouver la place qui lui revient de droit. Et c’est pourquoi il devient urgent de résoudre le plus tôt possible par le dialogue et, non pas par la force et l’intrigue, comme c’est actuellement le cas, cette crise politique qui, aujourd’hui, tétanise toutes les forces vives de la nation. Toute initiative politique intelligente de la part du pouvoir est de ce fait bloquée, reléguant aux calendes grecques tout espoir de solutionner à court terme cette crise dont le traitement ultra répressif, a déjà commencé à porter atteinte à la cohésion nationale. On le voit chaque jour avec les arrestations arbitraires d’acteurs du hirak qui entretiennent des révoltes locales quasi quotidiennes et la flamme du hirak en Algérie et à l’étranger. L’application « bête et méchante » de ce traitement répressif ne fera en réalité que renforcer le hirak et lui permettre le moment venu de revenir encore plus aguerri sur le terrain de la contestation en radicalisant sans doute en plus, ses revendications phares que furent, rappelons-le, le recouvrement de la souveraineté populaire, l’instauration d’un État de droit civil et non militaire, une constitution directement inspirée par le peuple et la liberté d’expression.
Nos interlocuteurs sont enfin unanimes à penser que, « plus tôt sera amorcé entre le hirak et le pouvoir réel, un dialogue sincère, exclusivement centré sur les intérêts de la Patrie, moins, les dégâts matériels et moraux qu’endure la société algérienne, seront importants et pesants sur la cohésion nationale ». Ils considèrent que la solution est exclusivement entre les mains des militaires, qui détiennent la réalité du pouvoir et ont les moyens d’imposer une voie de sortie de crise qui rompt avec la répression et promeut le moyen le plus efficace de sortie de crise, qu’est le dialogue et la concertation avec l’ensemble des acteurs concernés. Cette formule universelle pour résoudre les crises politiques requière toutefois un climat de confiance que seules des mesures d’apaisement conséquentes, comme la libération de tous les détenus politiques et l’ouverture du champ médiatique, peuvent instaurer. Le peuple algériens jugera ceux qui ont le pouvoir, sur leur volonté ou non, d’instaurer ce climat de confiance qui, aujourd’hui, fait défaut.