Le procédé n’est pas nouveau puisque les automobilistes algériens sont soumis depuis le début des années 90 au régime des barrages filtrants opérés par la police, la gendarmerie et à degré moindre par l’armée, notamment aux entrées de la capitale. Ils sont en réalité installés aux portes de pratiquement toutes les villes du pays mais, plus densément aux divers accès et points stratégiques d’Alger.
Bien que compréhensifs à leur égard aux pires années du terrorisme islamiste, les conducteurs ont tendance à moins en accepter la présence, depuis que la paix est revenue au début des années 2000, mais ils s’en sont tout de même accommodés, jusqu’à ce qu’ils aient pris, en avril 2019, la tournure d’un inadmissible blocage d’accès à l’encontre des automobilistes qui ne résident pas à Alger.
Depuis qu’une instruction gouvernementale a été ordonnée en avril 2019, à la veille d’une grande manifestation du hirak dans la capitale, cette restriction est imposée à tous les automobilistes venus d’autres localités à veille de chaque mardi et vendredi, jours de sortie des manifestants, mais également en d’autres circonstances, comme par exemple, la marche des retraités de l’armée qui devait se dérouler à Alger, mardi dernier.
Se rendre à Alger est depuis cette date, devenu un calvaire pour les automobilistes contraints d’effectuer ce trajet. C’est ainsi qu’une course qui ne devait prendre qu’une demi-heure de temps, se transforme en une virée cauchemardesque de plusieurs heures au soleil ou dans le froid, nonobstant l’usure de certains organes du véhicule et le gaspillage de carburants. Plus de 100.000 véhicules empruntant l’entrée Est de la capitale (Rouiba), on estime ce gaspillage à plus 400.000 litres par jour, à supposé qu’un automobiliste ne consomme que 4 litres dans cet embouteillage qui peut durer plusieurs heures.
La tension nerveuse que provoquent chez les conducteurs ces blocages de circulation à l’approche de la capitale et parfois même à l’intérieur, a également un coût, puisqu’elle est porteuse de dangers pour la santé physique et mentale des conducteurs et de leurs passagers, qui arrivent lessivés au travail ou à leurs domiciles. Ce coût se mesure en nombre d’hospitalisations pour des pics de tension et des prises de médicaments généralement remboursés par la sécurité sociale, donc par les contribuables.
Personne au sein de la hiérarchie gouvernementale ne semble malheureusement se soucier de tous ces désagréments causés par ces exténuants barrages filtrants, que les services de sécurité continuent à opérer sans états d’âme, en dépit de toutes les voix qui s’élèvent contre cette mesure jugée excessive et, de surcroît, anti constitutionnelle. La constitution algérienne garantit en effet la libre circulation des citoyens à travers l’ensemble du territoire et la capitale ne déroge pas à la règle.
Aucune institution de l’Etat n’a, à l’évidence, pris la peine d’évaluer les pertes faramineuses engendrées par ces barrages, ni même, leurs graves conséquences sur l’économie. A quoi aura en effet servi la construction de l’autoroute Est-Ouest qui a coûté plusieurs milliards de dollars si pour aller de Sétif à Alger, il vous faut plus de 7 heures de temps au lieu des 3 heures que permet cette autoroute quand elle est libre.
On imagine les conséquences néfastes de ces retards provoqués, sur les livraisons urgentes de denrées alimentaires, de matériaux de construction ou de transport de malades et blessés. Ces retards provoquent des surcoûts de production, des retards dans les chantiers et prestations de services qui vont nécessairement se répercuter sur les prix.
Comment à titre d’exemple, une entreprise de bâtiment et travaux publics, peut-elle réaliser de bons rendements, quand ses camions chargés de matériaux de construction doivent passer toute une journée sur une route, pour livrer des marchandises à un chantier pourtant distant d’à peine quelques kilomètres ? Pour ne pas être en difficulté financière l’entreprise devra nécessairement répercuter ces surcoûts sur ses clients. Et c’est ainsi que le processus inflationniste devient progressivement massif et incontrôlable.
Au plan sanitaire est-il censé de parler de prise en charge effective des malades et blessés, quand une ambulance doit attendre des heures pour passer d’un barrage filtrant à l’autre, avant d’arriver à l’hôpital. Outre les inconvénients sur la santé qu’engendrent le stress et le sentiment de mal vie, ces pertes de temps forcées dans des barrages filtrants créés de toutes pièces par nos dirigeants, constituent un véritable péril pour notre économie, qui souffre déjà d’une grave crise d’accumulation.
Parler d’un programme de relance économique dans d’aussi défavorables conditions de travail, relève de l’utopie. Il ne saurait en effet y avoir de relance sans remise à niveau de l’environnement des affaires, qui s’est considérablement dégradé avec les crises politique, économique et sanitaire qui étranglent le pays. Sans cette remise à niveau qui visera à supprimer tous les obstacles dont souffre l’économie algérienne, à commencer par ces barrages filtrants qui grippent les rouages de la machine économique, rien de sérieux ne pourra s’opérer en matière de redressement économique et social. La question des barrages filtrants aux portes de grandes villes et, notamment de la capitale, est un élément majeur de la lutte contre la dégradation de l’environnement des affaires, auquel le gouvernement devra rapidement remédier, s’il souhaite vraiment que l’économie reprenne.