Les algériens savent peu de choses sur ce qu’ont dépensé leurs gouvernants en puisant dans les recettes pétrolières, mais ils en savent encore moins, sur les transferts vers l’étranger au moyen du marché informel de la devise. L’ouverture de bureaux de change aurait pu constituer une bonne source d’information sur les flux de devises qui quittent clandestinement le pays, mais le refus du gouvernement algérien de les agréer montre qu’il a bien une volonté délibérée de maintenir le flou autour de la question.
Un flou chronique auquel semblent du reste s’accommoder les opérateurs (vendeurs et acheteurs de devises) qui y trouvent leurs comptes.
Les « cambistes » du marché informel, qui ne sont plus pourchassés par la police comme par le passé, opèrent aujourd’hui au grand jour, comme s’ils étaient officiellement reconnus en tant qu’acteurs indispensables au bon fonctionnement du business.
Le fonctionnement de ce marché clandestin en marge de la législation des changes, serait même souhaité pour diverses raisons, parmi lesquelles, on peut citer l’accumulation prodigieuse de dinars par les opérateurs de l’informel, la non prise en charge de tout un éventail de services qui ne sont pas éligibles à la convertibilité (soins et voyages à l’étranger, frais d’études, ingénierie etc.) et, depuis quelques années, l’engouement de nombreux affairistes et hommes politiques, pour l’achat de biens immobiliers à l’étranger.
A cette hémorragie de devises qui porterait sur plusieurs milliards de dollars, les autorités politiques et monétaires algériennes n’ont jamais su ou voulu, opposer une réaction adaptée aux circonstances, en dépit des informations signalant des mouvements suspects de capitaux commis par des ressortissants algériens, régulièrement transmises par les polices étrangères.
Tétanisé par l’ampleur du phénomène et par la nature des personnalités qui y sont impliquées, le gouvernement n’ose effectivement pas affronter ce gravissime problème qui ternit l’image de l’Algérie et porte un coup dur au moral des algériens, qui ont du mal à digérer ce troublant laxisme à l’égard de ces trafiquants qui ont érigé le marché parallèle de la devise en exutoire des revenus de trafics en tout genre.
Ce laxisme ambiant n’est en réalité pas nouveau. Il date des années 80, mais il a pris une plus grande ampleur à la faveur de l’ouverture du commerce extérieur et de l’explosion des recettes pétrolière tout au long des années 2000 et 2010.
Durant cette longue période, la lutte contre le trafic de devises a effectivement, pris l’allure de slogans et de campagnes médiatiques sans lendemain.
La lutte contre la corruption et le trafic de devises qui, généralement l’accompagne est pourtant clairement inscrite dans la Constitution.
Une multitude d’institutions expressément chargées de mener la vie dure aux trafiquants (Douanes, Banque d’Algérie, Cour des Comptes, diverses brigades de répression etc.) a même été créée dans cet objectif, mais les résultats obtenus sont bien maigres au regard de l’ampleur du phénomène.
Bien que son efficacité soit discutable, le moyen dont les autorités ont le plus souvent fait usage, est la dévaluation du dinar qui a perdu au gré des dépréciations périodiques, plus de deux tiers de sa valeur en vingt ans et le processus de dévaluation continue, aujourd’hui encore, de plus belle.
Ces dévaluations devaient, selon les autorités monétaires, accroître la compétitivité des produits exportables et décourager les transferts illicites de devises, que ces dévaluations ont rendues trop chères. Mais cette stratégie, prônée par les autorités algériennes n’a à l’évidence, pas fonctionné, puisque la pression sur la demande en devises est toujours aussi forte.
Les exportations hors hydrocarbures n’ont en effet pas rapportées grand-chose en devises et les importations financées par le marché parallèle se sont accrues, notamment depuis que les banques algériennes refusent de financer toute une liste de produits, que les opérateurs privés sont contraints d’importer au moyen de devises achetées sur le marché parallèle.
La fermeture des frontières aux voyageurs ne constituant pas un obstacle pour ces opérateurs qui mutualisent leurs achats de devises et leurs approvisionnements en marchandises dans un pays donné, d’où sont expédiés vers l’Algérie, les produits achetés au moyen de ces devises acquises au marché parallèle.
Aucun flux d’argent n’est apparent : les devises sont directement remises à des commissionnaires installés à l’étranger et les dinars aux trafiquants qui les placent généralement dans des acquisitions immobilières et des activités commerciales informelles.
De grosses sommes en devises et en dinars circulent ainsi librement sans laisser de traces apparentes.
La Banque d’Algérie avait, on s’en souvient, en projet un certain nombre d’actions déterminantes pour la mise en place progressive d’un authentique marché des changes. Sans doute parce certains cercles influents du pouvoir n’en voulaient pas, la banque centrale suspendra toutes les actions qu’elle avait projeté d’entreprendre, à commencer par, l’ouverture de simples guichets de change, dont la réglementation avait pourtant été entièrement promulguée en 1998.
Actuellement, tout semble être fait pour encourager les demandeurs de devises (entrepreneurs et simples citoyens) à s’adresser aux « cambistes informels », aujourd’hui encore très sollicités, pour transférer leurs capitaux à l’étranger, acquérir des produits interdits à l’importation, financer leurs voyages ou se soigner dans des hôpitaux étrangers.
La pandémie de coronavirus a considérablement réduits les voyages et les soins à l’étranger, qui constituaient une part importante de la demande en devises sur le marché parallèle. C’est ce qui explique la relative stabilité des taux de change sur ce marché. Des taux qui ne manqueront évidemment pas de s’envoler, dès que les frontières seront à nouveau ouvertes aux voyageurs.
Il est aujourd’hui quasi certain que si les autorités en charge des questions monétaires, persistent dans cette manière de gérer la parité du dinar, notre monnaie n’a aucune chance de se redresser, quand bien même, les cours des hydrocarbures venaient à se redresser.
Pour que la valeur d’échange du dinar soit effectivement le reflet de la situation économique du pays, il faudrait que la Banque d’Algérie rompe avec la logique bureaucratique dans laquelle elle a enfermé la cotation de notre monnaie et aille résolument vers la mise en place d’un authentique marché des changes.
S’il venait à être constitué, ce marché offrirait de nombreux avantages parmi lesquels on peut citer : la disparition du marché parallèle de la devise avec toutes les nuisances qui le caractérisent, la possibilité pour les entreprises de se financer directement sur ce marché, le raffermissement du dinar du fait d’une plus grande disponibilité des devises, un regain de pouvoir d’achat du fait de la baisse des prix des produits importés etc.
Mais au regard des réponses négatives récemment apportées au parlement par le Ministre des Finances et le Gouverneur de la Banque d’Algérie, il n’y a, à l’évidence, aucun espoir pour qu’un marché de la devise fonctionnant selon les règles universelles, émerge en Algérie à brève échéance. Les algériens ne doivent donc pas se faire d’illusions, le marché parallèle de la devise a encore de beaux jours devant lui.