Avant que la pandémie de coronavirus ne tétanise l’activité économique, les mots d’ordre des pouvoirs publics étaient en faveur d’une création massive de petites et moyennes entreprises. L’État, à travers son réseau de banques et certaines institutions créées à cet effet (Ansej,Ads,Cnac,Andi,etc.) y consacrait d’énormes budgets qui ont effectivement boosté la démographie des entreprises privées. Géré de manière spécifique, le secteur public (EPE, EPIC et autres) a enregistré très peu d’entreprises nouvelles, la plupart ayant été créées sous formes de filiales de groupes existants.
A elle seule la Sonatrach en avait créé plus de cinquante. Les entreprises publiques sont en règle générale, protégées de la faillite au moyen d’assainissements financiers généreusement accordés par le trésor public. Un privilège dont n’ont pas eu la chance de bénéficier les entreprises du secteur privé qui réalisaient pourtant plus de 80% de la richesse nationale hors hydrocarbures et offraient plus de six millions d’emplois.
D’à peine une centaine de milliers de petites et moyennes entreprises privées au début des années 90, leur nombre est passé à près d’un million (959.718 plus exactement) à la fin de l’année 2012, selon une étude publiée en février de cette même année par l’Office National des statistiques (ONS).
Pas moins de 96% des entreprises recensées appartiennent à des personnes physiques, selon cette même source qui précise que près de 854.000 d’entre elles, activent dans le secteur tertiaire et plus précisément, dans la branche du commerce où elles seraient au nombre de 528.328 et celle des Services qui en compte pas moins de 325.442. La plupart sont des très petites entreprises, faiblement capitalisées et qui ne comptent guère plus de 10 employés. Très fragiles, elles ont pour particularité de disparaître à la moindre difficulté de gestion et au moindre souci financier.
Cet essor prodigieux sera malheureusement cassé par une série de décisions bureaucratiques insensées édictées en 2009 et 2010 (obligation du crédoc pour les importations, règle du 49/51, diverses entraves aux exportations etc.) qui causeront la disparition d’un nombre considérable d’entreprises et un net recul de création de nouvelles sociétés. En 2014 déjà on ne parlait plus que de 650.000 entités en activité, parmi lesquelles plus d’un millier d’entreprises ne survivaient que grâce aux subventions de l’Etat.
La pandémie de coronavirus qui a causé un subit et massif arrêt des activités économiques et commerciales, assombrira encore davantage ce tableau macabre des mortalités d’entreprises et notamment, des plus faibles d’entre elles que sont les Très Petites Entreprises (TPE) qui constituent plus de 80% de ce maigre tissu d’entreprises privées algériennes. C’est en effet une véritable hécatombe qui les attend en raison de la faiblesse de leurs fonds propres, de l’absence de commandes, des confinements sanitaires qui leur sont encore imposés et des lourdes charges (parmi lesquelles les loyers) qui continuent à courir depuis leurs fermetures ordonnées par les autorités publiques.
Ces TPE, qui peuvent prendre la forme d’une société de production, d’un simple commerce de gros ou de détail, d’une start up, d’une école ou d’une crèche privée, seront fatalement condamnées à déposer leurs bilans si des mesures de sauvetage ne sont pas rapidement prises en leur faveur par l’Etat, seul en mesure d’intervenir en pareil cas. A défaut, les premières estimations tablent sur plus de 350.000 fermetures de fonds de commerce de diverses natures, entraînant de fait le licenciement d’environ 1,5 million d’employés. Le constat sera tout aussi désastreux pour les commerces informels qui libéreront ont pour les mêmes raisons entre 500.000 et 600.000 chômeurs. Contrairement à la période ante-pandémie, durant laquelle l’accent était mis sur la sauvegarde du tissu d’entreprises existantes et la nécessité d’en créer le maximum (l’objectif officiel était de créer 1,5 million de PME à l’horizon 2020), depuis l’avènement du coronavirus, l’ambition a été réduite à la seule sauvegarde des entreprises encore en activité.
Une telle perspective n’est évidemment pas réjouissante, d’autant plus qu’elle survient dans une conjoncture assombrie par un déclin sans précédent des recettes d’hydrocarbures (plus de 50% en avril 2020) qui a contraint le gouvernement à ajourner de nombreux projets d’équipements et à réduire de moitié les importations.
L’environnement des affaires n’est actuellement vraiment pas propice à la création de nouvelles affaires. Il l’est beaucoup au statu quo et à l’attentisme, qui sont les pires prédateurs de la croissance économique. La propagation du Covid-19 et ses statistiques macabres, auquel s’ajoute le marasme économique induit par la pandémie, ne présagent effectivement pas d’un retour rapide d’une croissance portée par les entreprises. L’absence de mesures fortes, à l’instar de celles qu’ont prises de nombreux États du monde (budgets massifs en faveur des secteurs sinistrés, allègements des obligations fiscales, mesures en faveur des locataires de fonds de commerces, financement du chômage partiel etc.), n’augure rien de bon en matière de sauvegarde des entreprises notamment privées, celles qui sont sous le giron de l’Etat étant habituées à être périodiquement assainies et recapitalisées par le trésor public. A ce jour, le gouvernement n’a toujours pas dévoilé les mesures concrètes qu’il compte prendre pour sauver les entreprises privées de la faillite et les millions de travailleurs licenciés, de l’extrême pauvreté. On attendait certaines mesures phares dans le projet de loi de finances complémentaire pour l’année 2020, mais il n’en fut rien. Aucune mesure claire et précise en faveur des entreprises sinistrées n’y figurent et, mis à part, les dépenses sociales ordinaires (maintien des transferts sociaux à un niveau élevé), rien n’a été prévu pour l’armée de chômeurs qui vient de perdre emplois.
Pour l’instant, c’est plutôt à des réflexes de survie, qu’on assiste. Des réflexes qui consistent à suspendre des activités économiques et commerciales pour raison de santé publique et à mettre en berne les projets d’équipements, jusqu’à ce que la visibilité économique et sociale réapparaissent et de ce point de vue, nul n’est en mesure de prévoir avec certitude ce qui en sera de demain et encore moins, des jours suivants.
Au regard de ce manque de visibilité économique, le gouvernement algérien est attendu sur sa capacité à donner une ”visibilité sociale” aux lendemains peu réjouissants qui attendent cette importante frange de la population subitement paupérisée du fait de la perte de sa seule source de revenus. Il s’agit on l’a compris des travailleurs précaires (contrats à durées déterminées) qui ont déjà fait l’objet d’un licenciement ou qui le seront à court terme. Il faut évidemment inclure dans ce lot de sans travail et sans ressources, ceux du secteur informel qui ne pourront même pas bénéficier des assurances chômage et maladies, du fait qu’ils n’y cotisaient pas.
S’il est vrai que les soins gratuits, le soutien des prix de certains produits de premières nécessités et les aides directes (cas des 10.000 DA d’aides aux plus démunis), auxquels il faut ajouter la magnifique solidarité manifestée par la société civile algérienne, permettent d’amortir quelque peu le choc des subites ruptures de revenus salariaux, mais ils ne sauraient remédier au traumatisme de la déchéance, que seul un rapide retour à l’activité professionnelle permettra de surmonter.