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Après le choc : relocalisations dans l’industrie, délocalisations dans les services

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Nous publions ci-après, avec son autorisation, une contribution du Professeur El Mouhoub Mouhoud paru sur le journal The conversation. Nous continuerons ainsi à alimenter le débat sur les répercussions économiques de la crise sanitaire du Covid 19.

Va-t-on à une « dé-mondialisation complète » sur des bases nationales, comme on l’entend parfois depuis l’avènement du Covid-19 ? Aucune certitude. Si les relocalisations sont amenées à s’accélérer dans l’industrie, un boom des délocalisations pourrait bien advenir dans les activités de services qui concentrent pourtant la plus grande majorité des emplois.

Au sens strict, la relocalisation, phénomène qui n’est pas nouveau, est le retour dans le pays d’origine d’unités de production, d’assemblage, ou de montage, antérieurement délocalisées dans les pays à faibles coûts salariaux. La production dans les pays d’origine se substitue aussi à l’approvisionnement à l’étranger en composants intermédiaires ou pièces détachées (outsourcing). Au sens large, la relocalisation peut se définir comme le ralentissement du processus de délocalisation ou la relocalisation à proximité des marchés régionaux.

En réalité, l’hyper-mondialisation de la fragmentation des chaînes de valeur mondiales s’essoufflait déjà dès la fin des années 2000 en raison du retournement des mêmes facteurs qui l’avaient stimulée dans les années 1990-2000. Les coûts d’approvisionnement et coûts salariaux unitaires dans les pays émergents sont partis à la hausse dès le milieu des années 2000 et les relocalisations se sont alors accélérées aux États-Unis, au Japon et en Europe.

D’autres facteurs expliquent la tendance à la relocalisation observée : l’accélération de la robotisation des chaînes d’assemblage, la hausse des coûts de transport et de transaction dans certains secteurs, ou encore les problèmes de délais de livraison, de qualité ou de sécurité des produits délocalisés.

Les ruptures d’approvisionnement liées au choc du Covid-19 n’ont fait que révéler au grand jour ces risques des délocalisations.

Sécuriser les approvisionnements

Tout d’abord, dans l’hypothèse d’une reprise économique mondiale, après ce choc, les tendances déjà visibles de la relocalisation devraient s’accélérer dans les secteurs à matières solides, qui ne rencontrent pas d’obstacles à l’automatisation des chaînes d’assemblage (automobile, électronique, mécanique, etc.), en particulier dans un contexte d’accès aux financements bancaires à coûts très bas.

La relocalisation est déjà une réalité dans les secteurs pondéreux ou volumineux sensibles aux coûts de transport et aux barrières commerciales. De leur côté, les entreprises des secteurs stratégiques (pharmacie, biotechnologies) dominés par la concurrence par l’innovation, qui sont dépendantes d’un petit nombre de fournisseurs en Chine ou en Inde par exemple, vont probablement relocaliser ou freiner les délocalisations de leurs approvisionnements.

Dans l’industrie pharmaceutique par exemple, dont on parle beaucoup depuis la crise sanitaire, les firmes investissent beaucoup dans le domaine de la recherche et développement (R&D) car l’innovation de produits est le mode de concurrence dominant dans le secteur.

Ces firmes délocalisent la fabrication des molécules de base (relativement standardisées) et se concentrent sur les activités de R&D et de marketing en Europe ou aux États-Unis.

Mais, en faisant produire leurs molécules standards dans des pays à plus bas coûts (en Chine ou en Inde), elles prennent le risque de rencontrer des problèmes d’approvisionnement en cas de crise comme celle du coronavirus.

Or, ces secteurs pharmaceutiques, biotechnologiques, ou informatiques à fortes dépenses en R&D sont aussi des secteurs où le nombre de fournisseurs est relativement faible. Le secteur fait alors face à deux enjeux : la dépendance avant et après l’échange et un potentiel opportunisme des fournisseurs.

Les gains procurés par ces opérations sont importants puisque les prix sont très élevés lorsque le produit est breveté, plus faibles mais à marges élevées pour les produits génériques.

Ces comportements de marge qui consistent à ne pas répercuter les prix des biens sur les coûts de production dans les pays de délocalisation mais à les aligner sur les coûts de production en France se retrouvent dans plusieurs secteurs comme le textile et l’habillement, les chaussures de sport, par exemple. Les risques d’approvisionnement sont alors peu pris en compte. La recherche de ces comportements de marge est aussi favorisée par l’impatience des actionnaires, ainsi que l’illustre la délocalisation de l’entreprise bretonne Plaintel qui fabriquaient les masques FFP2.

Cela laisse penser que les relocalisations en Europe (mais pas forcément en France) augmenteront dans ce type de secteurs. La relocalisation continuera également à se développer dans l’agroalimentaire avec le développement des circuits courts qui sont déjà une réalité.

Vers une délocalisation massive des services ?

Mais ce ne sera pas forcément le cas dans les secteurs manufacturiers à matières souples, dont les activités d’assemblage ne sont pas robotisables (textile, habillement, cuir, chaussures…).

Les effets de rupture dans les chaînes d’approvisionnement seront compensés par des délocalisations itinérantes, de la Chine au Vietnam, à l’Éthiopie ou dans le bassin méditerranéen. Les avantages des entreprises nomades de ces secteurs résident surtout dans leur maîtrise logistique.

Ensuite, et surtout, il convient de ne pas avoir les yeux rivés seulement sur les biens matériels, mais d’analyser aussi ce qui va se passer dans les activités de services aux entreprises et aux ménages (qui représentent 76 % des emplois en France).

Un boom dans les délocalisations, en l’absence de mesures de régulation, pourrait bien advenir après ce choc. Les services sont devenus potentiellement délocalisables malgré leur spécificité intrinsèque : la simultanéité des activités de consommation et de production.

Plusieurs facteurs expliquent cela :

  • Dans les banques ou les assurances, des centaines d’emplois de relation client, de comptabilité, d’informatique, de service juridique, voire même de recherche et développement (R&D), partent déjà chaque année dans des pays à plus faibles coûts.
  • En outre, sous-traiter des tâches de services à distance n’est pas sensible au protectionnisme commercial ni aux coûts de transports.
  • Enfin, les acteurs du secteur de la distribution comme de la production de services (banques, assurances, etc.) mais aussi les consommateurs (entreprises ou ménages) vont bénéficier d’un effet d’apprentissage et de réseau du confinement mondial dans l’usage des technologies numériques sans précédent.

Les aides d’État à la relocalisation peu efficaces

En l’absence de nouvelles régulations, cet effet d’apprentissage dans l’outsourcing ou la sous-traitance de services immatériels à distance touchera aussi les services de la connaissance à forte valeur ajoutée, y compris, paradoxalement dans le secteur de la santé et du soin. Cependant deux facteurs peuvent contrecarrer ce scénario.

Tout d’abord, les risques de ruptures numériques, de coûts de coordination et énergétiques croissants liés à l’usage de masse des technologies numériques, peuvent perturber la logistique de l’offre de services à distance. La fracture numérique continuera à exclure (une déconnexion forcée) des personnes, des territoires et des pays de la participation à la division internationale du travail.

Enfin, la mondialisation se traduit surtout par des stratégies d’accès aux marchés par les investissements directs étrangers (IDE), (c’est-à-dire des mouvements internationaux de capitaux réalisés pour créer, développer ou maintenir une filiale à l’étranger ou pour exercer le contrôle ou une influence significative sur la gestion d’une entreprise étrangère). Ce phénomène devrait s’accroître, dans l’hypothèse d’une reprise de la croissance mondiale, dans un contexte d’élévation des coûts de transport et de protectionnisme commercial qui rendent les exportations plus coûteuses.

Pour conclure, les relocalisations ne se décrètent pas verbalement. Mais il ne faut pas refaire les erreurs du passé en distribuant des aides financières aux entreprises sous diverses formes pour les aider à relocaliser. En effet, entre 2005 et 2013, sur environ 200 cas de relocalisations, seulement 7 % des entreprises ont recouru aux aides de l’État pour relocaliser.

Il est nécessaire de réfléchir, en incluant le plus grand nombre d’acteurs, à de véritables stratégies industrielles et de services. Une politique de filière aux niveaux national et européen pour stimuler les relocalisations fondées sur l’innovation doit s’accompagner de la mise en place d’un observatoire d’anticipation des chocs territoriaux des délocalisations. Sans quoi, la mondialisation reprendra son cours, comme après la crise de 2007-2008, en particulier pour les biens immatériels.

L’auteur de l’article ; le Professeur El Mouhoub Mouhoud est Docteur en Sciences Economiques de l’université Paris 1 Sorbonne (1991) et Agrégé des Facultés de Sciences économiques (1994), El-Mouhoub MOUHOUD est Professeur d’économie et Vice-Président de l’Université Paris Dauphine-PSL et chercheur au Laboratoire d’Economie de Dauphine, CNRS et IRD. Ses travaux de recherche actuels portent sur la mondialisation et ses effets, les délocalisations et les relocalisations des activités et les migrations internationales. Ses deux derniers ouvrages parus en 2017 : Mondialisation et Délocalisation des entreprises, La Découverte, Repères, 5ème édition et L’immigration en France. Mythes et Réalité. Fayard. 2017

Source : The Conversation

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