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Francis Ghilès, chercheur affilié au CIDOB : « Ni la Russie ni la France ne souhaitent voir la démocratie régner » en Algérie

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« Ni la Russie ni la France ne souhaitent voir la démocratie régner dans le plus grand pays d’Afrique », a affirmé, Francis Ghilès, journaliste et chercheur, expert international des questions énergétiques, affilié au Centre de relations internationales à Barcelone (CIDOB).

Dans une analyse sur la situation politique qui prévaut en Algérie, publié, samedi 24 août 2019, dans « Arab Weekly », l’analyste a expliqué que « lorsque le président français Emmanuel Macron et le président russe Vladimir Poutine se sont rencontrés lors de la retraite estivale du président de la République française à Fort de Brégançon (France, ndlr), ils ont évoqué en apparence les crises sans fin en Syrie et en Ukraine. Aucune mention n’a été faite de l’Algérie, pays qui fait rarement les manchettes en Occident, sauf occasionnellement en France. »

« Le 22 août a marqué six mois depuis le début de la révolte populaire, appelée Hirak, contre le régime, révolte qui a surpris la France, l’Union européenne, les États-Unis et les pays arabes, y compris les pays voisins de l’Algérie », a-t-il observé.

Pour Francis Ghilès « la façon dont la crise s’est déroulée a laissé des observateurs chevronnés et des diplomates encore plus abasourdis. Beaucoup avaient prédit que la violence serait le résultat inévitable de la révolte populaire de masse. Cela n’a pas été le cas et les tentatives des autorités pour ralentir l’accès à Internet ou bloquer les sites d’informations ont eu peu d’effet réel. »

« La mobilisation populaire ne s’est pas affaiblie pendant les mois d’été, comme l’avait espéré le général Ahmed Gaid Salah (chef de l’Etat-major et vice-ministre de l’Armée nationale populaire, ndlr). Les leaders du Hirak refusent de dialoguer avec lui ou avec ses pairs, et encore moins de nommer des représentants à tout conseil organisant des élections. Ils croient, à juste titre, que les officiers supérieurs n’ont pas l’intention de procéder à une élection présidentielle équitable », a-t-il relevé.

M. Ghilès a estimé que « si Gaid Salah tente d’organiser rapidement une élection présidentielle, le manque de candidats annulera le projet, comme ce fut le cas en juin », ajoutant que « des personnalités de la société algérienne ont conseillé aux leaders du Hirak de s’abstenir de tout engagement avec Gaid Salah jusqu’à ce qu’il révèle ses véritables intentions. »

« Les dirigeants étrangers qui ont des intérêts en Algérie sont inquiets. En l’absence d’une position américaine reconnaissable, la France et la Russie sont les deux principales puissances influentes en Algérie. D’autres, comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Chine et les pays arabes du Golfe, ont peut-être des intérêts économiques, mais ils n’ont guère de moyens d’influencer les événements, encore moins l’Union européenne », a-t-il analysé.

« Ni la Russie ni la France ne souhaitent voir la démocratie régner dans le plus grand pays d’Afrique »

Selon lui « ni la Russie ni la France ne souhaitent voir la démocratie régner dans le plus grand pays d’Afrique. De nombreux hauts responsables français se sont convaincus que la démocratie rendrait l’Algérie plus anti-française, tandis que la Russie ne voulait pas perdre un client riche comme l’Algérie en tant que grand acheteur d’armes. »

« La Russie sait que l’armée algérienne achète plus d’armes qu’elle n’en a besoin, ce qui fait que les commissions versées à certains généraux sont très lucratives. Gaid Salah a jeté des dizaines d’entrepreneurs en prison pour corruption, mais aucune affaire n’a été portée devant les tribunaux. Cela suggère qu’il essaie de divertir les foules mais n’a aucune intention de nettoyer les étables augias », a analysé encore Francis Ghilès.

Il a expliqué que « les responsables français savent que si des affaires devaient être portées devant les tribunaux, de nombreuses entreprises françaises seraient à l’origine de pots-de-vin. Ce qui est vrai pour les entreprises françaises est vrai pour d’autres, de l’Europe à la Chine, dont les contrats ont été une source majeure d’enrichissement du clan Bouteflika. »

« Les accusations de corruption portées contre les dirigeants algériens sont vraies, mais il faut être deux pour parler dans le système de libre-échange et le capitalisme de Far West dans lequel nous vivons. Ce qui est vrai dans le cas de l’Algérie est vrai ailleurs », a-t-il précisé. « Mieux vaut gérer le commerce international – et la corruption – à huis clos », a estimé l’analyste.

« Imaginez si l’Algérie élisait démocratiquement son président et ses députés, des gens qui avaient à coeur les intérêts du pays et non pas seulement le besoin pressant de se couvrir les poches », a-t-il dit, en ajoutant que « cela pourrait donner des idées à leurs pairs du Moyen-Orient, au détriment des banquiers occidentaux qui prospèrent grâce à la corruption des dictatures. Imaginez une Algérie qui se comporte de manière plus moderne et moins corrompue. La démocratie pourrait être contagieuse, à la grande horreur de beaucoup, notamment au Moyen-Orient », a-t-il expliqué.

« Macron et Poutine pourraient donc choisir de faire valoir que des élections libres et équitables risquent de placer les islamistes, et plus particulièrement les Frères musulmans, au pouvoir. Cependant, il est peu probable que de telles forces politiques soient en tête du scrutin », a estimé Francis Ghilès, selon qui « les tactiques alarmistes fonctionnent bien – ils pourraient même pousser l’argument et dire que des élections libres seraient un cadeau pour la Turquie et le Qatar, qui parrainent les Frères musulmans. »

(…) « Le Hirak, comme son équivalent au Soudan, est une vague très profonde qui ne s’arrêtera pas facilement. Si les dirigeants français et américains étaient capables de réflexion stratégique et de clairvoyance, ils s’en féliciteraient et diraient à Gaid Salah, poliment et strictement confidentiel, qu’une Algérie démocratique conforterait la position de la puissante armée du pays, en assurerait la sécurité générale, en particulier sur le plan intérieur, et donner une impulsion considérable aux réformes économiques indispensables qui pourraient, à terme, contribuer à la diversification de l’économie. Un tel changement ne pourrait que conforter les intérêts à long terme de la France et de ceux de l’Europe », a-t-il conclu.

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