Lancées au pas de charge juste après les événements d’octobre 88, les réformes qui avaient pour but de créer des ruptures systémiques avec les modes de gouvernance politiques et managériaux qui prévalaient jusqu’ alors, visaient en réalité à engager un nouveau projet de société qui devait donner un tout autre visage à l’Algérie. Une Algérie qui avait faut-il le rappeler, résolument pris option pour le pluralisme politique et l’économie de marché et la liberté d’entreprendre, désormais inscrits dans la constitution de 1989.
Ces réformes seront malheureusement détournées de leur objectif initial du fait de l’insécurité qui avait résulté de l’annulation des résultats des élections législatives remportées par le Front Islamique du Salut et l’injuste isolement diplomatique des autorités politiques algériennes auxquelles on reprochait précisément d’avoir mis fin au scrutin législatif alors qu’elles ne cherchaient en réalité qu’à se prémunir contre les dangers mortels de l’intégrisme islamique faisait objectivement encourir au pays. Des risques bien réels que les événements du 11 septembre 2001 mettront, du reste, brutalement en évidence.
Autre raison non moins importante a trait à l’instabilité gouvernementale qui s’est installée en Algérie de 1988 et duré jusqu’en 1999 avec l’arrivée au pouvoir de Abdelaziz Bouteflika qui conservera les rênes du pouvoir 18 ans durant et sans doute beaucoup plus s’il venait à briguer, comme tout porte à croire, un cinquième mandat présidentiel. Jusqu’à cette dernière date qui marque le retour à une certaine stabilité gouvernementale, l’Algérie avait connu 5 chefs d’Etat, 16 chefs de gouvernements et une pléthore de ministres. Chacun de ces gouvernants a souhaité impulser, au gré des circonstances et des arrières pensées politiques, une nouvelle dynamique aux reformes, mais au prix de fréquentes et brutales abrogations des réformes promulguées dans les années 88 et 90. Ces chamboulements législatifs engendreront une instabilité juridique qui compromettra le bon fonctionnement des institutions et déstabilisera durablement la mise ne œuvre des réformes économiques et sociales. Ces bouleversements juridiques et institutionnels récurrents seront à l’origine de pertes de temps qui retarderont, chaque année un peu plus, le processus de transition à l’économie de marché engagé juste après les révoltes d’octobre 1988 et dont l’aboutissement est aujourd’hui hypothétique en raison de ces pertes de temps engendrées par l’instabilité juridique et institutionnelle. Dans un pays où les remises en cause des engagements par des gouvernements qui se succèdent à courtes intervalles (un chef de gouvernement tous les deux ans en moyenne), le temps est devenu un facteur de déstabilisation chronique. Les chefs de gouvernement et les ministres duraient si peu à leurs postes, qu’ils n’avaient, dans le meilleur des cas, que le temps de remettre en cause les actions engagées par leurs prédécesseurs et rarement celui nécessaire à la mise en œuvre des actions qu’ils proposent à leurs places. De ces remises en cause érigés en mode de gouvernance, a résulté le désordre dans la conduite des changements qu’on continue à observer aujourd’hui encore, et le manque de visibilité politique et économique et la crainte bien réelle de voir les prochains gouvernements remettre en cause les acquis des réformes engagées par leurs prédécesseurs.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les retards et remises en cause des réformes d’un gouvernement à l’autre, résultent bien souvent des embellies financières générées par les augmentations cycliques des cours du pétrole. Ces dernières encouragent en effet les gouvernements à différer ou carrément à abandonner des réformes impopulaires. Les manques à gagner seront pris en charge par le budget de l’Etat qui continuera à financer des dépenses que ces réformes auraient pu éviter si le gouvernement avait eu le courage de les mettre en œuvre. C’est à l’occasion des afflux massifs de pétrodollars que resurgissent en effet les tentations de populisme avec, à la clé, le reniement des engagements pris, notamment, en matière de mise en œuvre des réformes économiques et d’orientation des entreprises privées vers des activités production plutôt que celles de la revente en l’état de produits importés dans lesquelles elles seront, pour la plupart, confinées. Convaincus que la manne financière dont ils disposent peut leur permettre de retarder, voire même, de faire l’impasse sur certaines réformes les autorités en place retardent ainsi, chaque année un peu plus, l’avènement d’une authentique économie de marché, imposant du coup au pays un système hybride, cumulant les tares d’un régime socialiste encore présent dans les esprits, et celles, d’un système libéral naissant, mais qui n’a pas encore bien pris ses marques.
De ces deux systèmes qui se juxtaposent, les algériens ne tireront, le plus souvent, que des désavantages. Mais toujours est-il, que les reformes qui ont pu être mises en œuvre et, notamment, celles engagées entre 1988 et 1995, ont tout de même induit des changements majeurs qu’on ne peut pas nier , à commencer par le bouleversement du champ des élites et celui, non moins important, de la gouvernance économique qui, à l’évidence, constituent les plus ruptures systémiques les plus significatives opérées par une Algérie fortement marquée par ses trente années de régime socialiste. Il faut, en effet, bien savoir qu’avant ces reformes qui ont ouvert les champs politique, économique et social, l’Algérie vivait sous le régime du parti unique conforté par des organisations de masses satellisées (Syndicats uniques des travailleurs, des paysans, des femmes etc.) et des entreprises étatiques auxquelles étaient dévolues des missions à caractères économiques et sociales.
Maintenues autoritairement dans leurs rôles de satellites du pouvoir en place ne peuvent toutefois nier qu’elles peuvent être débordées à tous moments par des organisations autonomes pour peu que la vigilance du pouvoir se relâche. Les nouvelles élites qui dirigent ces organisations indépendantes n’attendent que le bon moment pour entrer en scène et faire démonstration de leurs forces notamment par des grèves ou de l’agitation politique. On assistera sans doute bien souvent à ce genre de réactions portées par les nouvelles élites politiques, syndicales, économiques et autres à l’approche du scrutin d’avril 2019. Le spectre des grèves dans divers secteurs d’activité, de l’effervescence des partis d’opposition et des revendications patronales a déjà commencé à poindre avec le risque bien réel de prendre de l’ampleur au gré de la proximité du scrutin d’avril 2019.