Le « Think Tank » CARE a planché ce mercredi 19 septembre 2018 à l’hôtel Sofitel d’Alger sur le méga projet chinois des routes de la soie auquel l’Algérie vient d’adhérer officiellement à l’occasion du sommet sino-africain qui s’est tenu le 5 septembre 2018 à Pékin. Une conférence fort intéressante car bien documentée fut donnée par l’expert Mouloud Hedir souvent relayé lors des débats par le président de CARE, Slim Othmani.
Le conférencier a commencé par déplorer le peu d’engouement des médias pour ce projet chinois d’une ampleur mondiale, dont l’Algérie pourrait tirer d’énormes avantages en bénéficiant notamment d’intéressantes retombées sur l’économie et l’aménagement du territoire. Si ce projet n’emballe pas la presse algérienne c’est en réalité parce que les autorités chargées de négocier l’adhésion du pays à ce méga projet n’ont pas fait l’effort d’expliquer en quoi il consiste, quels avantages précis l’Algérie en attend et quelles actions doivent être entreprises pour que les objectifs économiques et commerciaux envisagés soient atteints. L’opinion publique algérienne étant arc boutée sur le fait que l’Algérie n’exporte que des hydrocarbures et importe pratiquement tous ses moyens de production et de subsistance, il est difficile de faire admettre le bien fondé de ces routes de la soie qui ne serviront en fin de compte qu’à acheminer vers l’Algérie des produits importés de Chine et autres pays exportateurs. Il faudrait, à l’évidence, une intense campagne médiatique, mais aussi et surtout, l’enclenchement d’une dynamique d’exportation hors hydrocarbure suffisamment apparente, pour que les algériens y croient et y adhèrent par conviction. Pour Mouloud Hedir, il faut absolument que l’Algérie et, plus largement le Maghreb tout entier, s’y préparent, car les infrastructures ferroviaires, routières et maritimes inscrites dans les programmes de ce maga projet ont déjà commencé à voir le jour, ou en bonne voie de réalisation, dans de nombreuses contrées du monde. Par ailleurs, les corridors terrestres (routes et rails) et maritimes devant recevoir les infrastructures et autres investissement programmés dans le cadre de ce méga projet sont déjà connus et acceptés par les nations concernées qui ont déjà commencé à leur donner un contenu concret. On peut citer sommairement les liaisons Chine-Mongolie-Russie, Chine péninsule indo chinoise, Chine-Asie Centrale, Chine-Pakistan et Chine-Afrique. Les financements chinois sont en grande partie mobilisés par des banques (Banque asiatique d’investissement, banques stratégiques chinoises), des institutions créées à cet effet (Banque de développement des « Brics », Fond des routes de la soie) et certains fonds souverains et privés de pays comme l’Arabie Saoudite, la Russie, la Turquie, l’Inde, Singapour et l’Egypte. Pas moins de 1200 milliards de dollars peuvent être levés uniquement au moyen de ces sources de financement nombreuse et for bien nanties.
La Chine ira jusqu’au bout de son projet car la réalisation de ces routes est d’une importance capitale pour elle. Elle doit en effet impérativement recycler les surplus commerciaux générés par son économie hyper active, placer ses énormes réserves de change, non pas comme elle l’a longtemps fait dans des bons du trésor américain, mais dans des investissements productifs à l’étranger. Elle doit également s’assurer un approvisionnement suffisant et régulier en énergie autant que possible plus propres que le charbon dont elle dispose. La Chine qui avait dépensé prés de 248 milliards de dollars en 2017 en achat d’hydrocarbures verra de surcroît ses besoins en énergies augmenter considérablement dans les toutes prochaines années, d’où sa légitime inquiétude et son désir d’aller les prendre là où elles se trouvent.
Considérant l’adhésion au projet de routes de la soie comme très bénéfique pour le pays Mouloud Hedir a été jusqu’à dresser une liste de projets qui pourrait être financé par des banques ou des institutions financières syndiquées autour de ce méga projet. A ce titre, propose de rendre éligibles à ces financements la création d’une zone franche d’exportation localisée dans le sud algérien, la réalisation d’une voie ferrée reliant Alger à Lagos en passant par Tamanrasset, la création d’une ferme pilote destinée à la production de semences, l’ouverture de lignes de transport maritime internationales et de cabotage ainsi que la réalisation de grandes infrastructures de production d’énergies renouvelables.
Des débats qui ont résulté de la conférence on retiendra l’inquiétude de l’ambassadeur de l’union européenne en Algérie qui craint que les routes de la soie ne détournent les partenaires traditionnels de l’Europe voisine au profit de la Chine lointaine. On notera également la crainte de certains entrepreneurs de voir leur pays continuer dans cette voie ruineuse du tout-importation qui ferait des infrastructures réalisées dans le cadre des routes de la soie, des corridors généreusement offerts aux exportateurs étrangers et, notamment, chinois. Bien des griefs ont évidement été émis à l’encontre des autorités concernées quant à leur absence de communication aussi à l’égard de la population qu’à l’égard des institutions publiques, le contenu de l’accord d’adhésion négocié en vase clos par on ne sait quel ministère, la tendance de nos gouvernants à privilégier le repli sur soi plutôt que l’ouverture sur le monde et, bien entendu, leur peu d’empressement à améliorer le climat des affaires qui continue à exercer un effet repoussoir sur les investisseurs.