Les indicateurs macro-économiques de l’Angola feraient rêver plus d’un pays en Afrique. Avec une population de seulement 28 millions d’habitants, l’Angola affichait en 2016 un Produit Intérieur Brut de 160 milliards $. Et pourtant…
Luanda, la capitale du pays ressemble par endroits à un petit paradis. Sa célèbre avenue de banques et ses kilomètres de jetés le long des plages de sable, n’ont rien à envier à des infrastructures urbaines de grandes villes de pays développés. L’accès à l’école s’est aussi amélioré et une classe moyenne conséquente est née.
Derrière ce joli tableau, se déroule pourtant la tragédie des inégalités qui touche des millions de personnes dans ce pays. Les buildings feutrés aux façades modernes de Luanda, se louent à des prix qui défient l’entendement dans un environnement où 40% de la population très pauvre dispose de moins de 700 $ par an pour vivre, très loin derrière la moyenne des 3400 $ de PIB par habitant. Et cette couche de la population ne gagnait pas davantage lorsque le PIB par habitant était de 6500 $, grâce à un prix du baril à 120 $. Aussi, des estimations officielles indiquent que seulement 36% des Angolais ont accès à l’électricité, ce qui laisse environ 15 millions d’habitants sans lumière ni énergie. Dans les zones rurales, le taux d’électrification est d’environ 8%. Par conséquent, plus de la moitié des Angolais utilise de la biomasse solide (charbon) et des déchets pour répondre à leurs besoins de chauffage et de cuisson. Qu’il s’agisse de pétrole ou de diamants, la richesse naturelle de l’Angola a toujours été une malédiction pour ses populations.
Avant que le pays ne devienne une puissance pétrolière
En 1975, bien avant que le pays ne devienne une puissance pétrolière, l’Angola avait une économie diversifiée et prospère. Son infrastructure était relativement bien développée. Elle était autosuffisante en produits alimentaires et agricoles et avait une économie orientée vers l’exportation.
Le secteur minier, en particulier dans les diamants et le minerai de fer, et le secteur manufacturier, axé sur l’industrie légère et les biens de consommation, ont été les principaux moteurs de l’activité économique en Angola, tandis que la production pétrolière et les exportations progressaient progressivement. Mais à cette époque, toute cette richesse créée était essentiellement répartie entre les colons portugais, qui faisaient l’ordre et la loi. Comme c’est toujours le cas dans ces circonstances, les populations locales étaient exclues des bienfaits économiques, qui intègrent l’accès à une éducation de qualité et le fait, par la suite, d’intégrer un emploi décent. Seuls les ressortissants portugais, leurs descendants et quelques privilégiés y avaient droit, laissant une importante part de la société angolaise sans formation, ni avenir.
Après l’indépendance de nombreux Portugais ont quitté l’Angola, ce qui a entraîné le départ de la majorité de la main-d’œuvre qualifiée du pays. Les colons partis, le pays a plongé dans une guerre civile pour la prise de contrôle du pouvoir et de ses privilèges. Pendant cette longue guerre civile, la production dans tous les secteurs économiques s’est pratiquement arrêtée, à l’exception du secteur pétrolier. En conséquence, l’économie bien diversifiée et largement autosuffisante d’autrefois, est devenue un système entièrement dépendant de la production pétrolière et de ses revenus associés. Mais cette circonstance historique, s’est aggravée par une gestion publique des plus opaques et peu efficace, menée de main de fer par Eduardo Dos Santos, l’ancien président, qui distribuait les cartes selon des règles que lui seul semblaient maîtriser.
Soutenu, ou du moins toléré par ses puissants amis, d’abord les multinationales pétrolières américaines, françaises et par la suite chinoises, le système Dos Santos a régné sans véritable partage sur la fortune angolaise. L’illustration la plus criante de cette saga est apparue lorsque Isabella, la fille du l’ex-leader angolais, a été propulsée « femme la plus riche d’Afrique »
Le pays des paradoxes
Dans un tel environnement d’opacité, les choix de gestion du gouvernement n’ont pas toujours été efficients. Même si l’équipe dirigeante actuelle tente de minimiser les faits, en expliquant que le pourcentage des pauvres a reculé de 20 points de pourcentage passant de 60% en 2001 à 40% en 2017, ce chiffre global cache de sérieux paradoxes. Dans les localités reculées notamment les zones anciennement occupées par les partisans de l’UNITA de Jonas Savimbi, la pauvreté est à son comble et, paradoxalement, ces localités difficiles sont traversées par des pipelines qui transportent du gaz, une autre des richesses de l’Angola. L’autre paradoxe de l’Angola, ce sont ces infrastructures de logements, construites avec de l’argent public et louées à prix d’or. Résultats, plusieurs millions d’Angolais vivent dans des conditions très précaires à côté de milliers de logements qui ne sont finalement pas occupées.
Certains autres aspects de la mal gouvernance dont a souffert le pays commencent à émerger aujourd’hui. En 2012, le président Eduardo Dos Santos a annoncé la formation du Fundo Soberano de Angola (FSDEA), un fonds souverain de 5 milliards de dollars qui « favoriserait la croissance, la prospérité et le développement social et économique en Angola ». Une initiative saluée, puisqu’on y voyait une manière de mieux employer les ressources du sous-sol. Hélas, José Filomeno dos Santos, 34 ans, fils du président, est nommé président du conseil d’administration du fonds. Par ailleurs Quantum Global un gestionnaire d’actifs qui était peu connu jusque-là, a été choisi pour gérer le fonds, quasiment sans appel d’offres. Les nouveaux dirigeants de l’Angola se sont penchés sur le dossier, qui aujourd’hui prend les allures de comptes et avoirs gelés dans des dizaines d’établissements à travers le monde. Un exemple, parmi de nombreux autres, du gaspillage de la rente angolaise.
Richement dotée en pétrole, l’Angola est aujourd’hui surendetté, au bénéfice notamment de la Chine. Harcelé par les Occidentaux qui plaidaient pour l’émergence d’une véritable démocratie et pour une meilleure gestion de la manne pétrolière, le président Dos Santos s’est tourné vers la Chine. L’empire du milieu, gourmand en énergie fossile, y trouvait une source abondante pour satisfaire une part importante de ses besoins. Il était prêt pour cela, à apporter son soutien à la construction des infrastructures en échange de pétrole.
De bonnes intentions mais de faibles marges de manœuvre
Mais des histoires de corruption ont aussi filtré dans les décisions prises par l’ancien président. Le nom d’un certain Sam Pa Nang, un ressortissant chinois installé à Hong Kong, a circulé dans des médias annonçant son arrestation, pour corruption de dirigeants africains, dont des officiels angolais. Récemment, le nouveau régime a ouvert une procédure contre le fils Dos Santos pour en savoir plus sur la connexion chinoise.
En attendant, le ratio de la dette angolaise vis-à-vis de la Chine fait ressortir des chiffres inquiétants. Elle se situe à plus de 21 milliards $. Un calcul rapide effectué par un média local, rappelait que chaque Angolais doit 756 $ à la Chine. C’est une année de revenus pour 40% de la population, les plus pauvres qui n’ont quasiment pas profité de ces gigantesques dépenses.
Le nouveau gouvernement affiche ses bonnes intentions, mais la situation est assez complexe. L’Angola demeure un important chantier, avec de grosses attentes de la part d’une population, qui reste largement sous-qualifiée et qui, pourtant, a besoin d’accéder à un nouveau cadre de vie. Par ailleurs, non seulement la production pétrolière baisse depuis les 10 dernières années, mais elle a atteint en 2017 son niveau le plus bas de la période. Dans ce contexte, le pétrole continuant de constituer l’essentiel des revenus en devises et de ceux du gouvernement, les marges de manœuvres sont très étroites pour l’équipe dirigeante.
Enfin, il faudra faire un habile arbitrage entre assainir les finances publiques et améliorer le niveau de vie des populations, au risque de déséquilibrer la balance des paiements et générer une inflation qui pourrait encore creuser les inégalités.
Ecofin