Lorsque David Cameron, Premier ministre britannique a lancé l’idée d’un référendum sur le maintien du Royaume Uni dans l’Union européenne, les partisans de l’Europe ont applaudi. Cette tactique leur paraissait habile : ouvrir un débat, avec la conviction que les opposants seraient ainsi en position de s’exprimer mais qu’ils ne trouveraient pas une majorité. Ainsi, l’appartenance britannique serait confortée, alors même que les contestataires auraient pu démocratiquement faire valoir leurs vues.
Depuis, ce qui initialement pouvait passer pour une manœuvre habile devient un piège totalement négatif, une opération « perdant-perdant ».
D’abord parce qu’en Grande Bretagne, l’opposition au maintien en Europe se révèle, jour après jour, plus importante. Au sein même du parti conservateur au pouvoir, les partisans du retrait se manifestent bruyamment. A l’intérieur même du gouvernement, Cameron a du accepter qu’un nombre important de ministres puissent se désolidariser et faire campagne pour la sortie de l’Europe.
Quant aux traditionnels anti-européens de toutes sortes, populistes, nationalistes, opposants socialistes, leurs rangs gonflent sans cesse.
Ce référendum, qui paraissait assez naturellement gagnable pour Cameron, devient incertain.
Avec des conséquences énormes. Pour le Royaume Uni d’abord. Quitter l’Europe est un geste d’humeur nationaliste anti-bruxelloise mais n’est pas une bonne affaire, économique, politique et diplomatique. Toutes les projections et scenarios montrent que l’économie britannique pâtirait d’une telle décision. La CBI, le patronat britannique, vient de publier une étude chiffrant les pertes du pays à plus de 100 milliards de livres, avec un PIB en baisse de 3 à 5% dans les 3 ans, et un million d’emplois détruits. Dans le même temps – conséquence historique – le Royaume Uni éclaterait puisque l’Ecosse a déjà indiqué que, forte de son autonomie, elle conserverait son adhésion à l’Europe. De ce fait, elle quitterait de ce fait le Royaume Uni, qui ainsi se trouverait démembré.
Dans l’autre sens, si on peut imaginer que de telles perspectives finissent par décourager un nombre suffisant d’opposants et que Cameron gagne son pari, il n’y a cependant pas de quoi se réjouir.
Car l’Europe que Cameron demande à ses compatriotes de choisir n’est qu’une pâle image du projet poursuivi par les autres pays. Si les britanniques répondent Oui, ce sera à une Europe de simple libre échange commercial, une zone de circulation des marchandises.
La Grande Bretagne ne participe qu’à une partie de l’Europe : elle n’appartient pas à la zone Euro, elle n’adhère pas à Schengen. Elle n’a pas participé activement au sauvetage de la Grèce, Portugal, Irlande. Elle n’a pas ratifié le traité budgétaire ni adhéré au nouveau règlement du système bancaire. Elle bénéficie d’un régime financier favorable, qui lui vaut un chèque annuel de ristourne.
C’est, en réalité, une Europe strictement limitée à une vaste zone commerciale, sans politiques communes, sans construction progressive, que veulent les britanniques. Les conditions posées au préalable dans ce sens par Cameron ont bien balisé les limites des conséquences du maintien du Royaume Uni.
Aussi dans ces conditions, peut-on s’interroger sur l’intérêt d’une telle réponse et sur ce que les Européens convaincus et décidés d’aller de l’avant ont vraiment à gagner.
En vérité, dans les deux hypothèses, l’issue est négative et c’est bien un deal « perdant-perdant » qui leur est proposé.
Dans ces conditions, pour conserver les mains libres et ne pas se trouver prisonnier d’un Cameron vainqueur sur de telles bases, mieux vaut, paradoxalement, souhaiter le Brexit et le retrait de la Grande Bretagne.
Le choc sera important mais il sera peut être salutaire et permettra aux véritables artisans d’une Europe unie et puissante de reprendre le cours fâcheusement interrompu de la construction en cours depuis 1958.
Jacques Bille