Les Algériens qui ont percé à l’étranger, dans les domaines les plus pointus, sont légion. Abdelkader Kherrat en est l’un d’eux. Diplômé, en 1987, de l’Ecole polytechnique d’El Harrach, dans la filière Génie mécanique, il est aujourd’hui ingénieur senior chez l’un des plus grands constructeurs aéronautiques msondiaux, le canadien Bombardier. Rencontré à la CIMA (Conférence internationale de mécanique et aéronautique) 2016, organisée par l’université Saad Dahlab de Blida, il nous livre dans cet entretien, son point de vue sur le développement d’une industrie aéronautique nationale.
Algérie-Eco: Peut-on connaitre votre parcours?
Abdelkader Kherrat: Je suis diplômé de l’Ecole polytechnique d’El Harrach. J’ai obtenu mon diplôme en 1987 dans la filière Génie mécanique. En 1982, quand j’ai obtenu mon Bac, je voulais m’inscrire à l’école militaire d’aviation de Tafraoui, dans la wilaya d’Oran. En plus d’être attiré par l’aéronautique, j’avais un penchant pour la carrière militaire. J’ai toujours admiré la discipline militaire. Sauf que ma famille n’appréciait pas mon souhait de m’engager dans l’Armée.
Ne me restait alors que mes penchants pour l’aéronautique. Non pas pour devenir pilote d’avion mais pour travailler dans la conception. Comme il n’y avait alors aucun établissement d’enseignement supérieur dédié à l’aéronautique: l’école de Blida a ouvert ses portes l’année où je suis parti. En 1987, pour être précis.
J’ai poursuivi mes études. J’ai préparé et obtenu deux magisters puis entamé un doctorat que je n’ai pas terminé. Entre-temps, j’ai intégré le groupe Bombardier. Un groupe parce qu’il comprend plusieurs divisions: entre autres, jets privés, avions de moyen courrier et division pour la construction de train, de tramway et de métro.
Quelle fonction y exercez-vous?
Je suis actuellement ingénieur senior. Je travaille sur les nouveaux produits; leur conception et leur certification.
Le PDG d’AGM-SPA, Bachir Dehimi, a affirmé que le développement de l’industrie mécanique pourrait aider au développement d’une industrie aéronautique nationale. Quel est votre avis et, selon vous, qu’est-ce qui retarde le lancement d’une telle industrie?
Je ne suis ni un planificateur ni un stratège. Mais je suis en mesure d’affirmer qu’il y a un avenir pour l’industrie aéronautique dans les pays du Maghreb. Chez nos voisins, les choses sont plus palpables. En Tunisie où activent présentement dans la fabrication de composants pour avin, pas moins de 30 entreprises.
Mais surtout au Maroc où Bombardier est déjà installé et où Boeing projette de le faire. Il faut dire que les autorités de ce pays se sont résolument engagées dans cette voie. En prenant en charge la formation des personnels techniques nécessaires aux activités de sous-traitance mais également en accordant aux grands constructeurs aéronautiques toutes sortes de facilités; financières et foncières entre autres.
Mais il est très possible qu’un autre facteur joue en faveur du Maroc: c’est l’image qu’il a, en Occident, de pays stable sur les plans politique et sécuritaire. Ce qui n’est pas le cas, malheureusement, pour notre pays qui continue à y avoir une image défavorable.
Est-ce à dire qu’en Algérie, on n’accorde pas l’importance voulue à ce secteur?
Sincèrement, je ne suis pas en mesure de me prononcer sur la question. Je suppose que les responsables du secteur économique ont une autre échelle de priorités. Il est très possible qu’ils tablent, en priorité, sur une relance des secteurs de l’industrie lourde, de la mécanique et des hydrocarbures; des secteurs où l’Algérie est le leader incontesté dans la région du Maghreb.
Mais cela ne signifie aucunement qu’il n’y a aucune stratégie dans le secteur. Il suffit de savoir que notre pays s’est engagé depuis le milieu des années 80 dans le développement de secteur. Avec l’ouverture de l’Ecole d’aéronautique de Blida mais également avec le lancement de la fabrication de petits avions utilitaires; les fameux « Zlin » utilisés par les aéro-clubs et par le secteur de l’agriculture dans l’épandage de certains produits phytosanitaires.
Une activité dont se charge aujourd’hui l’ECA (Entreprise de construction aéronautique) qui relève, je pense, du ministère de la Défense nationale. Le modèle algérien porte le nom de « Fernass ». Pour celui à quatre places, le nom de « Safir ».
S’agit-il, alors, d’une absence de vision claire à propos de ce secteur?
Je n’irai pas jusque-là, mais je me dois d’insister sur la nécessité qu’a notre pays à accorder toute la considération voulue au développement d’une industrie aéronautique nationale. Et ce, pour au moins deux raisons: la création d’emplois que cette industrie génère. Au Maroc, ils sont aujourd’hui à quelque 25 000 employés dans le secteur.
Et la tendance qu’ont aujourd’hui tous les grands constructeurs aéronautiques à délocaliser leurs activités. Pour des raisons évidentes de rentabilité. Si les constructeurs nord-américains se sont naturellement tournés vers le Mexique pour des raisons évidentes de proximité, les constructeurs européens ne pourront que se tourner vers les pays maghrébins.
Des raisons auxquelles il faudrait ajouter une troisième; tout aussi importante: le formidable développement du secteur de la PME que cette industrie génèrera: l’industrie aéronautique dans nos pays, à travers la sous-traitance. Une activité d’autant plus intéressante que les composants entrant dans la fabrication d’un avion se comptent en dizaine de milliers. Pour les seules ailes, ils sont quelque 1000. C’est dire la nécessité de s’engager au vite dans le développement d’une industrie aéronautique nationale.