Si les économistes savent parfaitement comment arrêter une économie, ils ne savent par contre pas, comment la remettre en route après un long moment d’inactivité. On ne trouve en effet aucun cas d’école semblable dans la pensée économique universelle et la panne générale qui affecte pratiquement toutes les économies du monde à cause d’un virus insaisissable, est unique dans les annales de la science économique.
Avec les dé-confinements qui commencent à s’opérer ça et là à travers le monde, gouvernements et entrepreneurs se mettent à réfléchir aux voies et moyens à mettre en œuvre pour engager du mieux possible la reprise des affaires. S’ils ne mesurent pas concrètement l’ampleur des difficultés techniques qui surgiront au moment du redémarrage des chaînes de production et des commerces, les uns et les autres savent que le business n’a de chance de repartir durablement que si la demande, autrement dit la consommation, est au rendez vous. Et de ce point de vue, il n’y a malheureusement en Algérie ni chiffres, ni données économiques et sociales fiables pour prendre la mesure de l’état des lieux de notre économie. Le pouvoir d’achat des algériens et la capacité de l’Etat à engager des commandes selon la formule keynésienne, sont ils en mesure de donner suffisamment de travail aux entrepreneurs et aux commerçants qui activaient avant la pandémie ? Faute d’évaluation précise sur la situation présente et future, gouvernement et entrepreneurs, sont en effet contraints de naviguer à vue en se contentant de parier sur l’argent encore disponible au trésor public et chez certains acteurs économiques (épargnants, banques, hommes d’affaires disposant de cash etc.). Il faut en effet se rendre à l’évidence que la demande solvable sera fortement pénalisée par les pertes de revenus salariaux qu’ont subies et subiront sans doute encore davantage dans les prochains mois des centaines de milliers de travailleurs, subitement mis au chômage sans aucune indemnité, ni aides, hormis le modique don de 10.000DA accordé aux plus nécessiteux.
En plein désarroi les entrepreneurs et les commerçants sont d’ores et déjà tourmentés par un certain nombre de questions qui ne manqueront pas de se poser à eux lorsqu’ils pourront enfin reprendre leurs activités. Comment remettre en marche des procès de production figés depuis plusieurs mois ? Pourront-ils récupérer les travailleurs qu’ils avaient formés ? Les machines à l’arrêt depuis plusieurs mois pourront-elles redémarrer sans gros problèmes techniques le jour de la reprise ? Les approvisionnements en matières premières seront-ils disponibles? Dans quel état sont les fournisseurs qui ont, tout comme eux, été obligés de fermer aussi longtemps? Avec la crise économique et financière qui s’annonce, les importations d’inputs dont dépendent les usines seront elles garanties ? Les crédits bancaires le seront-ils accordés en dépit des pertes que le confinement leur a fait subir ? Enfin comment récupérer les pertes englouties dans le paiement sans contre partie productive, des loyers, des taxes, des impôts et cotisations sociales durant la période d’inactivité ?
Les patrons d’hôtels, de restaurants, de sociétés de transport, des écoles et crèches privées, évoquent également les difficultés qu’ils devront affronter au redémarrage de leurs activités. Les premiers devront réduire leurs capacités d’accueil pour respecter les impératifs de distanciation sociale et dans ce cas la rentabilité économique sera automatiquement compromise. Les directeurs d’écoles et de crèches privées devront impérativement trouver le moyen d’amortir les dépenses de loyers versées aux bailleurs du temps où leurs activités étaient suspendues. Ils se poseront également la question de savoir s’ils retrouveront le jour de la réouverture leurs personnels chèrement formés et s’ils trouveront facilement sur le marché les produits de protection (masques, gestes barrières, antiseptiques etc.) et s’il leur sera possible d’augmenter les prix de leurs prestations ?
Les transporteurs de marchandises et de voyageurs qui ont été mis à l’arrêt trois mois durant, devront quant à eux, acheter plus cher des carburants qui vont augmenter sensiblement après adoption de la loi de finance complémentaire pour 2020, alors que les prix du transport sont administrés. Seront-ils autorisés à répercuter ces hausses de prix des carburants sur les clients? Aucune réponse de la part des pouvoirs publics ne leur a, pour l’instant, été fournie.
Autour de ces préoccupations centrales qui ne manqueront pas de se poser aux entrepreneurs et commerçants à l’heure de la reprise, il y a un épais brouillard que le gouvernement tarde à dissiper, sans doute parce qu’il n’a pas les moyens d’affronter la crise multidimensionnelle qui affecte le pays, mais aussi et surtout, parce que la direction politique du pays parait éclatée en plusieurs centres de décisions que l’on perçoit à travers les fréquents télescopages de décisions qui émanent du gouvernement. Cette manière de gérer la crise par le mutisme et les controverses est de nature à amplifier l’incertitude et la crainte des lendemains qui sont les « bêtes noires » des entrepreneurs.
Il est vrai que le gouvernement n’a pas le beau rôle. Avec des rendements fiscaux en chute libre, des perspectives plutôt sombres en matière de recettes pétrolières et des réserves de changes en perdition, il éprouve déjà, comme le prouvent certaines dispositions de la loi de finances complémentaire pour l’année 2020, des difficultés à assurer les salaires et indemnités de sa pléthore de fonctionnaires. Aider les entreprises à se remettre sur selle, ne sera de ce fait, pas du tout aisé.. A moins qu’il contracte des dettes extérieures à des taux faramineux, on ne voit pas comment le gouvernement s’y prendra pour faire face à toutes ces dépenses incompressibles qui l’attendent cette année déjà, mais pire encore, l’année prochaine.
La reprise de l’économie algérienne à travers ses entreprises et ses commerces sera à l’évidence très problématique et le gouvernement n’a pour l’instant présenté aucun plan allant dans le sens d’une reprise rationnelle sous la protection de l’Etat. La loi de finances complémentaire ne contient aucune mesure allant dans ce sens. Aucun budget de soutien aux entreprises en difficultés n’est pour l’instant envisagé. Les bas salaires ont par contre été augmentés sans prendre en compte les soucis financiers des employeurs. Les prix des carburants qui seront fortement augmentés impacteront négativement les charges des entreprises déjà soumises à la rude épreuve des pertes engendrées par leurs longues fermetures. Comme on peut le constater, tout semble avoir été fait, consciemment ou pas, pour accroître encore davantage les difficultés des entreprises qui auront réussies à survivre à la dure épreuve du confinement. Sans aide frontale de l’Etat la reprise des activités sera à l’évidence hasardeuse pour toutes les entreprises et commerces sorties exsangues d’une longue période d’hibernation. Comme l’ont fait pratiquement tous les pays du monde, l’Etat algérien devra lui aussi adopter la stratégie keynésienne consistant à mettre la main à la poche pour sauver les entreprises de la faillite et l’économie nationale de la récession qui s’annonce.