Pierre Louart, docteur en gestion et ancien président des Instituts d’administration des entreprises (IAE) revient dans un entretien exclusif pour Algerie-eco sur le développement économique algérien et sur l’importance de la formation dans le développement de compétences locales.
Question : Pierre Louart, bonjour, vous avez pu observer lors de vos rencontres et vos différents voyages en Algérie le développement économique du pays, pouvez-vous nous dépeindre ce système dans ses grandes lignes ?
Réponse : On se trouve dans un pays qui a vraiment un très gros potentiel. On parle souvent des ressources énergétiques de l’Algérie. Même si à terme il y a moins de ressources ou en tout cas moins de moyens financiers issus du pétrole ou du gaz, on sait très bien que dans les énergies renouvelables avec le soleil et le Sahara, l’Algérie reste un pays qui a une ressource énergétique considérable et qui doit effectivement consolider ce potentiel global.
Ce que je trouve fort intéressant en rencontrant des cadres algériens des différents secteurs, c’est que tous les secteurs quels qu’ils soient cherchent à progresser. La progression du secteur public n’est pas la même, c’est vrai, il y a encore un certain nombre de routines, de contraintes administratives d’enjeux un peu lourds, mais on voit quand même des volontés de performances arriver et se développer.
Ensuite, il y a le secteur international qui permet aux algériens d’apprendre la compétition économique avec des produits ou des structures pour lesquels le management est chinois, européen ou international. Et puis, il y a un certain nombre d’entreprises privées dirigées par des algériens qui se développent et on voit bien tout ce qui se met en place autour du Forum des chefs d’entreprises (FCE) par exemple. J’ai aussi entendu beaucoup de jeunes souhaiter créer des entreprises et on sent beaucoup d’énergie, beaucoup de bonne volonté et de dynamisme. Evidemment, il y a un certain nombre d’aléas aux aspects politiques ou économiques mais pas forcément plus qu’ailleurs.
Et du point de vue français je trouve très injuste que l’on soit encore très prudent avec l’Algérie pour des raisons historiques. Alors que l’on est quand même dans un partenariat très étroit entre la France et l’Algérie. La France reste le territoire où s’expatrient le plus les Algériens. On est en rapport avec l’Algérie, comme la Belgique est en rapport avec le Congo. Il y a de vieilles histoires mais aussi une capacité fraternelle de développement.
Dans quelle mesure la France joue un rôle dans l’émergence et le développement des compétences en Algérie ?
Elle devrait en jouer un bien plus important. Mais en vrai partenariat. Il faut arrêter de rester dans des logiques de peur ou d’inquiétudes. Il y a encore une inquiétude qui est liée à l’histoire, aux dix années difficiles qu’a traversé l’Algérie. Ça disparaitra d’autant que l’Algérie s’ouvrira au tourisme, à des choses qui nous permettrons de la voir sous des aspects différents que ceux que l’on observe aujourd’hui. Je crois que de ce point de vue là, même si l’Algérie n’a pas développé le tourisme pensant ne pas en avoir besoin contrairement aux pays voisins, il est important de diversifier les ressources. Quand il faudra redévelopper l’agriculture ou certaines industries par exemple, mettre en place des activités pétro-énergétiques différentes, élargir la pétrochimie, développer des organisation nouvelles, il doit y avoir un partenariat accru entre la France et plus largement l’Europe et l’Algérie et plus globalement le Maghreb. On est pour moi, très liés pour le passé, pour le présent mais aussi et surtout pour l’avenir. Il faut réfléchir par rapport à ça et abandonner les préjugés dans un mode de coopération réel à niveau égal.
Je crois qu’aujourd’hui il y a besoin de passer par toutes les volontés actives qui sont nombreuses et efficaces et d’apprendre aussi à la population à sortir d’une sorte d’inertie, dont elle a eu l’habitude parce qu’elle était protégée, parce qu’elle a reçu des revenus pétroliers à des moments où c’était possible. Il y a des mouvements qui peuvent entraîner de nouvelles choses et le développement du pays notamment dans l’enseignement.
Un des plus gros chantier pour le développement économique de l’Algérie c’est la formation ?
Oui on est dans une économie de la connaissance. Ce que je trouve aussi très positif c’est le développement des universités et de l’enseignement supérieur. Il y a un vrai potentiel de formation qui se met en place et qui permettra à l’économie algérienne d’avoir des ressources compétentes en rapport avec son développement économique.
Même dans des grandes entreprises où il y a beaucoup de connaissances internes, ces compétences doivent être réorganisées en permanence parce que le savoir évolue. Si l’on veut passer d’une époque où l’on consomme le pétrole comme un combustible avec des problèmes de prix du baril qui est trop faible et qu’on veut le transformer en pétrochimie ou en textile, il y a besoin de redéfinir et de reconstruire des compétences qui soient adaptées.
Il y a besoin d’être vigilant dans le domaine de la formation parce que c’est le nerf de la guerre économique. Sans formation vous ne faites pas monter les gens en compétences.
Pour faire « monter les gens en compétence » il faut aussi une bonne gestion des ressources humaines, quelle conception avez-vous du système managérial algérien ?
Je trouve qu’il y a des managers extrêmement astucieux, notamment ceux qui ont construits leur entreprise il y a 20 ou 30 ans et qui ont traversé des moments très difficiles mais qui s’en sont tirés et qui ont donc une capacité stratégique et managériale extrêmement importante. Et il y a des jeunes très brillants qui ont envie de développer l’activité et qui sont pleins de ressources. Il y a besoin probablement de développer des visions stratégiques et de montrer qu’on peut développer l’activité dans toutes sortes de secteurs. Evidemment, il y a des secteurs qui sont porteurs. Je suis très surpris de l’absence de volonté de re-développer l’agriculture.
Il faut bien trouver les unités stratégiques de développement mais aussi être capables de former massivement le plus possible d’habitants. Il faut passer directement de l’ère traditionnelle à l’ère de culture. Ce qui est possible parce que l’Algérie a les moyens et est habile et intelligente. Il n’y a pas de problème de capacité mais il faut se mettre à l’apprentissage.
L’Algérie a mis en place une politique de formation à tous les niveaux et c’est très bien. Les gens ont tous un minimum de formation. Il ne faut pas faire comme certains pays, qui ont développé une caste d’intellectuels et il n’y a en dessous que des illettrés. Il faut consolider ce savoir-faire car s’il y a des cadres et des dirigeants mais qu’il n’y a pas de gens formés et qu’il ne peuvent pas créer de boites, ils vont s’expatrier.
Dans le domaine de la formation, il faut un gros travail qui doit être fait pas des institutions, des universités, par des écoles de moyenne dimension, par des lycées, par des collèges,… qui doivent regarder de plus près ce qui est important pour le pays en partenariat avec des entreprises.
Au fond, il faut développer à nouveau des capacités partout, de réflexions stratégiques sur des zones de développement, qui correspondent à des ressources anciennes actuelles ou futures (dans l’énergie, dans l’équipement, dans certaines technologies, dans l’agriculture), se donner les moyens de ce développement par des redistributions financières et des modes d’accompagnements financiers appropriés et par la formation adaptée aux besoins.
Propos recueillis par Sarah Mechkour