En l’absence de stratégie, ce sont les lois de finance annuelles et complémentaires qui font traditionnellement offices de politique économique en Algérie. Les hommes d’affaires comme le commun des algériens, les attendent non sans inquiétude, pour y trouver les nouvelles mesures qui vont conditionner leurs vécus personnels (nouvelles taxes et impôts, éventuelles exonérations, soutiens de prix des produits et services de premières nécessité etc.) et la gestion de leurs affaires (impôts et incitations, taxes économiques et commerciales etc.).
Les lois de finance ont pour habitude de dépendre en grande partie du niveau des recettes fiscales (pétrolières et ordinaires), des réserves de change et, bien entendu, du déficit budgétaire toléré. Tant que ces trois paramètres d’appréciation étaient favorables à une politique de redistribution, les gouvernements y allaient de leur générosité pour contenter toutes les classes de la société, chacune étant gratifiée d’une part de la rente. Ça ne sera évidemment pas le cas cette année, tant les recettes pétrolières se sont amenuisées, les impôts et taxes fortement réduits par la baisse des activités économiques et le déficit budgétaire impossible à creuser davantage tant il est déjà trop élevé aujourd’hui (7,2% du PIB).
L’année 2020 se présente pourtant comme une année particulièrement gourmande en disponibilités financières, tant les problèmes économiques et sociaux se sont accumulés et attendent des traitements urgents, au risque d’embraser le front social et de provoquer l’effondrement de l’économie. Le gouvernement est également tenu d’agir contre la pandémie de Coronavirus qui exige des dépenses supplémentaires incompressibles pour y faire face. Uniquement sur ce dernier volet, l’Etat a du engager plus d’un milliard de dollars pour acquérir les équipements, les médicaments et tous les accessoires de protection indispensables. Les dépenses iront très certainement crescendo au gré du nombre de malades qui ne cesse d’augmenter et de la logistique de plus en plus massive qu’il faudra assurer jusqu’à l’extinction de la pandémie. Il ne faut également pas oublier que l’Etat est redevable de l’indemnisation des pertes occasionnées aux entreprises qu’il avait contraintes de fermer et des salaires des travailleurs mis au chômage dans ce cadre de lutte anti pandémique. Ces indemnisations pourraient atteindre, voire même légèrement dépasser 2 milliards de dollars, selon les premières estimations.
La loi de finance complémentaire pour l’année 2020 doit également se préoccuper des dépenses liées à certaines activités politiques sur lesquelles la nouvelle équipe au pouvoir compte pour redorer son blason terni par un ensemble d’événements politiques et sociaux nés de la mauvaise gestion de la fronde populaire qui dure depuis février 2019 et qui risque d’occuper à nouveau le devant de scène dés la fin du confinement, avec tous les risques de dérapages que cela comporte. Abdelmadjid Tebboune compte ainsi augmenter de 2000 DA le SMIG actuel et exonérer d’impôts les salaires inférieurs à 30.000 DA. Un budget important est par conséquent à prévoir dans ce cadre, auquel il faudra ajouter toutes les dépenses à prévoir pour financer le référendum sur la nouvelle Constitution et l’élection législative que Tebboune souhaite organiser avant la fin de cette année.
Mais d’où tirer donc tout cet argent nécessaire au financement de ces dépenses nombreuse et incompressibles, que le gouvernement prévoit d’engager durant les six prochains mois ?
La première possibilité serait de faire appel aux grands argentiers que sont le FMI et la Banque Mondiale, mais Abdelmadjid Tebboune la rejette d’emblée sous prétexte de risque perte de souveraineté politique.
La seconde pourrait consister à dévaluer d’au minimum la moitié, la parité du dinar par rapport aux devises fortes et, notamment, le dollar qui est la monnaie de compte de nos recettes d’hydrocarbures. Mais là aussi, il y a refus, car une aussi forte dévaluation serait de nature à engendrer une inflation si forte qu’elle anéantirait le pouvoir d’achat déjà très faible des algériens. Cela mobiliserait encore davantage le Hirak, ce que le pouvoir veut à tous prix éviter.
La planche à billet est également évoquée, mais comme elle fait partie des reproches faits à l’ex premier ministre Ahmed Ouyahia, aujourd’hui incarcéré pour diverses raisons, y compris cette dernière, le gouvernement n’osera certainement pas le faire, du moins publiquement. Il faudra atteindre les prochains mois pour connaître son intention en la matière.
Il y évidemment, le déficit budgétaire que le gouvernement pourrait creuser pour affronter les dépenses des six prochains mois, mais le niveau exagérément élevé qu’il a déjà atteint (7,2% du PIB), réduit considérablement la marge de déficit supplémentaire possible. Compter sur une très hypothèque réduction des dépenses de fonctionnement des administrations et de certaines importations, pour économiser une dizaine de milliards de dollars, serait hasardeux, tant les gouvernements précédents n’avaient, pour diverses raisons, jamais réussi à mettre en œuvre ce genre d’initiatives qui relèvent beaucoup plus du slogan que d’un choix sincère de bonne gouvernance.
Ayant rejeté d’emblée toutes ces sources de financement possibles, Abdelmadjid Tebboune, s’est tourné vers les acteurs du marché informel qui recèleraient selon lui des disponibilités financières considérables. On évoque le chiffre jamais prouvé de 5OO milliards de dinars de capitaux oisifs qui pourraient être mobilisés pour peu qu’on donne à ces acteurs les moyens de s’organiser en créant notamment des banques et des marchés financiers. Tebboune oublie qu’il n’y a pas de possibilité d’affaires sans stabilité politique et juridique, et de ce point de vue l’Algérie ne réunit pas ces conditions nécessaires aujourd’hui et ne les réunira sans doute pas de si tôt, tant que le pouvoir algérien privilégiera la solution sécuritaire qui ne fait que prolonger la crise, à celle beaucoup prometteuse du dialogue politique.
Le casse tête des sources de financement pour alimenter le budget complémentaire de l’année 2020 n’étant pas résolu, le gouvernement algérien continu à avoir les yeux rivés sur les cours pétro-gaziers en priant pour qu’ils remontent. Même si les prix du baril ont pu gagner quelques maigres dollars cette semaine, on est évidemment loin du compte. Il faut en effet savoir que cette loi complémentaire pour l’année en cours, est bâtie sur un baril à 50 dollars, alors que ce dernier n’a guère dépassé les 30 dollars en moyenne, durant ces quatre derniers mois. Convaincus que les prix du brut resteront à ce niveau au minimum jusqu’à la fin de cette année, les experts de la Banque Mondiale (Rapport d’avril 2020), prévoient dores et déjà, une baisse d’environ 51% des recettes d’exportation, un déficit de la balance des paiements qui dépassera allègrement 18% du PIB, des réserves de change inférieures à 24 milliards de dollars et un taux de croissance négatif.