Présent dans tous les procès des affaires de corruption impliquant d’anciens hauts responsables et hommes d’affaires, Me Zakaria Dahlouk, l’avocat du trésor public, s’est exprimé mercredi dans un entretien accordé au quotidien Le Soir d’Algérie. Me Dahlouk estime que les procès qui sont déjà jugés n’ont révélé qu’une « partie de l’iceberg » et que « le pire est à venir ».
« Oui, il m’est arrivé d’être impressionné, voire choqué car à la place où je me trouve, on réalise l’impact des préjudices sur la société. Autour de moi, je vois des gens qui peinent à vivre décemment, à manger parfois, alors qu’ailleurs, on gaspillait des milliards et des milliards », a-t-il dit en réponse à une question sur son impression sur les sommes dilapidées communiquées lors des procès traitant des affaires corruption.
Pour Me Dahlouk : « C’est une catastrophe à tout point de vue. Le mal est énorme, difficile à réparer, il se calcule en milliards de dollars et se répercute sur tous les citoyens, pas seulement le Trésor public, c’est notre argent. Au cours des procès précédents, on a pris connaissance des dégâts occasionnés par la corruption. C’est déjà beaucoup, mais le pire est à venir ».
« Les procès qui sont passés ont révélé une partie de l’iceberg. Oui, le pire est à venir dans des dossiers où l’on apprend que des sommes d’argent énormes ont été détournées. Ce sont des dossiers qui révèlent davantage combien le mal est profond et cette volonté délibérée de nuire au pays », a expliqué l’avocat qui est cette voix qui s’élève dans les salles où se déroulaient les procès pour énumérer les sommes colossales dilapidées. « Nous savons que l’affaire de Mahieddine Tahkout arrive également. La Cour suprême a transmis le dossier au tribunal de Sidi-M’hamed qui devrait normalement programmer le procès après la finalisation de l’arrêté de renvoi », a-t-il précisé ajoutant que « je n’ai pas encore le document, ce que je sais, c’est que ce sont des sommes importantes en dinars, euros et dollars ».
« Le préjudice causé dans les affaires traitées jusque-là s’élève à 10 000 milliards DA »
Selon l’avocat du Trésor public, le préjudice causé dans les affaires traitées jusque-là (l’affaire l’automobile et du financement occulte de la campagne pour le cinquième mandat et celle de la famille Hamel), s’élève à 10 000 milliards de dinars. « L’instruction et les expertises ont démontré que le préjudice s’élève à 10 000 milliards de DA », a-t-il révélé. « Je vous le redis, le pire est à venir. Lorsqu’on observe ce qui s’est passé, on est envahi par un sentiment de révolte. Comment ? Qu’est-ce qui a fait qu’une poignée de personnes aient pu gérer tout cet argent ? C’est la dimension d’un budget d’un continent, autour de nous les pays ne dépensent pas autant », a-t-il indiqué.
Concernant les biens immobiliers acquis de manière irrégulière par ces hauts responsables et hommes d’affaires impliqués dans les affaires de corruption, Me Dahlouk a fait savoir que sur les quarante-huit wilayas, une vingtaine sont touchées par ce mal. « Prenez l’affaire Hamel. Les biens fonciers et immobiliers sont au nombre de quarante-neuf entre Alger et Oran uniquement (24 à Alger et 25 à Oran) », a-t-il précisé.
« Les anciens ministres inculpés ont laissé faire, ils ont agi par complaisance, octroyé d’indus avantages, ils ont permis des investissements et ont bénéficié à leur tour d’avantages, des pots-de-vins : foncier, biens immobiliers… Ils ont fait dans le favoritisme, le délit de favoritisme a été bien établi et ils ont été jugés sur cette base. Mais je le répète, le plus révoltant est qu’ils ont agi dans l’intention délibérée de nuire. Il y avait une volonté réelle. Dans quel but ? Nul ne le sait », a-t-il ajouté.
« Bouchouareb, c’est l’une des personnes qui a causé le plus de tort à l’Algérie »
Interrogé s’il y a une personne parmi ces hauts responsables et hommes d’affaires qui sort du « lot », Me Dahlouk a indiqué que « sans conteste Abdeslam Bouchouareb ». « C’est l’une des personnes qui a causé le plus de tort à l’Algérie », a-t-il dit, en expliquant que « sa mauvaise gestion était volontaire et elle a entraîné une saignée de l’argent public ». « Il a fait des lois qu’il a outrepassées. C’est du jamais vu dans les annales de la justice. L’affaire des 26 milliards des années 80 n’est rien comparée à ce à quoi nous assistons », a estimé l’avocat du Trésor public..
Pour rappel, Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre de l’industrie et des mines en fuite à l’étranger, a été condamné par contumace à 20 ans de prison ferme dans l’affaire du montage automobile. La Justice algérienne a émis un mandat d’arrêt international à son encontre.
« C’est comme dans le dossier Haddad, il y a jonction avec plusieurs secteurs, c’est multisectoriel. L’automobile n’est qu’une partie de leurs activités. Ils ont touché à tout, l’import-export, la cimenterie, l’industrie, l’hydraulique, le domaine pharmaceutique, le sport et même la poudre de lait pour bébé… » a expliqué l’avocat en réponse à la question « Pourquoi l’affaire Tahkout n’a pas été associée au dossier automobile ? »
Pour ce qui de la confiscation des biens de ces personnes impliquées dans les affaires de corruption et ordonnée par la Justice, l’avocat a fait savoir que « les procédures ont été enclenchées et qu’elles vont bon train ». « Les biens qu’ils détiennent à l’étranger sont également concernés puisque l’Algérie a ratifié la convention internationale portant sur la corruption », a-t-il souligné. « Je ne peux pas les dévoiler, mais elles ne sont pas simples. Leurs sociétés également sont à l’arrêt », a-t-il affirmé.
Selon lui, deux cents (200) entreprises sont concernées par ces procédures et qui sont à l’arrêt avec une moyenne de « dix sociétés par homme d’affaires et pas forcément dans l’automobile. Je vous l’ai dit, ils ont touché à tous les secteurs ». L’avocat a assuré que tous les comptes appartenant à ces personnes impliquées dans la corruption « sont gelés » et « il n’y a aucune liquidité ».
A la question de savoir quel est le secteur qui a été le plus affecté par la corruption », Me Dahlouk a répondu que c’est l’industrie. « Ils ont ciblé le poumon de l’économie nationale, le secteur stratégique, névralgique, générateur d’emplois. Et l’architecte de ce chaos est Abdeslam Bouchouareb », a-t-il conclu.