En écrivant son pamphlet contre le hirak, l’écrivain Kamel Daoud a, sans doute à son insu, conforté toutes ces élites qui, par leurs écrits ou leurs propos sur les plateaux de télévisions, avaient pris le mouvement populaire du 22 février, pour cible bien avant lui. Toutes ces chapelles qui se déclinent sous formes d’intellectuels auto proclamés, de partis liés au pouvoir ou de minables mouches électroniques, ont profité de cette aubaine généreusement offerte par cet écrivain de renom, pour sortir l’artillerie contre ce mouvement populaire qui dérange.
L’article en question ne brille pourtant pas par la finesse de l’analyse qu’il fait de cette insurrection unique en ce genre. Ce sont beaucoup des états d’âme d’un journaliste déçu de ne pas avoir percé les secrets de fabrication du hirak, les nombreuses victoires qu’il accumulés et, bien entendu, le chemin qu’il s’est tracé pour arriver à ses fins. Comme s’il avait été traumatisé par le résultat de la mascarade électorale du 12 décembre, qu’il décrit comme la victoire du pouvoir sur le hirak, il conclut que ce dernier est définitivement entré dans le mur.
Il considère alors que si le hirak a échoué, c’est parce qu’il portait en lui les germes de l’échec. Refusant de voir dans le simulacre de scrutin du 12 décembre un acte de force, aussi illégal qu’illégitime, commis par un régime dictatorial disposant des puissants moyens de l’Etat et de la complicité de certaines grandes nations, il trouva les causes de supposé de cet échec, dans le fait que le hirak a tourné le dos à l’Algérie profonde, n’arrive pas se structurer autour de leaders et viré au divertissement. Les propos de Kamel Daoud peuvent être facilement battus en brèche en lui rappelant seulement que l’Algérie profonde dont il parle n’existe plus depuis la fin des années 189O, date à laquelle l’Office Nationale des Statistiques avait estimé à plus de 70% la population algérienne qui vit désormais dans les agglomérations du nord du pays (littoral et plaines du sahel). Contrairement à ce l’écrivain affirme, les élections (quand elles ne sont évidemment pas truquées) se jouent donc dans les villes et non pas dans les campagnes, même s’il ne faut jamais les exclure des compétitions politiques. Les populations des campagnes, qui manifestent régulièrement tous les vendredis, n’ont à l’évidence pas attendues d’être convaincues par des partis politiques pour se joindre au hirak.
Quand au mouvement du 22 février, qui aurait prétendument viré au divertissement, c’est tout simplement le mépris d’élites éloignées des réalités du pays ou qui émargent aux budgets d’officines chargées de la contre révolution. Ces élites polluées par leurs appartenances à des chapelles partisanes, ne pourront jamais occulter le fait qu’au bout de 11 mois d’intense activité, le hirak a obtenu un nombre considérable de victoires que nous énumérons dans cet article. Nous demeurons convaincus qu’il y aura d’autres. Beaucoup d’autres !!
S’il est en effet vrai que l’état major est parvenu à organiser, dans des conditions peu honorables, le scrutin du 12 décembre 2019, le Hirak ne doit aucunement ressentir cela comme une défaite. Son objectif de convaincre les algériens de ne pas se rendre aux urnes a été largement atteint, aussi bien, Algérie où plusieurs localités du pays ont enregistré une affluence négligeable, qu’à l’étranger oû les bureaux de vote des consulats ont enregistré les plus faibles taux de participation de leur histoire. Admirables de courage nos compatriotes installés à l’étranger ont bravé le froid, les vicissitudes du transport et leurs obligations professionnelles pour faire barrage à ce scrutin qualifié d’élection de la honte. Ils obtinrent gain de cause en réduisant le taux de participation de l’ensemble de la communauté à, à peine 8,5%. Légaliser une élection avec aussi peu d’électeurs (environs 9 millions selon le ministère l’intérieur et seulement 5 millions selon les estimations plus réalistes des observateurs) relève d’un coup de force, que seule des dictatures militaires peuvent commettre. Les controverses sur la légalité de ce scrutin et la légitimité du président qui en est issu, alimentent aujourd’hui encore les conversations et les slogans des manifestants du hirak vilipendent aujourd’hui encore cette élection qui n’a laissé, dans la mémoire collective des algériens, que de mauvais souvenirs.
Celle qu’on n’hésite plus à qualifier de « Révolution du 22 février 2019 » a largement entamé son onzième mois d’existence, non sans avoir arraché de nombreuses victoires. Les manifestants continuent à se battre de façon pacifique pour en arracher d’autres, à la faveur d’un pénible bras de fer qui les oppose au haut commandement de l’armée et à un personnel politique totalement coupé du peuple, hérité de l’ère Bouteflika.
Des victoires désormais arrachées par le hirak on peut énumérer, sans être exhaustif, l’annulation du 5é mandat auquel prétendait l’ex président Bouteflika, peu de temps après suivie de sa démission sur ordre de l’état major de l’armée et du refus de cette même institution de lui accorder l’année de gouvernance supplémentaire qu’il réclamait à l’effet d’organiser un dialogue sur la transition. La chute du désormais ex président, entraînera comme il fallait s’y attendre celle de sa fratrie qui détenait le pouvoir depuis que leur frère-président, anéanti par un accident vasculaire cérébral n’était plus en mesure de gouverner. Sa famille et, notamment son très remuant frère cadet Said, ainsi que tous ceux parmi ses proches, qui encadraient l’institution présidentielle, seront écartés du pouvoir.
Parmi les acquis induits par le hirak il eut aussi la chute des quatre partis de l’Alliance Présidentielle dont tous les chefs, sans exception, ont été incarcérés. L’activité de ces partis qui ont soutenu Abdelaziz Bouteflika durant ses quatre mandats et en réclamaient un cinquième, est aujourd’hui réduite à néant. Le FLN, le RND, TAJ et le MPA, ne sont plus que des coquilles vides sans aucun impact sur la vie politique nationale.
La fin des oligarques les plus toxiques est également à mettre à l’actif du hirak. Pratiquement tous les hommes d’affaires qui avaient défrayés la chronique par leurs malversations sont aujourd’hui sous les verrous ou dans le collimateur de la Justice. Ils entraineront dans leurs chutes de puissants hommes politiques parmi lesquels, des premiers ministres, des ministres, des walis et des hauts gradés de divers corps constitués. Les enquêtes diligentées à leur encontre quelques années auparavant par les services secrets de l’armée, permettront de mettre très rapidement en branle l’action judicaire qui choisit la voie de la détention immédiate en attendant la poursuite des instructions judiciaires qui promettent d’être longues.
Mais parmi les acquis les plus positifs du hirak, il y eu et c’est un événement de grande importance, la mise en évidence du haut commandement militaire en tant que détenteur réel du pouvoir politique en Algérie. Beaucoup d’algériens le savaient déjà mais la mise en spectacle du chef d’état major militaire donnant directement des ordres au chef de l’Etat par intérim, au parlement et aux services de sécurité, était de nature à confirmer cette brutale réalité. Les manifestants savent désormais que se sont les hauts gradés de l’armée qui dirigent le pays et que c’est par conséquent à eux qu’ils doivent adresser leurs doléances. Ils sont désormais bien conscients que les chefs d’Etat sont cooptés par eux uniquement pour servir de façade démocratique et que l’Algérie ne connaîtra d’évolution positive que dans la mesure où le peuple arrive à mettre fin à ce mode de gouvernance au moyen d’une élection transparente qui légitime le président élu à prendre en main tous les rouages du pourvoir, l’armée y compris.
Il y eut aussi, et c’est sans doute un des acquis des plus importants de cette révolution, ce vaste mouvement de fraternisation entre les populations des différentes régions du pays, ponctués de débats dans les rues, les places publiques et sur les réseaux sociaux. La fraternisation entre les avocats et les détenus d’opinion peut être cité comme un bel exemple de main tendue d’une corporation aussi respectable que celle des avocats envers ceux qui, en d’autres circonstances, n’auraient été que d’ordinaires clients. Les avocats qui ont sillonnés tout le pays pour défendre des personnes arbitrairement incarcérées ont été, tout simplement, admirables. Jamais le peuple algérien n’a eut droit à autant d’informations, d’échanges d’idées et de possibilités de participer à la vie collective. Un excellent présage pour l’avenir de la nation !
La participation massive et quasi permanente des femmes dans les manifestations est également un acquis considérable à mettre à l’actif du hirak. Des femmes de tous âges, de diverses cultures et de différentes catégories socioprofessionnelles, occupent désormais l’espace public non sans apporter aux manifestants, qui désormais le partage, leur souci permanent de la sécurité et du pacifisme. L’intrusion massive dans femme dans l’espace public est en train de déteindre positivement sur la société algérienne qui entame ainsi une rupture déjà apparente dans certaines régions du pays, avec les archaïsmes du patriarcat.
On ne terminera pas ce listing des victoires incontestables du hirak, sans évoquer le rôle extraordinaire joué par la diaspora algérienne là où elle a élu domicile, y compris, dans les contrées les plus lointaines de la planète. Nos compatriotes installés en Europe, en Amérique du Nord et même en Australie, ont su se retrouver dans des manifestations de soutien au hirak, contribuant ainsi à faire connaître au monde entier, ses légitimes revendications, la nature du régime politique auquel il s’oppose et, le niveau de politisation élevé des algériens qui ont adhérés à ce mouvement qui brille par son pacifisme et la clarté de ses slogans.
A listing sommaire d’acquis il y a certainement lieu d’ajouter l’appropriation par les algériens de leur Histoire et des authentiques symboles de la lutte de libération, autrefois occultés par le pouvoir. Les noms de Abane Ramdane, Ben M’hidi, Amirouche, Si El Haouès, Ali La pointe sont scandés par des millions d’algériens tous les vendredis et mardis dans toutes les villes du pays. Les héros de la guerre de libération à l’instar de Lakhdar Bouregaa, Djamila Bouhired et Louiza Ighilahriz sont adulés par les manifestants qui clament leurs noms à chaque sortie du Hirak.
Le butin de cette révolution tranquille est, comme on peut le constater, déjà très important , mais il reste à le compléter et le parachever par ce que réclament des millions d’algériens depuis ce fameux 22 février 2019, à savoir, la prise en main de leur destin politique, au moyen d’une élection présidentielle honnête et transparente à laquelle le hirak continue à aspirer.