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Tensions financières et risque de récession économique 2020/2022 sans vision stratégique

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Les dernières données des statistiques douanières de novembre 2019 n’incitent guère à l’euphorie, autant que la baisse d’environ 25% du niveau des ventes de gaz (33% des recettes de Sonatrach) en direction de l’Europe en 2019. Bloomberg et les prévisions de l’AIE donnent un cours du pétrole relativement bas pour 2020, le marché pétrolier étant dominé par les tensions USA/Chine, la faiblesse de la demande et la perspective d’une offre abondante. La Russie, toujours très dépendante des hydrocarbures, tablant  à moyen terme sur un baril de pétrole à 50 dollars, selon son ministre de l’Énergie Alexandre Novak.

L’Algérie ne possédant pas une économie peu diversifiée, 98% de ses recettes en devises avec les dérivées provenant des hydrocarbures, du fait d’importants retards dans les réformes structurelles, devra  se préparer à contrecarrer une très grave crise économique 2021/2022, en supposant la résolution rapide de la crise politique.

Le document de référence  doit être la balance de paiement qui inclut les sorties de devises des services et pas seulement la balance commerciale qui se limite aux biens. Concernant la balance commerciale, les  exportations  durant les neuf premiers mois de 2019  ont atteint près de 27,21 milliards de dollars (mds usd), contre 31,07 mds usd à la même période, soit en tendance annuelle fin 2019, environ 36,29 milliards de dollars. Les hydrocarbures hors dérivées ont représenté l’essentiel, 92,91%, étant passées de 25,28 mds usd, contre  28,89 mds usd à la même période 2018, avec une baisse de 12,52%, soit en tendance annuelle 33,70 milliards de dollars. Quant aux importations, elles ont atteint près de 32,43 mds usd, contre 34,23 mds usd, enregistrant une faible baisse de moins de 5,27%  et en tendance annuelle fin 2019  de 43,24 milliards de dollars.

La balance commerciale de l’Algérie a connu un déficit de 5,22 milliards de dollars durant les neuf premiers mois de 2019, selon  la direction générale des Douanes (DGD). Ce qui nous donnerait, en tendance annuelle fin 2019, 6,96 milliards de dollars. À ce montant il faudra jouer les services qui ont fluctué entre 9 et 11 milliards de dollars pendant la période 2010-2018, ne pouvant pas les réduire fortement, car n’ayant pas investi dans le savoir. Ce qui donnerait pour un minimum de 9 milliards de dollars de services, un solde négatif de 16 milliards de dollars, restant donc un montant de réserves de change, en référence au montant du 318/12/2018 de 79,8 milliards de dollars, d’environ 63 milliards de dollars au 31/12/2019. Et ce malgré toutes les restrictions, alors que le gouvernement prévoit 51,6 milliards de dollars de réserves de change fin 2020 .

Ces prévisions ne sont que la conséquence des hypothèses du PLF 2020 qui prévoit une coupe sévère dans les dépenses d’équipements (-18,7%) et une légère baisse des dépenses de fonctionnement (1,2%) et  une  restriction drastique des importations environ 38 milliards de dollars. Ainsi, le PLF 2020 prévoit un déficit du budget de -1.533,4 milliards de dinars soit -12,30 milliards de dollars (-7% du PIB) et un déficit du Trésor de -2.435,6 milliards de dinars soit -20,65 milliards de  dollars (-11,4% du PIB), avec une dette publique de 8.530 milliards de dinars soit -72,30 milliards de dollars (41,4% du PIB).

Les recettes se basent  sur une augmentation des revenus des exportations des hydrocarbures en 2020 de 2% par rapport à 2019, pour atteindre 35,2 milliards de dollars, le Gouvernement reconnaissant un recul des quantités d’hydrocarbures exportées de 12% à fin juillet 2019, après une baisse de 7,3 % en 2018. Mais sans préciser que 33% des recettes de Sonatrach proviennent du gaz naturel (GN-76% / GNL-24%) dont le cours a connu une  baisse d’environ 40% des dernières années, fluctuant pour le cours du marché libre en 2019 entre 2 et 3 dollars le MBTU.

Malgré les sanctions contre l’Iran deuxième réservoir mondial de gaz naturel, les clients européens de Sonatrach, selon Bloomberg, ont considérablement réduit leur demande en gaz conventionnel provenant d’Algérie avec une chute de 25% du niveau des ventes attendu en 2019, les exportations algériennes de gaz vers l’Europe étant concurrencées par les approvisionnements qataries, russes par canalisation, américains – devenus le premier producteur mondial avant la Russie à travers leurs importants investissements dans le GNL –, l’Arabie Saoudite moins chers du fait du faible coût, et par l’entrée de nouveaux producteurs  au niveau mondial. Aussi, ce niveau des réserves de change, fortement dépendant des recettes de Sonatrach, a été calculé avec l’hypothèse d’un niveau des importations de 38,6 milliards de dollars en 2020 avec un  déficit de la balance des paiements de 8,5 milliards USD en 2020, contre 16,6 milliards de dollars en 2019, soit une baisse de 8,1 milliards de dollars.

Or, au rythme des indicateurs  de 2019, les réserves de change, existant des limites aux restrictions d’importations déjà fortes en 2019, devraient clôturer au 31/12/2000 à 47 milliards de dollars fin 2020, et non 51,6 comme annoncé par le PLF 2020, ce qui supposera une loi de finances complémentaire. Car continuer à restreindre les importations de biens et services, l’Algérie étant une économie fondamentalement rentière, le risque est l’accroissement du taux de chômage qui risque de dépasser les 13% de la population active.

Pour atténuer les tensions sociales, avec une population totale en 2019 dépassant 43 millions et une population active dépassant 12,5 millions, le taux de croissance devrait être pendant plusieurs années, avec une nouvelle architecture économique reposant sur les nouvelles technologies, entre 9 et 10% en termes réels afin de créer chaque année 350.000-400.000 emplois/an, des emplois productifs et non des emplois rente.

Conséquence de la paralysie de la machine économique, nous avons assisté en 2019  à la fermeture et à la sous-utilisation des capacités de milliers d’unités dont les matières premières importées, sans compter les équipements, représentent plus de 85%. La gestion d’un pays doit reposer sur une planification stratégique, et non sur des mesures conjoncturelles jouant sur les hypothèses de recettes/dépenses.

Sans vision stratégique de développement, tenant compte à la fois de la morphologie sociale interne et des nouvelles mutations mondiales, en perpétuel mouvement, les recettes dépendant fondamentalement de facteurs exogènes (cours du pétrole et du gaz au niveau international, des fluctuations  euro/dollar), il devrait se produire, sans changement de cap de la politique socio-économique et d’une nouvelle gouvernance, une récession économique avec de graves incidences sociales entre 2021 et 2022 avec l’inévitable épuisement des réserves de change courant 2022.

Aussi, attention à ces promesses utopiques des candidats à l’élection présidentielle, qui reproduisent les schémas du passé ; où trouveront-ils le capital-argent ? Évitons d’induire en erreur l’opinion publique que la seule loi des hydrocarbures (toujours le mythe de la rente) va automatiquement augmenter les recettes en devises du pays, l’attrait de tout investissement dépendant du climat politique, du climat des affaires et, pour les hydrocarbures, du futur vecteur prix international et des coûts de Sonatrach qui nécessitent un nouveau management, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables financièrement.

Méditons l’expérience récente : pour la période s’étendant de 2000 à fin avril 2019, les entrées en devises ont été supérieures à 1.000 milliards de dollars dont plus de 950 provenant de Sonatrach. Sans compter les dépenses en dinars, les sorties de devises et l’importation de biens et services qui ont été d’environ 925 milliards de dollars, ainsi que du taux très modeste de croissance entre 2 et 3%. L’Algérie dépenserait, selon une étude pour la région MENA, deux fois plus par rapport à des pays similaires pour avoir deux fois moins de résultats : mauvaise allocation des ressources, mauvaise gestion, corruption ou les trois à la fois ?

En résumé, on ne gère pas un pays comme une épicerie, mais en se projetant sur l’avenir dans un monde incertain et turbulent supposant des stratégies de veille et d’adaptations perpétuelles. Le futur président de la république et son gouvernement qui auront la légitimité populaire devront mettre en place les réformes souvent différées qui seront douloureuses pour arrimer l’Algérie au nouveau monde, en supposant un minimum de consensus social, ce qui ne signifie en aucune manière un unanimisme signe de la décadence de toute société.

Il devra revoir le modèle de consommation énergétique dans le cadre d’une loi organique de la transition énergétique, de revoir le fonctionnement des institutions, de revoir l’actuelle politique économique qui conduit le pays droit au mur, dans le cadre d’une planification stratégique liant efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale et  surtout de la résolution la crise politique, grâce au dialogue productif, sans laquelle aucun investisseur sérieux ne viendra.

Professeur des universités, expert international (Docteur d’État 1974)  Abderrahmane MEBTOUL

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