Sans partis politiques solides qui puissent leur assurer l’encadrement de leurs campagnes électorales, sans sponsors pour les financer comme le faisaient les oligarques du temps de Abdelaziz Bouteflika, mais pire encore, sans l’engouement du peuple algérien pour cette élection contre laquelle il ne cesse de manifester son hostilité, on se demande comment les candidats à cette mascarade électorale vont opérer pour traduire leurs désirs en réalité.
Il y a, effectivement, un profond fossé d’incompréhension entre le corps électoral constitué d’environ 25 millions de citoyens franchement hostiles à ce projet, imposé à partir d’une caserne par un militaire et les quelques milliers de soutiens à ce rendez-vous électoral enfermés dans un autisme scandaleux. Comment en effet ont-ils pu choisir d’aller contre la volonté de tout un peuple qui s’y oppose fermement depuis qu’il a déclenché une révolution par laquelle il refuse aux résidus du régime de Bouteflika d’organiser le prochain scrutin présidentiel, considérant que cette tache lui revient de plein droit, eu égard aux article 7 et 8 de la constitution.
L’entêtement de l’état-major militaire à imposer sa feuille de route par des arrestations arbitraires et des discours menaçants prononcés de façon récurrente par son chef, dans le but d’effaroucher l’électorat et le contraindre à voter, a créé un dangereux clivage entre les dirigeants du pays enfermés dans leur tour d’ivoire et le peuple algérien qui refuse de se faire « conduire à l’abattoir » par cette poignée de haut gradés et leurs serviteurs zélés tapis dans les institutions administratives et judiciaires. A ce bras de fer qui dure depuis bientôt huit mois, le rapport de force est évidemment du coté du peuple algérien qui détient la puissance du nombre et la légalité constitutionnelle, mais ayant choisi la voie pacifique pour épargner des vies humaines et des dégâts matériels, le recouvrement de la souveraineté populaire sera à l’évidence plus long à obtenir, en particulier, lorsque l’adversaire n’est pas une institution politique, mais une junte militaire qui ne croit qu’aux pouvoirs de la force et de la répression pour arriver à ses fins.
En dépit d’un matraquage médiatique sans précédent orchestrée par des chaînes de télévision aux ordres du haut commandement militaire, très peu d’algériens se sont accommodés aux thèses du pouvoir. La manipulation médiatique étant trop grossière, la population s’est en effet résolument tournée vers les réseaux sociaux et les chaînes de TV acquises au Hirak, notamment, Berbère Tv et El Magharibia, consacrées « Télévisons du peuple » par les millions de manifestants du hirak. On ne sait, de ce fait, pas grand-chose de ce qui concerne ce scrutin, dont ne parle qu’épisodiquement le président de la commission nationale d’organisation des élections, qui donne à chaque fois qu’il s’exprime, l’impression de ne pas être fin prêt à tenir le pari à une échéance aussi rapprochée. L’élection doit en effet se dérouler dans moins de deux mois et pratiquement tout reste à faire en matière d’organisation et de logistique. Très peu d’instances locales ont été installées, l’encadrement des bureaux de vote requière des dizaines de milliers de personnes qu’il n’est pas facile de recruter, de nombreux maires refusent de collaborer et l’environnement demeure très hostile à ce vote que la population veut empêcher à tous prix.
Le pouvoir et à sa tête, l’état major militaire, veulent opérer un passage en force en suscitant des manifestations de soutien, mais même cela, ne fonctionne plus. Ces derniers ne bénéficient en effet que d’un très mince crédit populaire comme l’ont magistralement prouvées les deux ridicules manifestations de soutien organisées à Blida et Boumerdes, qui n’ont réussi à mobiliser qu’une trentaine de personnes chacune. De ce fait, on ne comprend vraiment pas comment les candidats sans charisme particulier, pourront récolter les 50.000 parrainages requis et, encore moins, comment ils vont effectuer leurs campagnes électorales avec aussi peu de monde et dans un environnement qui leur est franchement hostile. Il est vrai que dans son optique de forcing électoral, l’état major de l’armée pense pouvoir se contenter uniquement d’un bon déroulement du scrutin dans un minimum de circonscription sous haute surveillance de l’armée, pour valider l’élection sur base de la loi électorale en vigueur qui n’exige, effectivement pas, un nombre précis d’électeurs pour être validée. Mais un tel stratagème serait de nature à susciter une réaction violente d’un peuple contraint à faire valoir par la force, son droit constitutionnel à organiser lui-même le scrutin et à réparer toutes les injustices, que ce pouvoir illégitime s’est permis de commettre envers lui (arrestations arbitraires, violences contres les manifestants, fermetures des accès à la capitale, interdiction de l’emblème amazigh etc.). C’est une démarche que l’état major de l’armée devra donc éviter s’il ne veut pas conduire le pays vers l’irréparable dont il sera le premier à être tenu pour responsable par son peuple et la communauté internationale qui connaît parfaitement la réalité algérienne, qu’elle suit attentivement depuis le déclenchement de la révolution du 22 février 2019.
À environ deux mois du scrutin du 12 décembre, il est évidemment difficile de prévoir l’issue de la crise suscitée par la manière martiale de l’imposer contre la volonté de tout un peuple qui ne cesse de réclamer une toute autre option : celle que lui accorde les article 7 et 8 de la constitution. Deux feuilles de route semblent s’affronter dans un duel resté, somme toute, pacifique si on exclut les arrestations arbitraires dont ont été victimes prés de 15O personnes injustement incarcérées sur ordre du chef d’état major de l’armée. Si les militaires n’ont toujours pas dérogé à leur intention suicidaire de faire voter coûte que coûte les algériens, ces derniers continuent à manifester leur désaccord à la faveur de manifestations populaires qui se déroulent depuis plus de huit mois sur tout le territoire national. Des manifestations qui, de par le nombre considérable de personnes qu’elles drainent chaque vendredis et mardi, n’ont malheureusement pas réussi à mettre fin à l’autisme du pouvoir, incarné par le chef d’état major militaire. D’où les nouvelles formes de manifestations appelées à durcir le mouvement qu’on a pu observer cette nuit à Alger et dans d’autres villes, consistant à faire un tintamarre de bruits de casseroles et de klaxons. Une action qui a fortement marqué l’opinion publique prête à rééditer l’événement plusieurs jours par semaine, si nécessaire. On nous fait, par ailleurs, part d’autres initiatives mêlant grèves générales et diverse formes de désobéissance civiles qui iront crescendo jusqu’à la date hautement symbolique du 1er novembre, jour anniversaire du déclenchement de la lutte de libération nationale. A titre d’exemples, la confédération des syndicats autonomes constitues d’une quinzaine de syndicats a appelé à une grève générale pour le 29 octobre, tandis que l’organisation nationale des avocats a elle aussi appelée à une grève générale appuyée par des marches dans plusieurs villes du pays, le 24 octobre prochain.
Le forcing électoral imposé par le général major Ahmed Gaid Salah s’enlise au gré de chaque manifestation du hirak et, face à ce bras de fer sans issue, il n’y a, de l’avis de tous ceux qui suivent de près la crise politique algérienne, qu’une seule solution susceptible d’apaiser la situation insurrectionnelle qu’on voit dangereusement poindre à l’horizon.Elle consiste en l’abandon du scrutin du 12 décembre, autour duquel, se focalise la grave crise qui secoue le pays, depuis que le chef de l’état major de l’armée l’avait imposée à partir d’une caserne. L’abandon de ce rendez vous électoral devrait, évidemment, être accompagné d’un appel solennel au dialogue avec des représentants du hirak et non pas, comme le pouvoir en avait pris l’habitude, avec des panels de dialogues qu’il a lui-même choisis, mais dont les algériens se méfient. C’est l’issue qu’évoquent de plus de plus de commentateurs dans les journaux et plateaux de télévisions libres qui affirment que l’abandon de l’échéance électorale, accompagnée d’un appel au hirak à constituer une commission de dialogue, serait de nature à désamorcer la crise, tout en sauvant la face du haut commandement de l’armée qui en fut à l’origine, avec son obligation de tenir ce scrutin à des conditions et à une échéance qui n’agréent guère les millions d’algériens insurgés.