Le vieil adage selon lequel « la politique est une affaire trop sérieuse pour être confiée à un militaire » a pris toute sa signification avec l’attitude martiale dont n’arrive pas à se défaire le général major Ahmed Gaid Salah, face au conflit éminemment politique que constitue ce vaste mouvement de contestation enclenché un certain 22 février 2019, initialement, contre le 5é mandat que briguait l’ex président Abdelaziz Bouteflika, mais qui débordera progressivement sur des revendications politiques plus profondes qu’on pourrait résumer par la fin du système et du régime politiques en place et l’instauration d’une nouvelle république incarnant réellement la volonté du peuple.
Au lieu de répondre par le dialogue et la concertation aux revendications légitimes de ce peuple insurgé, le chef d’état major qui s’est autoproclamé dépositaire de l’autorité n’a, en effet, eu cesse de réagir par des mesures autoritaires, des propos brutaux sortis du lexique militaire, des menaces et intimidations, adressés depuis les casernes où il se rend un peu trop souvent. Le dernier de ses ordres, très mal reçu par les algériens étant, on l’a compris, la fermeture de la capitale aux algériens venus des autres contrées du pays, les vendredis jours de manifestations du hirak. Ajoutée à toutes les mesures autoritaires qu’il a tenté d’imposer (Interdiction de la bannière amazigh, interdiction des réunions publiques, emprisonnements arbitraires de leaders politiques et activistes du hirak), l’interdiction, accompagnées de sanctions non prévues par la loi, contre les propriétaires de véhicules venus des autres wilayas se rendant à Alger les jeudis et vendredis, fut la goutte de trop qui fera déborder le verre.
La population algéroise qui a encore présent dans sa mémoire collective le siège de la Casbah par les sinistres paras de Massu et Bigeard donnera, comme attendu, une bonne leçon d’unité nationale et de militantisme actif au vieux général et à tous ceux parmi ses collaborateurs, qui ont cautionnée cette dérive autoritaire anti constitutionnelle. Plus d’un million et demi de manifestants (chiffre le plus souvent repris par les médias),pour la plupart résidents à Alger « intra muros », déferleront dans les places et avenues de la capitale pour rappeler au commandement militaire l’unité indéfectible du peuple algérien et ce que la révolution du 22 février réclame. Le tsunami humain de cette 31e sortie du Hirak, devrait contribuer à ouvrir les yeux des généraux de l’état major qui devront désormais se rendre à l’évidence, qu’ils ont affaire non pas à une armée étrangère adverse, mais à une authentique révolution populaire purement algérienne qui drainera, jusqu’à satisfaction de ses revendications légitimes, des dizaines de millions d’algériens de tous âges, mais dont la composante essentielle a moins de 30 ans. Leurs slogans sont on ne peut plus clairs et leur détermination est grande. « Nous ne partirons pas, nous ne partirons jamais, nous sortirons tous les vendredis » est un de leurs slogans phares.
Les jeunes du hirak (étudiants, lycéens, chômeurs et supporters d’équipes de football, sont disposés à leur pourrir la vie au moyens de manifestations dans les rues, les quartiers, les villes et les villages mais aussi dans les stades, les lycées et les universités. C’est par conséquent un traitement politique, plutôt que militaire, qui s’impose comme moyen de sortie de crise, l’autoritarisme militaire ayant, comme on peut le constater, lamentablement échoué. Aux généraux de l’état major de le comprendre et de réagir en conséquence, avant qu’il ne soit trop tard.
C’est dans une ambiance de forte inquiétude, forgée par les menaces prononcée la veille par le chef d’état major Ahmed Gaid Salah, et les arrestations massives de manifestants par des policiers ultra zélés qui ont eu lieu dans la matinée du vendredi, que le déferlante humaine démarra des grandes places et avenues d’Alger à l’exemple de la place du 1er Mai, où se forma très vite vers 14 heures, un important regroupement de manifestants qui prendra la direction d’Alger centre via les Boulevards Hassiba Ben Bouali et Colonel Amirouche. Une marée humaine démarre subitement comme si elle en avait reçue l’ordre. La foule mixte et toute en couleurs, avaient commencé, sans tarder, ses slogans habituels, essentiellement dirigés contre Gaid Salah, l’élection du 12 décembre et la fermeture de la capitale aux algériens. Nombreuses et sur équipées les forces de l’ordre sont restées calmes au vue de l’impressionnante déferlante humaine qui risquait de les submerger.
A 14h32 précise,la foule immense atteint la Grande Poste où des dizaines de milliers de manifestants peinaient déjà avancer, tant les espaces devenaient exiguës. Parmi les slogans marquants:« Gaid Salah il n’y aura pas d’élection en Algérie, va donc les organiser aux Émirats, debout les algérois Gaid a instauré l’état de siège dans votre ville, Nous jurons de ne jamais nous arrêter même si vous nous tirez dessus, le peuple veut un État civil et non militaire » etc.
Vers les coups de 15 heures le Hirak avait déjà battu tous les records de participation. L’hyper centre d’Alger a fait le plein de manifestants. Plus possible d’avancer d’où le retour sur leurs pas tout en continuant à hurler des slogans de nature à donner des insomnies aux dirigeants actuels Parmi les slogans phares entendus entre la place Audin et l’avenue Didouche Mourad,: « Le peuple exige la chute de Gaid Salah, nous voulons une nouvelle constitution, libérez les otages, le peuple ne veut pas de votre élection, casbah-Bab El Oued imazighens, les algériens tous unis contre El issaba » etc. La manif se termine aux environs de 17 heures, mais elle s’est poursuivie jusqu’aux environs de 19 heures, dans une ambiance de fête, nous ont appris des collègues encore sur place.
C’est donc à une manifestation gigantesque que nous avons assistée, ce vendredi 20 septembre, 31e sortie consécutive du Hirak. Elle fut une réponse cinglante à vieux général Gaid Salah et à ses dérives autoritaires. Par son ampleur, ses slogans remettant en cause son ordre illégal de fermeture d’Alger aux algériens et le scrutin présidentiel qu’il a autoritairement fixé au 12 décembre prochain. Le chef de l’état major devrait reconnaître l’impasse de sa gestion par la brutalité martiale, s’il ne veut pas déstabiliser son pays, déjà mis à mal par ses errements maladroits et mal inspirés. Il doit se rendre à l’évidence que le peuple algérien ne lâchera jamais prise et qu’il devra, en conséquence, agir en homme politique et, non pas, comme chef de caserne.
Les manifestants que nous avons interrogés sont unanimes à dire que cette énorme démonstration de force a enterré de fait l’élection présidentielle du 12 décembre ordonnée par le chef d’état major et sonné le glas de tout ceux qui ont voulu l’imposer, avec l’arrière pensée de sauver le système politique en place plutôt que leur patrie. Leur conviction est que la période de transition et la prise en charge du processus électoral, réclamées par des dizaines de millions d’algériens depuis le 22 février, finiront par être bientôt arrachées au terme d’une négociation directe entre le commandement militaire et hirak.