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Attention aux transferts de modèles

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Il est de coutume de rechercher des réponses aux problèmes pratiques en analysant les modèles théoriques et les expériences des autres pays. Des experts nationaux ont essayé de le faire pour nous sortir du tout pétrole. La démarche peut-être correcte. Il faut avoir une ouverture d’esprit et s’inspirer de ce qui se fait ailleurs pour progresser. Mais il n’est pas toujours facile de faire la part des choses. Les erreurs dans ce domaine peuvent avoir des conséquences tragiques. Il est donc nécessaire d’être extrêmement vigilant lorsqu’on utile un appareil d’analyse. Nous allons livrer un résumé succinct des aspects à considérer et des erreurs à éviter.

Il est indispensable de comprendre la méthodologie d’utilisation de modèles économiques et managériaux dans un contexte précis. Il est heureux de constater que la vaste majorité des connaissances de l’humanité sont transférables. L’entreprise Tunisienne Poulina, l’une des entreprises les mieux gérées au Maghreb avant la révolution tunisienne, sinon la mieux, utilise très efficacement les concepts et les techniques de management enseignés dans les meilleures Business Schools. Elle ne prétexte pas que ce sont des « théories ». Elle a su les adapter avec brio à son environnement.

Au début des années cinquante, les entreprises japonaises, avaient importé des Etats-Unis la vaste majorité de leur arsenal managérial : décentralisation divisionnaire, cercles de qualité, emploi à vie, etc. Après avoir maîtrisé l’essentiel des apports du management occidental, les grandes entreprises japonaises ont commencé à innover et à intégrer des principes puisés de leur culture profonde. Transposer des modèles est utile, incontournable et le plus souvent salutaire. Nos universités enseignent pour l’essentiel des connaissances universelles. Nous en avons grandement besoin.

Il est rare qu’un modèle économique ou managérial ne soit pas transposable.  Nous disposons de plusieurs exemples. Cependant, il y a des exceptions. L’une des théories les plus fameuses en management est sans nul doute la Direction Par Objectifs (DPO). Conçue en 1947, par le père fondateur du management moderne, Peter F. Drucker, et testé à la General Electric, elle donna des résultats très intéressants. Par la suite, de nombreuses entreprises américaines l’utilisèrent avec plus ou moins de clairvoyance et en général déboucha sur des améliorations. Les européens développèrent plusieurs versions avec les mêmes résultats. Mais lorsque le concept fut testé dans les pays sous-développés des années cinquante et soixante –Brésil, Inde- les résultats furent décevants. Les hypothèses de base du modèle ne sont pas valables dans les PVD. L’hypothèse centrale de la DPO était que l’entreprise dispose d’une pyramide organisationnelle correctement structurée. Plus nous grimpons la hiérarchie, plus nous trouvons des ressources humaines compétentes,  expérimentées et  mûres. Or dans les PVD, dans beaucoup de cas, plus on grimpe la hiérarchie, plus on trouve de l’incompétence et de l’immaturité. Le modèle ne peut donc pas fonctionner efficacement. C’est un cas rare de non « Transposabilité » d’un modèle.

Cette éventualité nous intéresse car nous vivons actuellement un cas similaire. Beaucoup de nos économistes connaissent la théorie keynésienne. Résumée de manière simple, elle stipule que l’Etat est en mesure de pouvoir corriger les déséquilibres d’un taux de chômage élevé et une sous utilisation des capacités de production. Il est alors conseillé d’accroître les dépenses publiques, de mettre en place les grands travaux (infrastructures etc.) pour faire augmenter la demande, résorber le chômage et utiliser les capacités stériles. Cette théorie est très utile, sous certaines conditions, pour les pays développés. Mais elle n’est ni valable dans le contexte des pays en voie de développement ni  dans la plupart des pays en transition. Elle recèle des hypothèses loin d’être avérées dans le contexte de ces pays. Et pourtant ! L’Algérie a conçu et exécuté des plans de relance de plus de 800 milliards de dollars en se basant sur le schéma keynésien. Nous nous sommes trompés de modèle. Nous n’avons pas prêté attention aux hypothèses et à la transférabilité du schéma keynésien.

   Avant d’utiliser un modèle il faut s’assurer que ses hypothèses de base sont vérifiées dans le contexte ou on l’applique. Considérez la relance par les infrastructures des 15 dernières années. Soit dit en passant, l’Inde pays émergent par excellence, a des infrastructures beaucoup moins évoluées que les nôtres. Mais l’Inde avait choisi de financer le développement qualitatif des « cerveaux humains », améliorer le « Doing Business », moderniser l’administration, promouvoir l’innovation, la recherche et développement et être parmi l’élite mondiale dans certains secteurs (Informatique, pharmacie etc.). Les planificateurs indous ont choisi de booster l’offre pas la demande. C’est la meilleure politique pour un pays émergent ou sous développé. Il y a trois conditions pour que la théorie keynésienne donne des résultats. Les trois conditions sont :

  1. Le pays est peu ouvert : il importe très peu. La demande interne est surtout satisfaite par la production nationale ;
  2. Il y a une répartition du revenu national qui n’est pas trop inégalitaire ;
  3. Et surtout cette troisième condition est la plus importante : Le pays devrait être une économie de marché évolué doté d’un mode de fonctionnement efficace. Chaque unité financière injectée a un multiplicateur important et une durabilité de croissance importante.

Or parmi les conditions citées nous n’avons qu’une –la seconde- qui est satisfaite. Les autres, les plus importantes, ne le sont pas du tout. Ceci explique pourquoi les pays émergents n’ont pas choisi la voie algérienne. Ils n’ont pas fait des plans de relance à 90% infrastructures. Ils ont choisi de diversifier leur mode de financement en diversifiant l’économie et en privilégiant l’économie de la connaissance et les industries du savoir. On s’est trompé de modèle. On a copié les politiques économiques des pays développés. On fait référence au New Deal de Roosevelt (crise de 1929) et au « Quantitative Easing » qui a permis à l’administration Obama de juguler la crise de 2007. Ces pays là on le droit d’utiliser l’approche Keynésienne parce que les trois conditions que nous avons énoncées sont satisfaites pour leur économie. On s’est pris pour un pays développé. On a préconisé pour un pays sous développé, extraverti, extrêmement vulnérable et peu efficace dans son mode de fonctionnement des politiques de pays développés.

Ces erreurs arrivent fréquemment lorsqu’on ne sait pas analyser le processus de transfert de modèle. L’une des taches les plus importantes de notre système universitaire serait en fait d’enseigner et de faire comprendre cette logique de transfert de modèle de sorte à ne plus reproduire ces erreurs extrêmement couteuses qui sont pourtant facile à éviter.

Pr. Abdelhak Lamiri

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