Les salaires n’ont pas enregistré de changements depuis 2012, date à laquelle le gouvernement avait décidé d’octroyer des augmentations de salaires à pratiquement tous les travailleurs algériens, dans le but de faire barrage au « Printemps arabe ». Durant cet intermède d’environ six années, les prix à la consommation n’ont par contre pas cessé de progresser. Le différentiel entre les salaires et les prix est aujourd’hui si grand qu’il a laminé le pouvoir d’achat des ouvriers et entamé celui des classes moyennes. Alors qu’en 2010 une famille de cinq personnes parvenait à vivre avec un salaire moyen de 36700 dinars, en janvier 2018 il en fallait 45000, selon les estimations conjointes de l’UGTA, du CNES et du SNAPAP largement rapportées par la presse.
Contenue à des proportions gérables durant toute la période de flambée des cours du pétrole, l’inflation a en effet commencé à déraper dès Août 2016 date à la quelle les prix du Brent ont subi un très fort déclin. Elle a fait un premier bon à 5,8%, puis un second à 7%, à la fin de l’année 2017, selon les chiffres publiés rendus publique par le ministère du Commerce. Les estimations prospectives tablent sur un taux d’inflation d’au minimum 9% d’ici la fin de l’année en cours car tout un ensemble de facteurs tend à y concourir. De nombreux déterminants militent en effet pour ce pronostic, à commencer par la loi de finances complémentaires pour l’année 2018 qui soumettra plus d’un millier de produits importés à des taxes additionnelles qui les rendront encore plus chers, à laquelle il faut évidemment ajouter la constante dérive du dinar et la généralisation de la TVA à plus d’un millier de produits et services, vont quasi mécaniquement tirer les prix vers le haut. Le pouvoir d’achat des algériens en sera gravement affecté. Le soutien apporté par l’Etat à certains produits (pain, lait, eau, électricité, gaz, transport public etc.) ne suffira pas à contenir l’inflation dans une proportion acceptable tant l’envolée des prix affectera toute une panoplie de produits auxquels se réfèrent habituellement les statisticiens de l’Office National des Statistiques (ONS) pour calculer les taux d’inflation.
Il faut en effet savoir que les taux d’inflation « officiels » calculés par l’ONS sont des chiffres volontairement comprimés du fait qu’ils ne prennent en considération qu’une centaine de produits et services, dont au minimum une trentaine, bénéficient d’un soutien direct ou indirect des prix (pain, lait, carburants, électricité, gaz et eau etc.) ou de prix administrés (céréales, transport de voyageurs, loyers publics etc.). Si l’ONS venait à écarter les produits soutenus ou à défaut les estimer aux prix du marché informel, se calculs seraient évidemment totalement chamboulés. On se retrouverait alors avec des taux d’inflation beaucoup plus élevés que ceux que cet Office a l’habitude nous servir. Un taux qui rendrait plus fidèlement compte de la réalité, celle que ressentent les algériens chaque fois qu’ils se rendent au marché.
Ce regain subit d’inflation était en réalité prévisible. Un pays qui a construit pratiquement toute son économie sur la rente pétrolière ne peut en effet échapper aux conséquences d’un aussi substantiel déclin des recettes d’hydrocarbures qui déstructuré le budget de l’Etat, au point d’avoir contraint la Banque d’Algérie à dévaluer le dinar d’environ 25% par rapport au dollar en moins d’une année. Pour un pays qui importe l’essentiel de ses produits de subsistance et dont le fonctionnement de l’industrie et de l’agriculture dépend de l’importation des inputs et matières premières, la dévaluation du dinar a beaucoup contribué à ce regain d’inflation qui s’est opéré par le truchement de cette baisse tendancielle de la parité du dinar. On estime que les prix des produits importés ont renchéri d’au moins 20% en moyenne, uniquement du fait de la dégradation des taux de change du dinar, notamment par rapport au dollar et à l’euro qui constituent à 90% la monnaie de compte de nos importations.
À cette dévaluation rampante du dinar qui avait déjà fortement ébranlé les prix à la consommation en 2016 (le cas des véhicules a été le plus spectaculaire), sont venus s’ajouter toute une batterie de taxes instaurées par les lois de finances annuelles et complémentaires (généralisation de la TVA, valeurs administrées pour les fruits importés, taxes supplémentaires pour les carburants, les cigarettes, les alcools et autres) qui ont fait bondir les prix à la consommation.
Toutes ces mesures à l’origine du regain d’inflation ont été prises par le gouvernement dans le but de réduire le déficit budgétaire. Il ne saurait par conséquent les abroger du jour au lendemain du seul fait de pression politique ou sociale d’autant plus que les prix de pétrole ont à nouveau plongé après une courte période d’espoir de remontée. Premiers à en ressentir le choc, les travailleurs et les classes moyennes, devront donc faire longtemps avec ces mesures d’ajustement qui vont, à l’évidence, contribuer à les appauvrir encore davantage. De graves dérapages sont évidemment à craindre en cette période sensible de précampagne électorale, durant laquelle les grèves et les émeutes tendront vraisemblablement à se multiplier. Au risque d’exacerber les conflits sociaux, le dialogue et la concertation devraient alors prévaloir sur la répression.