L’ampleur et l’accélération du phénomène de la mondialisation durant les dernières décennies constituent des éléments objectifs quant à l’ouverture de l’économie Algérienne aux entreprises et aux marchés internationaux.
Les relations commerciales de l’Algérie avec ses principaux partenaires étrangers de la triade (Asie, Europe et Amérique du Nord) sont en pleine mutation avec l’émergence notamment de pays comme le Brésil, la Russie, l’Indonésie, la Chine et l’Afrique du Sud (BRICS). L’ouverture à l’international de l’Algérie n’épargne aucun secteur d’activité à partir du moment où tout programme de développement économique autarcique est un renfermement sur soi et un non sens économique, y compris et, dans une certaine mesure, pour les secteurs dits «stratégiques». Dans ce contexte, il est clair que toute stratégie ou démarche cohérente visant la présence et la dynamisation du rôle des entreprises algériennes sur les marchés locaux et internationaux présuppose l’existence d’une vision globale et une projection de l’économie algérienne sur l’horizon 2030 et plus.
Cet article, résultat d’un travail académique et sur le terrain en Algérie et à l’international depuis les années 1980, examine l’un des modes opératoires qui a reçu une grande attention de la part non seulement de la littérature économique universelle mais aussi des entreprises, toute taille et statut juridique confondus, qui utilisent les JVI dans leurs conquêtes effrénées de marchés à l’international. Le caractère collaboratif, synergétique, flexible et à moindre coûts de ce mode opératoire en est le secret par rapport à une batterie d’autres modes comme par exemple l’exportation (directe et/ou indirectes), les contrats de licensing, de franchising, d’assistance technique, de BOT, de contrats de management et d’investissements directs a l’étranger ou IDE.
L’ampleur géographique et la diversité sectorielle des joint ventures internationales (JVI) à travers le monde ont été considérées comme l’un des sujets les plus importants dans les domaines de l’économie, du marketing et des affaires internationales. C’est ainsi que les JVI sont devenues un mode d’entrée sur les marchés internationaux de plus en plus utilisé par les sociétés internationales et une voie privilégiée pour les partenaires des pays en développement. L’attrait principal des JVI réside dans les avantages qu’elles offrent aux entreprises multinationales et aux entreprises des pays en développement. Pour les premières, une JVI peut représenter un moyen d’accéder aux marchés fermés, de faciliter l’entrée de petites entreprises sur les marchés mondiaux, d’anticiper la concurrence potentielle et d’allonger les cycles de vie des produits d’une entreprise. Pour les secondes, une JVI peut faciliter le transfert de technologie et l’expertise managériale, fournir un accès aux marchés de capitaux et générer des activités locales axées sur l’exportation.
JVI versus IDE?
Beaucoup d’experts, académiciens et top-managers d’entreprises de renom à travers le monde, considèrent la JVI comme une alternative fiable à l’investissement direct étranger (IDE). D’une part, parmi les avantages de la JVI les plus cités: le partage des ressources et des risques, la formation et le transfert de connaissances et de technologies, les effets d’expérience et de learning by doing. D’autre part, les effets négatifs induits par les IDE dans la propriété exclusive et le quasi-contrôle de la filiale exercé par l’investisseur étranger et, surtout, compte tenu des effets pervers des mécanismes de prix de cessions internes ou «transfer pricing» c’est-à-dire du phénomène de sur ou sous facturation des biens et services circulant entre la société mère et ses différentes filiales à travers le monde. Depuis la parution du livre sur le «transfer pricing» de l’économiste Belge PLASSCHAERT dans les années 1980, ce sujet passionnant n’a cessé d’attirer l’attention des chercheurs-universitaires, chefs d’entreprises mais aussi des autorités publiques des pays hôtes et autres organisations internationales (OCDE, CNUCED, ONUDI, etc).
Sans une étude empirique rigoureuse, la contribution des JVI à la croissance et au développement économique de l’Algérie depuis les années 1970 reste un travail très complexe à réaliser compte tenu de l’accès et de la disponibilité difficiles de l’information économique. Dans un autre contexte, une étude menée par l’auteur en 2000, sponsorisée par le EU-ASEAN Management Centre en collaboration avec le professeur Raymond LOVERIDGE, Said Business School, Oxford, G.B. sur les JVI crées par des multinationales européennes dans les pays de l’ASEAN 4 (Singapour, Malaisie, Thaïlande et Brunei) a montré que les sociétés mères européennes insistaient beaucoup sur la rentabilité à court terme des JVI en Asie de SE (en raison du listing des sociétés mères sur le NASDAQ) alors que les top-managers régionaux insistaient plutôt sur la nécessité d’une approche graduelle étalée sur le moyen et long terme. L’autre résultat poignant de cette étude tient au fait que les fonctions financières et de stratégies marketing étaient fortement centralisées au sein de la société mère en Europe malgré le caractère collaboratif et contractuel de la JVI.
Pour ce qui est de l’Algérie et pour répondre a la question JVI vs IDE, il convient de préciser que l’expérience des pays en développement ayant accéder au rang de pays émergents la comparaison entre l’impact des JVI comparé a celui et des IDE sur les pays hôtes n’a jamais été clairement établie tant d’un point de vue théorique que pratique. Les avantages et les inconvénients de chaque mode opératoire dépendront en grande partie des évaluations qualitatives et quantitatives des principaux acteurs à savoir les pouvoirs publics du pays hôte, l’entreprise locale et le partenaire et/ou investisseur étranger. Dans l’élaboration d’une vision économique a moyen et long terme de l’Algérie, il serait souhaitable et certainement plus cohérent de considérer la relation JVI-IDE comme complémentaire compte tenu des spécificités sectorielles dans lesquelles évoluent les entreprises algériennes.
La gouvernance de la JVI
Sur la question centrale de la gouvernance de la JVI, il est important de faire une distinction essentielle entre les mécanismes formels et informels liés à la prise de participation majoritaire ou minoritaire dans le conseil d’administration de la co-entreprise. Il est évident que le partenaire qui maitrise les processus technologiques, d’innovation de R&D ainsi que des systèmes d’informations marketing et de veille stratégique performants n’a vraiment pas besoin d’être majoritaire au conseil d’administration de la JVI pour exercer un contrôle réel et effectif sur les activités de la JVI. D’une part, la prise de risque via une participation minoritaire, qui peut aller dans certains cas jusqu’à 5 à 10% de la structure du capital et d’autre part l’assurance de sources de revenues complémentaires par le biais des accords contractuels d’assistance technique, de fournitures diverses d’équipements hautement spécialisés ainsi que la commercialisation de bases de données et l’accès à des réseaux de ventes à l’international qui font partie intégrale du contrat de JVI sous la forme d’un «package» sur une période déterminée.
C’est ainsi que dans une opération de montage d’une JVI, les experts dans le domaine conseillent toujours leurs clients de se focaliser sur les objectifs et/ou motivations de chaque partenaire dans la constitution de la co-entreprise sur une période donnée. Par conséquent, la prise de participation majoritaire ou minoritaire ne représente pas vraiment sur le terrain un facteur clé de succès. Le plus important étant d’identifier avec beaucoup de clarté ce que l’on attend de la JVI. En d’autres termes, il faut mettre en adéquation la stratégie de l’entreprise avec la dynamique sectorielle locale et internationale. A ce sujet, l’exemple récent de co-localisation des activités de l’entreprise BRANDT en Algérie et en France par CEVITAL est édifiant et servira sans doute de «best practice» à suivre par d’autres entreprises championnes dans leurs domaines d’expertises respectifs.
Des facteurs clés de succès/échec dans les JVI en Algérie
Pour revenir à la question des JVI en Algérie, il nous parait utile de mentionner le travail de terrain effectué dans le cadre d’une thèse doctorale à l’Université de Manchester portant sur: «L’identification des facteurs clés de succès et d’échec dans les joint ventures internationales en Algérie». Il est intéressant de constater que depuis la soutenance de cette thèse, dans le milieu des années 1990, les résultats de la recherche ainsi que les recommandations sur les facteurs clés de succès ou d’échec dans la formation de JVI sont toujours pertinents dans le contexte de l’économie algérienne et du débat sur la diversification de l’économie par une dynamisation du processus d’internationalisation de l’entreprise algérienne sur les marchés internationaux via les JVI.
De manière synthétique, les cinq hypothèses de recherche qui ont été formulées et testées empiriquement en relation avec l’identification des facteurs déterminants du succès (échec) des joint-ventures internationales en Algérie sont présentées comme suit:
A/- Les managers algériens et étrangers perçoivent la sélection d’un partenaire approprié comme un facteur déterminant de succès de la JVI (Hypothèse 1). Les résultats empiriques de cette étude montrent que les managers algériens et étrangers ont des perceptions différentes quant à la question de savoir si le choix d’un partenaire approprié est important. Les managers étrangers ont classé cette variable comme extrêmement importante alors que leurs homologues algériens la considèrent comme importante. L’étude de terrain en Algérie a montré que les aspects les plus cruciaux dans la sélection du partenaire sont: (1) la familiarité à long terme des partenaires et leur expérience des relations commerciales précédentes (par exemple, activités d’import-export, assistance technique), construire des contrats BOT de transfert d’exploitation, et (2) le soutien accordé aux projets par les gouvernements des pays d’origine et d’accueil.
B/- Les managers algériens et étrangers considèrent que des pouvoirs décisionnels autonomes sont essentiels au succès des JVI (Hypothèse 2). Les résultats empiriques confirment l’opinion selon laquelle les managers algériens et étrangers ont des perceptions différentes de l’importance de l’autonomie décisionnelle en tant que facteur clé de succès. L’étude de terrain en Algérie contredit les arguments développés par certains experts qui soutiennent que la performance est plus répandue dans les entreprises avec un parent dominant par rapport à ceux où le contrôle est également partagé. Les données algériennes soutiennent l’idée que la prise de décision autonome et les responsabilités partagées appellent une plus grande contribution et une plus grande satisfaction des partenaires locaux.
C/- Les managers algériens et étrangers considèrent que la compétence de l’équipe de direction mixte est cruciale pour la réussite des JVI (Hypothèse 3). Les données de terrain indiquent que le critère principal utilisé dans la sélection d’un gestionnaire local est davantage lié à la question de la souveraineté qu’à la compétence intrinsèque de gestion. Cependant, il convient de noter que les gestionnaires algériens eux-mêmes estimaient que la compétence était un critère important.
D/- Les perceptions des managers algériens et étrangers quant à l’inégalité des bénéfices et des coûts influent sur l’échec des JVI (Hypothèse 4). Certains spécialistes ont attiré l’attention sur l’importance de l’engagement à long terme des entreprises étrangères dans leurs JVI, en particulier dans les pays en développement. La cause de nombreuses JVI ayant échoué a été associée à l’accent mis par l’entreprise étrangère sur le gain à court terme plutôt que sur l’engagement à long terme. Les données algériennes indiquent clairement que la perception d’avantages et de coûts inégaux peut être évitée par un véritable engagement à long terme des entreprises étrangères envers leurs JVI.
E/- Les managers algériens et étrangers considèrent la performance insatisfaisante d’une JVI comme un signe avant-coureur d’une défaillance de la co-entreprise (Hypothèse 5). Les résultats indiquent que la quatrième différence la plus significative dans les perceptions des deux groupes de gestionnaires est liée à la performance. Alors que les dirigeants algériens considéraient que la performance insatisfaisante avait une influence importante sur l’échec, les gestionnaires étrangers considéraient que ce facteur n’avait pas d’importance. Par ailleurs, les principaux critères utilisés pour évaluer la performance des JVI étaient fondés sur la rentabilité, la part de marché, la formation du personnel et de la main-d’œuvre locale ainsi que les résultats à l’exportation. Bien qu’il ne soit pas possible de généraliser ces résultats, on peut supposer que les perceptions de succès des partenaires algériens sont principalement liées à la formation des locaux, au transfert de technologie et au développement des activités d’exportation, tandis que pour les entreprises étrangères, la rentabilité et la part du marché algérien sont les principaux indicateurs de succès.
Monitoring et facilitation des JVI
Le contexte actuel de l’économie algérienne avec notamment la raréfaction des revenues en devises émanant des ventes des hydrocarbures ne doit pas être perçu comme un frein à la formation de JVI dans les secteurs économiques. L’adoption récente de la loi sur le e-commerce par l’APN est un signal positif fort en direction des start-ups, PME et tout autre acteur capable de créer de la valeur en Algérie et/ou à l’international grâce aux TIC et à l’ère du digital. La constitution de JVI en Algérie requiert un cadre réglementaire simple et flexible pour toutes les parties concernées. Par ailleurs, l’idée de création d’un organisme de monitoring comme point focal qui puisse conseiller de façon efficace les entreprises dans les domaines de la négociation, du choix des partenaires, de gestion des affaires de la JVI, des stratégies d’internationalisation via la comparaison entre différents modes opératoires et de l’intelligence économique. Le Singapore Economic Development Board (www.edb.gov.sg) en Asie du SE constitue une excellente source d’inspiration. Enfin, avec les principaux partenaires économiques et commerciaux de l’Algérie, il existe des programmes d’aide à la constitution et au lancement de JVI entre les entreprises locales et internationales. Ces mêmes programmes permettent de participer gratuitement à des séances de «business matching» avec des partenaires ayant des profiles potentiellement intéressants. Le programme ASIA INVEST, par exemple, mis en place par la Commission Européenne en Asie dans les années 1990 avait comme objectif principal la promotion des partenariats entre les PME Euro-Asiatiques.
Le continent africain dispose d’un énorme réservoir de compétences humaines, de ressources naturelles et d’infrastructures diverses. Le mode organisationnel flexible et efficace de la JVI offre un double avantage: d’une part, l’entreprise algérienne a une opportunité formidable de s’implanter sur les marchés en partenariat avec les entreprises africaines; d’autre part, la JVI facilite la création de co-entreprises en Algérie et particulièrement dans les secteurs économiques ayant besoin de l’expertise et des compétences des entreprises africaines. Enfin, la combinaison d’une vision stratégique claire sur 2030 et plus, d’un climat des affaires attractif ainsi qu’une réglementation simple et flexible est à nos yeux la condition sine qua non du décollage économique et de la visibilité internationale de l’entreprise algérienne.