La Banque d’Algérie qui détient le monopole de la détention des avoirs en monnaies étrangères, vient de faire un pas important dans le sens du desserrement de cette pratique anachronique instaurée en 1991 par la loi sur la monnaie et le crédit. Son Gouverneur, Mohamed Loukal, a en effet, adressé le 26 novembre dernier aux banques commerciales une directive les appelant à jouer dès le début de l’année 2018, un rôle plus actif dans la gestion des ressources en devises qu’elles ont collectées.
Par cette instruction, l’autorité monétaire qu’est la Banque d’Algérie, donne la possibilité aux banques commerciales et autres institutions autorisées à collecter des devises, de s’impliquer dans l’organisation et le fonctionnement du marché interbancaire des changes, les opérations de change au comptant, les opérations de couverture du risque de change ainsi que les opérations de trésorerie devises. En terme plus clairs, la Banque d’Algérie autorise les banques commerciales à jouer le rôle qui serait naturellement le leur dans une économie de marché qui se respecte.
Une économie de marché universelle dont s’est, pour diverses raisons, malheureusement éloignée l’Algérie mais qui semble la rattraper en ce temps de déclin des ressources en devises. Devenue anachronique et en totale contradiction avec l’ouverture économique proclamée, cette pratique consistant à confiner les banques commerciales dans un rôle de collecteur passif de devises au profit de la Banque Centrale, avait effectivement besoin d’être réformée pour redonner aux banques les prérogatives en matière d’emploi des ressources collectées qui auraient dû en toute logique lui revenir de droit.
L’instruction que la Banque Centrale vient de leur adresser, les autorisent effectivement à disposer en toute propriété de leurs encaisses en devises qu’elles pourront désormais affecter, selon les règles universelles de la commercialité et du change, à des citoyens ou des opérateurs économiques qui en effectueraient la demande. Bien que les banques et les intermédiaires agréés soient tenus de laisser au minimum 30% de l’encours total des comptes en devises de leur clientèle en compte courant auprès de la Banque d’Algérie, cette directive constitue tout de même un pas important, le premier du genre depuis la promulgation en 1991 de la loi sur la monnaie et le crédit, dans le sens de la démonopolisation de la détention de devises, jusque là dévolue exclusivement à la Banque Centrale algérienne.
Il faut en effet savoir que les devises que l’on dépose, pour une raison ou une autre, dans un guichet de banque commerciale n’appartiennent pas, comme on serait tenté de le croire à cette établissement bancaire qui les encaissées, mais à la Banque d’Algérie à qui elles sont, de par une disposition de la loi sur la monnaie et le crédit de 1991, automatiquement reversées.
Les banques et autres opérateurs qui collectaient des devises par divers canaux (dépôts de citoyens ordinaires, encaisses des entreprises ayant exportés des marchandises ou des services etc.) ne servent en réalité que d’intermédiaires qui n’ont, de par cette disposition expresse de la Loi sur la Monnaie et le Crédit, aucun droit d’en faire usage, au risque de poursuites pénales. Même les devises que les banques commerciales utilisent en tant que membres actifs du comité interbancaire du change pour déterminer la parité du dinar sont fournies par la Banque d’Algérie qui de ce fait contrôle tout le processus de cotation de notre monnaie.
Les dispositions introduites par la directive en question sont nombreuses et à bien des égards, novatrices. On peut, à titre d’exemple, citer celle relative à la réglementation des opérations de trésorerie en devises qui autorisera, dés le début de l’année prochaine, les banques et les intermédiaires à effectuer entre eux des emprunts et des placements en devises librement convertibles.
Les intermédiaires en question sont, par ailleurs, autorisés à accorder des prêts en devises à leurs clientèles à l’effet de couvrir les engagements contractés. Leur participation au marché de trésorerie devises les soumets toutefois à l’obligation d’afficher en permanence sur des tableaux appropriés, les taux d’intérêt applicables aux devises traitées, est-il clairement précisé pour éviter tout risque de manipulation des cours du change.
Mais si cette directive de la Banque Centrale algérienne réinstaure, à n’en pas douter, un mode gestion de la devise un peu plus cohérent, il n’en demeure pas moins que beaucoup de zones d’ombre et de non dits, sont de nature à en réduire la portée et en compliquer l’application. En lisant les termes de cette instruction on ne sait, en effet, toujours pas si les banques commerciales seront autorisées à gérer directement toutes les formes d’encaisses en devises, y compris celles déposées par les entreprises exportatrices, ou seulement les comptes devises ouverts par de simples citoyens ? La Banque Extérieure d’Algérie où sont domiciliés les avoirs en devises de la Sonatrach, a t’elle, par exemple, le droit d’utiliser cet argent pour effectuer des opérations de change ou d’investissement au profit des clients de divers horizons qui en feraient la demande? La directive n’est pas du tout explicite à ce propos.
En cas d’opérations de change qui fixera la parité du dinar par rapport aux monnaies étrangères? Est-ce au comité interbancaire du change d’en fixer les taux ou est-ce à la banque directement concernée de le faire en fonction de la concurrence, à charge pour elle de seulement afficher les taux de change pratiqués? Là non plus, la directive de la banque d’Algérie manque de clarté. D’où doivent provenir les encaisses en devises déposées par des citoyens ordinaires?
La directive ne le précise pas non plus, sachant pourtant qu’elles ne peuvent, dans les conditions présentes, que provenir du marché informel de la devise que la législation en vigueur prohibe.
Partant du fait que les banques commerciales seront autorisées à faire usage de 70% de leurs encaisses en devises (30% seulement continueront à être détenues par la Banque d’Algérie), quelles garanties ont les détenteurs de comptes en devises de pouvoir récupérer à tous moments leurs avoirs ? La Banque Centrale se portera t elle garante en cas d’indisponibilité de devises dans les agences bancaires?
A la lecture de cette instruction on ne peut par ailleurs s’empêcher d’avoir des doutes sur la réelle motivation à la promulguer en ce temps de crise budgétaire. Telle que rédigée cette directive peut en effet laisser penser que le gouvernement algérien, pris à la gorge par l’amenuisement drastique des encaisses en pétrodollars, a choisi de se désengager du financement des investissements autres que publics) et des besoins en devises des citoyens (allocations touristiques, soins à l’étranger, rapatriement des dépouilles mortuaires, aides aux étudiants en formation à l’étranger etc.) qu’il a décidé de confier aux banques commerciales qui pourront désormais le faire au moyen des devises qu’elles ont-elles mêmes collectées.
L’État ne s’occupera désormais que de la gestion des devises résultant de vente d’hydrocarbures et d’éventuels emprunts extérieurs, qui serviront à financer les programmes publics et le train de vie de l’Etat. La question mérite en tout cas d’être posée en ce temps de restrictions budgétaires dues au déclin des recettes d’hydrocarbures.
Autant de questions que se posent aussi bien les citoyens que les hommes d’affaires, même s’ils sont unanimes à saluer cette instruction comme le début de la fin d’un monopole qui a beaucoup contribué à tirer l’économie algérienne vers le bas.