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François-Aïssa Touazi, cofondateur CapMena : Pourquoi la France doit oser le partenariat d’exception avec l’Algérie

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La visite du président Emmanuel Macron à Alger, ce 6 décembre, s’inscrit dans le cadre d’une séquence franco-algérienne particulièrement riche. Elle intervient à la veille du séminaire intergouvernemental franco-algérien prévu le 7 décembre à Paris, et après la IVe session du Comité économique mixte algéro-français (COMEFA), tenue en novembre dernier à Alger et qui a constitué le premier rendez-vous du partenariat France-Algérie sous l’ère du Président Macron. Un partenariat qui dispose de puissants atouts pour devenir véritablement d’exception, estime François-Aïssa Touazi.

Une Tribune libre de François-Aïssa Touazi, ancien diplomate, cofondateur du cercle de réflexion CapMena

Cette session du COMEFA du 12 novembre a en effet été particulièrement fructueuse, avec l’aboutissement du projet d’implantation d’une nouvelle usine du groupe PSA à Oran (après celle de Renault, en 2014), la constitution du plus grand centre industriel en Afrique de Schneider Electric, ainsi que d’autres accords dans le domaine de l’agriculture biologique, porté côté français par Agromed.

L’ambition partagée d’une nouvelle relation économique

Ce format de coopération a permis des avancées significatives dans le règlement des litiges et dans la mise en place de projets industriels structurants à travers la co-production, encourageant ainsi l’approfondissement de notre partenariat et l’ambition partagée d’une nouvelle relation économique.

En dépit de ce cadre et de ses résultats concrets, force est de reconnaître que les relations entre nos deux pays ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux et de son potentiel. Nos relations ne peuvent se résumer à la préservation de nos parts de marché, aux enjeux migratoires et à la lutte contre le terrorisme. Cette relation exceptionnelle avec l’Algérie apparaît plus que jamais dans son impérieuse nécessité et les dirigeants de nos deux pays ont le devoir d’en accélérer la mise en œuvre tant nos jeunes générations ont l’ambition de nouer une relation forte et durable.

Réconciliation : mettre un terme à la guerre des mémoires

Cette visite devrait permettre au président français de livrer sa vision d’une relation franco-algérienne renouvelée à un moment où Alger s’engage dans une profonde transition. 
Déjà, en campagne, le candidat avait évoqué la singularité et la densité de ce partenariat d’exception, lors de son déplacement à Alger. Il avait notamment eu le courage d’aller plus loin sur les enjeux mémoriels, convaincu que la construction d’un avenir commun auquel les jeunes générations aspirent tant ne pourra pas se concrétiser si le reniement, le contournement et l’instrumentalisation de « ce passé qui ne passe pas » persistent.

Réconcilier notre pays avec ce passé, en assumer ces zones d’ombres, les faire partager, est une étape indispensable pour tourner cette page douloureuse et entamer une transition apaisée de la mémoire à l’histoire à l’instar de la relation franco-allemande. C’est aussi un enjeu important pour la France, où vivent des millions de franco-algériens, qui aspirent profondément à cette réconciliation mémorielle pour s’inscrire pleinement dans notre communauté de destin.

C’est pourquoi, il est urgent de mettre un terme à cette guerre des mémoires qui a pendant trop longtemps miné notre relation et contribué aux rendez-vous manqués, et aller avec détermination vers cette réconciliation tant souhaitée dans le respect de la mémoire de toutes les victimes.

Une opportunité unique porteuse d’apaisement, de stabilité et de prospérité

L’Algérie doit aussi accompagner la France dans ce mouvement historique car elle est aujourd’hui suffisamment mûre et solide pour se réconcilier avec toutes celles et ceux qui l’ont gardé au cœur et qui continuent de souffrir de cette séparation brutale. 
En effet, la construction d’un avenir commun exigera l’adhésion la plus large possible de nos peuples et de nos sociétés civiles qui doivent être au centre de l’approfondissement de notre relation de manière à la considérer comme une opportunité unique porteuse d’apaisement, de stabilité et de prospérité. La dimension humaine de notre partenariat doit être au cœur de cet enjeu et exige une meilleure prise en considération de la circulation des personnes.

Les liens humains entre nos deux pays sont tellement profonds et inextricables, nos intérêts mutuels tellement évidents qu’ils nous obligent à être plus ambitieux, plus audacieux dans la construction d’une alliance stratégique, pivot d’un vaste ensemble régional englobant le Maghreb, l’Afrique et le Moyen Orient.

Plus de coopération stratégique et militaire pour garantir la paix

En effet, nos deux pays partagent les mêmes préoccupations sur l’instabilité au Sahel et en Libye. Cette situation doit conduire nos pays à aller vers une plus grande coopération, non seulement, politique et économique, mais aussi, stratégique et militaire pour garantir la paix, la sécurité, et la stabilité de toute la région.

Emmanuel Macron a inscrit le Maghreb et l’Afrique dans ses priorités diplomatiques, déterminé à mobiliser ses partenaires européens sur cet enjeu prioritaire pour l’Europe. La place centrale de l’Algérie au Maghreb ainsi que sa profondeur sur l’Afrique lui confèrent un rôle déterminant pour toute initiative régionale.

L’Algérie, puissance régionale, dispose d’une armée forte et solide qui s’est révélée efficace dans la lutte contre le terrorisme. Elle dispose aussi d’une diplomatie très active qui a fait ses preuves dans la résolution des conflits, notamment en Afrique et dans le monde arabe. 
Les moyens et les influences de nos deux pays nous positionnent au cœur des enjeux africains et moyen-orientaux. Une telle alliance entre nos deux pays leur permettrait d’œuvrer efficacement à la stabilisation des espaces euroméditerranéen et euroafricain à un moment où l’instabilité et le risque de chaos s’aggravent et menacent la région.

Accompagner l’Algérie vers sa diversification économique

Au niveau bilatéral, l’Algérie demeure le premier partenaire commercial de la France (en dehors des pays de l’OCDE), son principal fournisseur énergétique mais aussi le premier partenaire fraternel pour plus de 15 % des Français ayant des liens directs ou indirects avec l’Algérie.

Avec la chute des prix du pétrole depuis 2014, l’Algérie fait face à de profondes difficultés économiques. Le pays est à la peine pour réussir sa diversification économique et sa transition vers son nouveau modèle de développement économique. Plus que jamais, Alger a besoin de partenaires fiables pour l’accompagner dans sa transition. Son économie demeure encore trop dépendante des hydrocarbures , ce à quoi s’ajoutent un secteur public à bout de souffle, une bureaucratie trop lourde et une économie informelle trop pesante.

Pour faire face à la situation, les autorités algériennes, obsédées par la crainte du retour à l’endettement, ont opté pour les financements non conventionnels et mis en place des réformes visant à stimuler l’investissement privé dans les nouveaux secteurs prioritaires de la diversification (énergies renouvelables, agriculture, industries de transformation, construction automobile, NTIC…).

Premier investisseur étranger en volume, la France possède de nombreux atouts pour s’imposer comme le partenaire incontournable dans cette période de transition difficile pour l’Algérie. Elle possède justement un savoir-faire indéniable dans les nouveaux axes de développement économique du pays. Elle peut aussi mobiliser son expertise reconnue en matière de formation professionnelle – en particulier de techniciens et logisticiens dont le pays a cruellement besoin –, de numérisation, de mise en conformité aux normes internationales ou de modernisation de système bancaire et financier qui sont tous indispensables pour la réussite de cette diversification.

Développer des filières industrielles franco-algériennes complètes

Pour accompagner efficacement l’Algérie dans l’émergence de ses nouveaux pôles de développement centrés autour de l’agriculture, de l’industrie, de l’innovation, du numérique et de la biotechnologie, nos deux pays pourraient aller au-delà de la co-production et s’engager vers le développement de filières industrielles franco-algériennes complètes, tournées autour des transferts de technologie et de savoir-faire intégrant un accompagnement à l’exportation, de même que des incubateurs de startups, des zones d’activités et des sociétés à capitaux mixtes.

Dans un pays confronté à un fort taux de chômage parmi les jeunes, la France pourrait soutenir l’Algérie dans le développement d’écosystèmes, créateurs d’emplois autour de partenariats gagnant-gagnant entre les entrepreneurs de nos deux pays dans les métiers de l’Internet, du codage informatique et des nouvelles technologies. La mise en place de véhicules adaptés aux besoins des entreprises, comme un fonds d’investissement franco-algérien, mobilisant des financements ciblés et adaptés à des partenariats franco-algériens rentables, doit constituer une priorité.

Il est aussi important de souligner que l’Algérie possède de nombreux atouts et d’immenses relais de croissance inexploités qui peuvent éclore dans le cadre de cette relation d’exception. La relation commerciale traditionnelle, fondée sur l’importation, tend à disparaître au profit d’un nouveau modèle économique reposant sur des partenariats structurants qui exigent un engagement concret et sur le long terme des entreprises étrangères.

Ressources et technologie, des atouts majeurs complémentaires

Là aussi, la technologie française, son savoir-faire et aussi notre proximité culturelle constituent des atouts majeurs. Sur le plan de l’énergie par exemple, Le pays regorge de réserves inexploitées et quelques fois ignorées, (4ème réservoir de gaz de schiste au monde), un des plus grands gisements solaires au monde grâce au potentiel du Sahara, équivalent à 10 fois la consommation globale mondiale.

Il dispose aussi d’importantes réserves minières, des infrastructures gazières, pétrolières et électriques pouvant desservir l’Europe et l’Afrique. Un des atouts majeurs de l’Algérie demeure sa situation géographique, hub entre l’Europe et l’Afrique avec une transsaharienne en cours d’aménagement qui devrait relier Alger à Lagos.

Les entreprises françaises ont tout intérêt à se positionner sur les nombreuses opportunités qui découleront des stratégies mises en œuvre dans ces nouveaux secteurs, notamment l’agriculture, la pêche, la logistique, le tourisme et les industries de transformation. Mais l’Algérie, qui a besoin des investisseurs étrangers pour réussir sa diversification, se doit aussi de s’affirmer plus attractive pour devenir une économie moderne.

Pour un programme bilatéral d’éducation et formation

Il y a un consensus pour considérer que l’éducation et le capital humain constituent les facteurs centraux et indispensables au progrès et au développement. L’Algérie a considérablement investi dans ses infrastructures éducatives ces vingt dernières années. Toutefois, force est de reconnaître que le système éducatif algérien n’est pas adapté aux besoins du marché du travail et que le pays a aujourd’hui besoin de ses partenaires pour répondre aux besoins des entreprises, mais aussi à la demande des nouvelles générations.

Dans cette perspective, la France devrait être en mesure de contribuer très largement à la stratégie engagée avec des moyens à la hauteur des enjeux pour la réussite éducative pour tous, la formation de techniciens, d’ingénieurs, scientifiques et médecins en nombre. 
Dans le cadre d’un programme bilatéral, la France pourrait renforcer encore les capacités de l’Algérie par la création de parcours d’excellence dans les lycées et les universités, la création d’écoles doctorales jumelées ou de jurys communs d’agrégation, le développement de pôles d’excellence par la mise en place de partenariats entre nos instituts et nos universités, et stimuler l’admission d’un nombre plus important d’étudiants algériens dans les grandes écoles françaises.

Pour un organisme franco-algérien de la jeunesse

Maintes fois envisagé mais jamais concrétisé, un organisme franco-algérien de la jeunesse doit à l’évidence être installé pour donner une permanence à cette coopération au plus près des attentes et des besoins des jeunes des deux pays. 
Nos jeunesses doivent être un des moteurs de notre partenariat. La créativité des artistes algériens n’est plus à démontrer, et ils contribuent aussi vivement à la richesse de la culture française comme en témoigne la vitalité de la littérature algérienne d’expression française, régulièrement consacrée en France. Des écrivains comme Kaouther Adimi, Yasmina Khadra ou Kamel Daoud s’imposent dans nos paysages culturels.

Cette créativité doit être encouragée et soutenue par le développement de partenariats entre nos écoles d’art et la multiplication de projets communs, des festivals mixtes (remise de prix culturels) et pourquoi pas des programmes audiovisuels qui pourraient donner lieu à la création d’une chaîne franco-algérienne, à l’image d’Arte [la chaîne franco-allemande, ndlr].

Vision d’avenir et responsabilités historiques

La coopération décentralisée est en plein essor et occupe une place majeure dans notre partenariat. Les contacts entre nos sociétés civiles ne cessent de se développer, pour le plus grand bénéfice de tous. 
Il est important aussi que les millions de franco-algériens, trait d’union naturel entre nos deux pays, trouvent toute leur place dans ce partenariat et contribuent activement à son développement et à son rayonnement. Ils sont porteurs d’un capital non seulement financier mais aussi intellectuel, politique, culturel et social indispensable pour la vitalité et la pérennité de notre relation.

La visite d’Emmanuel Macron et cette séquence algérienne doivent nous permettre d’avancer avec détermination vers ce partenariat stratégique rénové, animé par des motivations politiques fortes et partagées et qui mise sur l’avenir et l’énergie de nos jeunesses. Le président français a compris la nécessité de projeter cette relation dans l’avenir et dans l’intérêt de nos deux peuples. Mais pour voir le jour, un tel dessein doit être partagé. Espérons que les décideurs de nos deux pays sauront se hisser à la hauteur de leurs responsabilités historiques et permettre à notre partenariat d’exception de mériter son nom.

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