Si ces secteurs considérés séparément semblent avoir des exigences parfois divergentes, leurs acteurs parviennent de mieux en mieux à concilier leurs objectifs respectifs dans un développement inclusif au service du Continent. Comment parvenir à cette équation vertueuse entre les mines, les infrastructures et le développement durable, tel était le thème d’une des conférences de « Africa Investments Forum & Awards », organisé à Paris le 23 novembre.
Deux chiffres suffisent à mettre l’enjeu en perspective : actuellement, les matières premières représentent 50 % des exportations et un tiers du PNB de dix pays africains ; les infrastructures, quant à elles, jouent un rôle clé dans le développement : 90 % du transport sur le Continent se fait par voie terrestre, quand 50 % de la population n’a pas accès à la route tout au long de l’année.
Les retombées économiques positives d’un secteur minier plus inclusif
Le panel d’experts réuni à l’occasion de la conférence « Africa Investments Forum & Awards » organisé à Paris le 23 novembre, concorde à reconnaître que le secteur des mines apparaît plus ouvert sur son environnement, à la fois naturel et social. Plus de contribution, plus d’innovation, plus d’intégration : le secteur minier achève sa transformation, et son développement s’appuie désormais sur des synergies avec son environnement.
Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, et c’est dans l’air du temps, les miniers sont naturellement plus enclins à intégrer spontanément la dimension développement durable à leurs projets.
Ensuite, comme l’explique Daniel Major, président de GoviEx Uranium, le développement des infrastructures qui accompagne les projets miniers est désormais commandé par un usage mixte : en permettant leur utilisation pour le transport des produits agricoles, on augmente directement l’impact sur le développement local, sans oublier que cela contribue à en faciliter le financement, aussi bien en termes d’obtention de fonds de démarrage que parce que cela permet de générer des revenus additionnels.
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C’est le cas aussi pour la production énergétique, dont on force le surplus pour la revendre au pays et générer au passage d’autres formes de revenus, souligne Andrew Jones de Linklaters, l’un des cinq plus importants cabinets d’avocats d’affaires britanniques.
Les lignes de financement sont alors dissociées, précise Daniel Major : Vale, l’entreprise minière multinationale propriétaire du site, a construit 900 km d’une voie ferrée qui a bénéficié d’un financement spécifique. Cette approche mixte permet également de mieux concilier les impératifs de long terme avec les aléas des cours des matières premières. La transition vers le développement durable, souligne enfin le panéliste, s’est également faite grâce à au recours à de nouvelles solutions comme les générateurs électriques hybrides diesel et solaire.
L’Alliance minière responsable et la Guinée, un cas d’école gagnant-gagnant
L’Alliance minière responsable, créée en 2013, fait figure de cas d’école. Son jeune fondateur Romain Gibal a voulu « tenter l’aventure africaine »… et réussi son pari : en 2018, la société, fondée il y a à peine quatre ans, s’apprête à exporter deux millions de tonnes de bauxite guinéenne. Dans un marché de matières premières baissier, le cours de la bauxite fait figure d’exception puisqu’il a connu une augmentation constante ces dernières années.
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Une aubaine pour la Guinée, qui regorge d’atouts pour faire prospérer ce nouveau filon : elle possède avec la bauxite un minerai de qualité, de solides réserves et des sites de production situés non loin du bord de mer doté d’infrastructures. Aujourd’hui, le pays est déjà en volume le premier exportateur de bauxite vers la Chine, et est en passe de devenir le premier exportateur mondial de ce minerai.
Pour Romain Gibal, qui revient fièrement sur les débuts de sa société – « deux années de levée de fonds, un accompagnement stratégique par des consultants, des études environnementales poussées », ce projet greenfield est un exemple d’intégration et de contribution à la communauté.
La société a complété grâce à un partenaire chinois l’infrastructure routière existante pour répondre aux besoins des villageois. L’implication au sein de la communauté s’est tout d’abord faite à travers de petits projets à la mesure de leurs modestes moyens : installation de panneaux solaires profitant à la communauté, creusement de puits, enseignement dispensé par les expats dans les écoles. Une implication vouée à grandir en même temps que la croissance de la société, selon les dires du jeune président, lauréat AIFA 2017 du prix du Meilleur projet minier.
En finir avec les clichés obsolètes
Pourquoi un tel investissement dans un pays à la réputation aussi peu sûre ?
En répondant à cette question, Romain Gibal permet de balayer quelques clichés. Lui a souhaité revenir en Guinée où il avait passé quelques années de son enfance, encouragé par son père : on a moins peur des choses qu’on connaît…
Il se voit en cela conforté par ses co-panélistes : Daniel Major, CEO de GoviEx Uranium, précise qu’il travaille en Afrique depuis vingt-huit ans et qu’à son sens la perception du risque y est souvent erronée. Si les gouvernements sont lents, la bureaucratie est moindre qu’au Canada ou qu’en Amérique du Sud, avec des permis obtenus en quatre à six mois. Pressentant le scepticisme, il s’empresse de préciser que cela ne signifie pas pour autant une baisse de qualité des processus, puisque ceux-ci répondent à des standards internationaux.
D’après lui, il est temps de faire évoluer des points de vue devenus obsolètes : perception du risque, bureaucratie, mentalités… laissent place à la réalité d’une population plus éduquée, notamment grâce au retour de la diaspora, et à des environnements plus stables.
Autre effet, inattendu : l’Afrique permet souvent un développement régional de ses entreprises, car il n’est pas rare qu’une entreprise qui s’installe dans un pays s’implante également dans les pays voisins.
Évolution des mentalités et du cadre juridique
Plus d’intégration signifie aussi plus de recrutements locaux. Au Niger, explique Daniel Major « nous n’avons plus eu d’expats à partir de 2009, et depuis nous n’avons employé que des locaux ».
Reste l’aspect juridique, qu’évoque Jean-Baptiste Harelimana, président de l’Institut Afrique Monde, un cercle de réflexion crée en 2013, basé à Paris avec une antenne à Abidjan, spécialiste des questions d’économie, gouvernement, culture, et juridique de l’environnement africain. Celui-ci fait remarquer que le secteur des mines et de l’énergie constitue le plus gros des affaires d’arbitrage (25 % pour le secteur mines et pétrole, 17 % pour les infrastructures et l’électricité), dont 60 % concernent des affaires en Afrique.
Signe d’un changement des mentalités et d’une prise de conscience, les codes des investissements adoptés au sortir de la décolonisation – centrés sur la protection de l’investisseur – sont pour beaucoup en passe d’être révisés et intègrent désormais des paramètres de responsabilité sociétale. À cet égard, un code panafricain des investissements décidé en 2012 a pour objectif de promouvoir le développement durable en prenant en compte la diversité culturelle. Reste à le faire adopter par un minimum requis de 15 pays.
Prise de conscience, réglementation qui évolue, approches économiques et sociétales plus inclusives, les évolutions sont notables mais le chemin de la prise en compte juridique est encore long.