Toute une multitude de facteurs créés de toutes pièces, à l’effet de maintenir la rente pétrolière sous contrôle des régimes politiques en place, ont contribué à brouiller la traçabilité de nos encaisses et dépenses en devises. Si l’on croît, à peu prés savoir ce que le pays a engrangé à travers les états des recettes pétrolières publiées par la Banque d’Algérie, on ignore par contre pratiquement tout des transferts de devises effectués par toute une panoplie d’opérateurs (Etat, entreprises, acteurs de l’économie informelle, fraudeurs, citoyens ordinaires etc.) dans l’opacité.
L’inexistence de bureaux de change officiels qui auraient pu constituer une extraordinaire source d’informations sur les flux de devises, a évidemment accentué le flou qui caractérise les transferts de devises. Un flou chronique auquel semblent du reste s’accommoder aussi bien les vendeurs que les acheteurs clandestins du marché parallèle.
Une situation qui a toutes les chances de perdurer et de se développer, tant les conditions favorables à la clandestinité du change sont nombreuses. Parmi les plus déterminantes nous citerons l’accumulation prodigieuse de dinars par les opérateurs de l’informel qui ne trouvent pas de facilités à investir en Algérie, la non prise en charge de tout un éventail de services qui ne sont pas éligibles à la convertibilité (soins et voyages à l’étranger, frais d’études, ingénierie etc.) et, depuis ces trois dernières années, l’engouement des plus riches pour l’achat de biens immobiliers dans certains pays d’Europe (Espagne, France) où la crise économique a considérablement réduit les prix.
A cette hémorragie de devises qui porterait sur une moyenne de 30 milliards de dollars par an tout au long des dix dernières années, les autorités politiques et monétaires algériennes n’ont jamais su opposer une réaction suffisamment claire, durable et adaptée aux circonstances. La lutte contre le trafic de devises a de tout temps pris l’effet de slogans, de coups de boutoirs occasionnels et de campagnes sans lendemains.
Elle est pourtant clairement inscrite dans la Constitution et donné naissance à une multitude d’institutions expressément chargées de cette lutte (Douanes, Banque d’Algérie, Cour des Comptes, diverses brigades de répression etc.).
Bien que son efficacité soit discutable, le moyen dont les autorités ont le plus souvent fait usage est la dévaluation du dinar qui a perdu au gré des dépréciations périodiques, plus des deux tiers de sa valeur en vingt ans. Ces dévaluations devaient selon les autorités monétaires accroitre la compétitivité des produits exportables et décourager les transferts illicites de devises devenues trop chères.
L’efficacité de ce moyen de lutte est malheureusement largement contredite par la persistance de la faiblesse de nos exportations hors hydrocarbures (à peine 700 millions de dollars en 2014) et, sans doute, encore moins cette année en dépit d’un dinar maintenu depuis plus d’une décennie à des niveaux de plus en plus bas. Les importations n’ont par contre jamais connu une aussi forte augmentation que durant cette décennie, passant de 22 milliards de dollars en 2004 à environ 55 milliards de dollars en 2014.
La Banque d’Algérie avait, on s’en souvient, en projet un certain nombre d’actions déterminantes pour la mise en place progressive d’un authentique marché des changes. Sans doute parce certains cercles influents du pouvoir ne veulent pas d’un marché de la devise transparent, la banque centrale ne mettra en œuvre aucune des actions projetées, à commencer par l’ouverture de simples guichets publics et privés de change,dont la réglementation y afférent avait pourtant entièrement été promulguée en 1998.
Actuellement, tout semble être fait pour encourager les demandeurs de devises (entrepreneurs et simples citoyens) à s’adresser aux cambistes informels aujourd’hui très sollicités par ceux, de plus en plus nombreux, qui souhaitent placer leurs avoirs à l’étranger, voyager, se soigner ou acquérir des produits qui ne sont pas encore commercialisés en Algérie.
Il est aujourd’hui quasi certain que si les autorités en charge des questions monétaires persistent dans cette manière de gérer la parité du dinar, il est bien évident que notre monnaie n’a aucune chance de se redresser quand bien même le cours des hydrocarbures venaient à se redresser. Pour que la valeur d’échange du dinar soit effectivement le reflet de la situation économique du pays, il faudrait que la Banque d’Algérie rompe avec la logique bureaucratique dans laquelle elle a enfermé la cotation de notre monnaie et aille résolument vers la mise en place d’un authentique marché des changes.
S’il venait à être constitué, ce marché offrirait de nombreux avantages parmi lesquels on peut citer : la disparition du marché parallèle de la devise avec toutes les nuisances qui le caractérisent, la possibilité pour les entreprises de se financer directement sur ce marché, le raffermissement du dinar du fait d’une plus grande disponibilité des devises, un regain de pouvoir d’achat du fait de la baisse des prix des produits importés etc.
A travers les réponses négatives récemment apportées aux experts financiers et certains partis politiques favorables à la convertibilité totale du dinar, par le Directeur de Cabinet de la Présidence de République et le Gouverneur de la Banque d’Algérie, il n’y a, à l’évidence, aucun espoir que ce marché des changes auxquels tous les algériens aspirent, émerge à brève échéance.