L’Algérie envisagerait d’annuler ses livraisons de gaz à Naturgy si les actions de la société espagnole étaient vendues à une autre entreprise, a rapporté lundi l’agence britannique Reuters, citant une source proche du dossier.
Bien que la source n’ait pas spécifié l’identité de cette entreprise, il s’agit bien de la société émiratie TAQA d’Abu Dhabi qui avait annoncé récemment être en pourparlers avec les trois principaux actionnaires de Naturgy, laissant entendre la possibilité d’une offre publique d’achat complète.
Naturgy détient une participation (49%) dans le gazoduc Medgaz reliant l’Algérie à l’Espagne, en plus de contrats avec le groupe Sonatrach, principal fournisseur de gaz à l’Espagne via ce gazoduc.
Un porte-parole de Naturgy a déclaré à Reuters que la société avait signé des contrats d’approvisionnement « take or pay » avec l’Algérie jusqu’en 2032. Il a également souligné que Naturgy n’était pas impliquée dans les négociations sur la propriété de l’entreprise, comme cela avait été clairement indiqué dans les documents publiés à l’époque.
Le ministère espagnol de l’énergie a refusé de commenter cette affaire, tandis que TAQA avait confirmé être en pourparlers avec les sociétés de capital-investissement CVC et GIP, ainsi qu’avec le principal actionnaire de Naturgy, Criteria, concernant un éventuel accord de partenariat.
Les pourparlers visant à l’acquisition de Naturgy interviennent à un moment où les relations entre l’Algérie et les Émirats arabes unis ne sont pas au mieux.
L’Algérie a été le principal fournisseur de gaz de l’Espagne au cours des trois premiers mois de l’année, représentant environ un tiers des importations totales de gaz selon Enagas, l’opérateur de réseau gazier espagnol. La majeure partie de ces approvisionnements est acheminée par gazoduc.
TAQA veut acquérir 40% de Naturgy
En avril dernier, TAQA avait confirmé qu’il était en pourparlers avec les principaux actionnaires de Naturgy pour acheter plus de 40% des actions de la société espagnole. Ces discussions pourraient éventuellement mener à une offre publique d’achat totale du groupe énergétique espagnol, dont le groupe Sonatrach détient 4,1% des parts.
Les négociations portent sur la cession des parts de Criteria, qui possède 26,7% de Naturgy, ainsi que de trois fonds d’investissement étrangers, notamment fonds mondial de capital-investissement (CVC) qui détient 20,7%, le fonds d’investissement Global Infrastructure Partners « GIP » (20,6%) et le fonds d’investissement australien IFM Global Infrastructure (15%).
Selon le journal espagnol La Vanguardia, TAQA pourrait dépenser au moins 10 milliards d’euros pour acquérir cette part de Naturgy.
Pour respecter la réglementation espagnole, qui exige une offre publique d’achat lorsqu’un acheteur souhaite acquérir plus de 30% d’une société cotée en bourse, TAQA devra obtenir l’approbation du gouvernement espagnol, étant donné l’importance de Naturgy dans le système énergétique du pays.
Cette situation avait suscité un débat en Espagne sur la vente d’une entreprise gazière stratégique, notamment dans la conjoncture actuelle. Naturgy, la plus grande entreprise gazière d’Espagne, est également active dans les énergies renouvelables, avec une capacité installée d’environ 6,5 GW. Elle a des contrats gaziers avec l’Algérie et un contrat à long terme pour importer du GNL russe.
La CNMV espagnole a levé la suspension de la négociation des actions Naturgy, confirmant ainsi les discussions en cours. Cependant, TAQA avait précisé qu’aucun accord officiel n’a encore été conclu avec Criteria Caixa, CVC ou GIP, et que rien n’assure que l’opération se réalisera. De plus, TAQA déclare n’avoir entrepris aucune démarche directe auprès de Naturgy.
Naturgy détient 49% du gazoduc Medgaz
Pour rappel, Naturgy possède également 49% du gazoduc Medgaz, qui relie l’Espagne à l’Algérie, son principal fournisseur de gaz.
Sonatrach est actionnaire majoritaire du gazoduc avec 51% des parts depuis mai 2020, suite à l’acquisition des parts de l’autre entreprise espagnole Cepsa.
Le Medgaz est long de 210 km reliant la ville de Beni-Saf (Ain Temouchent) à Almeria (sud de l’Espagne). La société Medgaz, opérant le gazoduc entre l’Algérie et l’Espagne depuis 2011, a enregistré un bénéfice record de 135,937 millions d’euros en 2022, marquant une augmentation de 28,3 % de ses profits par rapport à 2021.
Ce record de bénéfices de Medgaz en 2022 a été entièrement consacré à la distribution de dividendes à ses actionnaires, répartis selon leur participation dans l’entreprise. Ainsi, Sonatrach a percu plus de 69,3 millions d’euros en dividendes, tandis que Naturgy et BlackRock se partageront environ 66,6 millions d’euros.
Le chiffre d’affaires du gazoduc a atteint 295,761 millions d’euros en 2022, enregistrant une augmentation de plus de 19 % par rapport à l’année précédente. Parallèlement, le résultat d’exploitation s’est élevé à 211,997 millions d’euros.
L’Algérie principal fournisseur de gaz à l’Espagne
En 2022, la capacité de transport du gazoduc a été portée à 10 milliards de mètres cubes par an, contre 8 milliards précédemment. Cette extension a représenté un coût de 81,76 millions d’euros. À travers les contrats qui la lient à Naturgy, Sonatrach a livré durant la dernière décennie plus de 83 milliards de m³ de gaz à son client espagnol.
Pour rappel, l’Algérie a terminé l’année 2023 en tête des fournisseurs de gaz à l’Espagne. L’Algérie, qui a fourni 29,2% des quantités de gaz importées par l’Espagne, a réussi à détrôner les États-Unis, qui occupent désormais la deuxième place, suivis par la Russie, selon Enagás, la principale société de transport de gaz naturel de l’Espagne et responsable technique du système de gaz espagnol.
Depuis le début de l’année (janvier a mars 2024), l’Algérie a fourni 33,1% du total des besoins espagnols en gaz naturel, suivie par les États-Unis (24,5%) et la Russie (23,1 %).
En mars dernier, l’Algérie a consolidé sa position en tant que principal fournisseur de gaz naturel de l’Espagne, couvrant 42% des importations totales du pays le mois dernier, devant la Russie (25,7%) et les Etats-Unis (18,2%). L’Algérie domine ainsi les importations espagnoles de gaz naturel pour le troisième mois consécutif (janvier, février, mars 2024).
Relations entre l’Algérie et les Emirats Arabes Unis
Ces derniers mois, les relations entre l’Algérie et les Emirats Arabes Unis ne sont pas au beau fixe. Fin mars dernier, lors de son entrevue périodique avec les représentants des médias nationaux, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, avait qualifié les agissements d’un pays arabe à l’encontre de l’Algérie d’actes « illogiques ». Le chef de l’Etat parlait des Emirats Arabes Unis sans les citer nommément.
Le président Tebboune avait a précisé à propos de ce pays que « tous les frères arabes témoignent que nous n’avons utilisé aucun langage violent ». Il a affirmé que l’Algérie considère toujours ce pays -dont il n’a pas cité le nom- qui a des agissements hostiles envers elle, comme « un pays frère », espérant que ce pays cessera ces comportements.
« L’Algérie ne s’inclinera devant personne » a-t-il déclaré, appelant ce pays à « tirer des leçons des grandes nations que nous respectons et qui nous respectent ». « Se trompe celui qui croit pouvoir imposer à l’Algérie ce qu’il impose à d’autres nations », a-t-il assuré, soulignant que l’Algérie avait sacrifié « 5 millions et 630 mille martyrs pour sa souveraineté, et que l’enseignement était clair à travers l’histoire du pays des martyrs ».
Le président de la République a rappelé l’utilisation par ce même pays de fonds dans les événements qui se déroulent dans les pays du voisinage, l’exhortant à éviter la fitna. En janvier dernier, lors d’une réunion présidée par le président Tebboune, le Haut conseil de sécurité a exprimé « ses regrets concernant les agissements hostiles à l’Algérie, émanant d’un pays arabe frère ».
Il convient aussi de rappeler qu’en mars 2022, les relations entre Alger et Madrid ont pris un tournant difficile suite à un changement de cap du gouvernement espagnol concernant le conflit au Sahara occidental. Cependant, les tensions se sont légèrement apaisées après la nomination d’un ambassadeur d’Algérie en Espagne en novembre dernier, suivie de la reprise des échanges commerciaux entre les deux pays, qui avaient été suspendus pendant plus de 18 mois.
Il est important de noter que même pendant la suspension, les livraisons de gaz et de pétrole n’ont pas été affectées, l’Algérie ayant réaffirmé à plusieurs reprises son engagement à respecter ses obligations contractuelles. Toutefois, Alger avait posé une seule condition pour continuer les livraisons : que le gaz algérien ne soit pas revendu au Maroc, avec lequel l’Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques.