L’un défend la rigueur budgétaire, l’autre plaide pour un soutien massif de l’Etat à l’économie, les deux ont l’oreille de Vladimir Poutine qui met publiquement en concurrence leurs visions à neuf mois de la présidentielle.
L’ancien ministre des Finances Alexeï Koudrine et le délégué des entrepreneurs auprès du Kremlin Boris Titov sont omniprésents dans le programme du Forum économique de Saint-Pétersbourg, le rendez-vous annuel des milieux d’affaires russes.
Vladimir Poutine, qui louvoie depuis 17 ans entre les différents clans (libéraux, représentants des forces de sécurité, partisans du capitalisme d’Etat…), a demandé à ces deux personnalités respectées et critiques du gouvernement de lui présenter leur stratégie pour la période 2018-2025. Autrement dit: le mandat suivant la présidentielle de mars prochain, pour laquelle Vladimir Poutine n’a pas encore révélé officiellement ses intentions.
Nombre d’experts s’interrogent sur la volonté réelle du Kremlin de préférer les réformes libérales au capitalisme d’Etat qui a dominé le mandat actuel. Mais la concurrence entre les projets d’Alexeï Koudrine et Boris Titov est soigneusement mise en scène dans les médias russes au moment où le pays sort de deux ans de récession due à la chute des prix du pétrole et aux sanctions liées à la crise ukrainienne. « C’est dans l’intérêt de Poutine de stimuler des différents courants de pensée pour juger par lui-même, et observer, comme à la cour, ses courtisans se battre », observe l’analyste politique Andreï Kolesnikov, du Centre Carnegie, sceptique sur l’avenir des réformes.
Après des semaines de piques réciproques dans les colonnes de la presse économique, Alexeï Koudrine et Boris Titov ont abondamment défendu leurs propositions jeudi lors des débats du Forum économique et devant les caméras des journalistes — sans jamais se retrouver face à face. « Le prochain mandat présidentiel sera clé », a martelé Boris Titov. « Faute de stratégie, il sera difficile pour le pays de progresser ».
Ce constat a été repris récemment à son compte par le Kremlin: sans réformes répondant notamment à la diminution de sa population active et sa faible compétitivité, la Russie risque la stagnation. Les remèdes diffèrent profondément entre Alexeï Koudrine et Boris Titov (56 ans tous les deux).
Ministre des Finances respecté sur la scène internationale pendant dix ans, Alexeï Koudrine a claqué la porte en 2011 à la suite d’un conflit avec le président d’alors, l’actuel Premier ministre Dmitri Medvedev. Avec son Comité des initiatives citoyennes, il pousse depuis en faveur de réformes libérales et son retour au pouvoir fait l’objet de rumeurs constantes.
Partisan d’une ligne rigoureuse de politique budgétaire et monétaire, il veut privatiser le secteur pétrolier et augmenter les budgets de l’éducation et de la santé en coupant dans les dépenses militaires qui ont flambé depuis 15 ans.
Pour Boris Titov, c’est la rigueur appliquée par le pouvoir et défendue par M. Koudrine qui plombe l’économie. Avec le Club Stolypine, qui réunit des entrepreneurs, ce magnat des vins mousseux réclame des investissements publics et une politique de taux bas visant à libérer le crédit.
Vladimir Poutine « veut visiblement prendre les meilleurs ingrédients de deux gâteaux pour en faire le meilleur », explique à l’AFP le président de l’Union des entrepreneurs Alexandre Chokhine. « Mais il ne faut pas assembler des idées, il faut choisir une conception ».
Autre point de discorde: un éventuel relèvement de l’âge de la retraite (55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes) pour maintenir à flot un système fragilisé par la crise démographique des années 1990, souhaité par M. Koudrine et rejeté par M. Titov.
Réunissant mardi les deux hommes au Kremlin, Vladimir Poutine leur a demandé des mesures « claires et réalistes ». « En 2018, le Forum pourrait être la vitrine du lancement de vastes réformes radicales », estime de son côté Charles Robertson, chef économiste de la banque Renaissance Capital. « Mais on a vu la même chose en 2012 et un an plus tard, Poutine avait changé de cap et opéré un virage à gauche ».
Le retour au Kremlin de Vladimir Poutine a été notamment suivi de l’émergence de puissants conglomérats publics dirigés par des proches du président, notamment le pétrolier Rosneft dirigé par le puissant Igor Setchine.
Afp