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Ferhat Ait Ali, expert financier : « Les pouvoirs publics sont avec leurs politiques restrictives, à l’origine du marché informel de la devise »

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Distribué au compte-gouttes par les banques, l’euro, l’une des devises les plus demandées, vaut 188 DA à l’achat et 189 DA à la vente sur le marché noir. Le dollar américain vaut 172 DA à l’achat et 173 à la vente. Sur le marché interbancaire du change, l’euro et le dollar sont cotés respectivement à 119 et 109 DA, selon les cotations publiées par la Banque d’Algérie. Entre les deux circuits, c’est le grand écart. Le marché noir semble obéir, stricto sensu, à la loi de l’offre et de la demande. M. Ferhat Ait Ali, expert financier, a bien voulu nous éclairer dans cet entretien.

Algérie-eco.com : Comment expliquez-vous le grand écart entre les taux officiels et les taux informels?

Ferhat Ait Ali : Cet écart, somme toute normal, s’explique déjà par l’interdiction d’accès à la devise pour usage particulier ou en dehors du commerce extérieur direct, qui oblige de facto, les résident et non résidents, à se rabattre vers ce marché, qui n’est alimenté que par des montants inferieurs à la demande générale, et par des voies qui ne le rendent attractif pour les vendeurs que par ses marges. Les gens ne travaillent pas en dehors de la légalité, sans contrainte pour ceux qui achètent et appât du gain pour ceux qui y vendent. Par contre, l’écart entre les taux, officiel et officieux, obéit à d’autres paramètres.

L’augmentation de l’offre étant tributaire, des excédents déversés sur ce marché par le biais de la surfacturation et du change parallèle effectué par les touristes, les non résidents et certaines entreprises en règlement de certaines charges et dépenses qu’elles veulent voir escamotées de leur comptabilité locale, avec une variable devenue presque fixe, qui consiste en les retraites versées aux ex émigrés rentrés au bercail ou à leurs ayants droits en vie.

La demande est tributaire aussi bien des besoins permanents ou conjoncturels de la population et des entreprises localement installées, pour des dépenses qu’elles ne peuvent pas régler par la voie officielle, qu’elles soient licites ou illicites, mais aussi par la disponibilité de revenus et excédents en dinars, chez les ménages et les entreprises, pour régler au taux parallèle.

Une augmentation du taux officiel, n’entraine pas forcement une augmentation linéaire du taux parallèle des devises, si l’euro passe à 200 dinars en banque, il ne passera pas à 300 au square. Nous avons assisté durant plus d’une décennie, à un différentiel de taux de change de 20% au lieu des 50% actuels, par manque de liquidités en dinars chez les clients potentiels.

Les capacités d’achat de la clientèle, sont un élément clé du cours de la devise parallèle, et pour preuve, la dévaluation de 45% entre 2014 et 2017, n’a pas entrainé le même mouvement au square. Bien au contraire elle a plombé en partie les transactions.

Que pensez-vous de l’ouverture de bureaux de change sachant qu’une loi votée en 1997 les a autorisés ?

Pour clore une bonne fois pour toute cette histoire de bureaux de change, il faut préciser, qu’il n’a jamais été question dans l’esprit de la loi et de ses initiateurs d’en faire une alternative au marché dit parallèle. Ces bureaux, avaient été conçus et initiés, comme un rapprochement des guichets de banques, d’éventuels vendeurs de devises au taux officiel, au niveau des aéroports, et autres frontières et hôtels.

Il n’a jamais été question que eux vendent de la devise à qui que ce soit, et dans leur première mouture révisée en 2016, il n’était même pas question pour le touriste ou non résident de passage, de récupérer les devises en échangeant les dinars non dépensés durant son séjour, faisant plus fort que l’union soviétique et Cuba en matière de sens unique.

De ce fait, conçus comme un siphon à devises d’autrui et non comme des bureaux de change à double sens, ils étaient dés le départ, sans objet et malvenus dans un pays où un marché parallèle était et est toujours florissant. Je ne sais pas comment un tel projet a germé dans la tête d’un fonctionnaire, en pleine situation d’insécurité sans le moindre touriste à l’horizon en 1997, mais à cette époque la mentalité de fossoyeurs était en vogue même en matière économique.

La flambée des cours sur le marché noir est-elle due à des causes ponctuelles, comme les vacances, les fêtes et voyages religieux?

Si nous pouvons éventuellement qualifier le passage de 185 dinars un Euro à 195 ou même 200 comme une flambée, dans un marché qui aux yeux des autorités n’existe tout simplement pas, oui!

C’est dû aussi bien à des causes ponctuelles, qu’à un mauvais timing entre les demandes et les arrivages, qui parfois ne convergent pas, surtout pour le Hadj, qui se déplace dans le calendrier contrairement aux vacances. Mais une chose est sûre, moins le dinar vaudra en banque, moins il y ‘en aura à dépenser au parallèle et mieux le cours se stabilisera à la baisse.

Sauf bien sûr, avec les restrictions sur les importations, de manière administrative, l’Etat sauvegarde ses devises commerciales en partie, tout en laissant les dinars sans emploi en matière d’achats de biens de consommation en envoyant cet excédents sans objet vers le square, et là il y’aura une augmentation des cours, dictée par la panique sur le non emploi de masses de dinars devenus sans objet localement.

Que doivent faire les pouvoirs publics pour éradiquer le marché noir de la devise, selon vous?

Les Pouvoir publics sont avec leurs politiques restrictives, à l’origine du marché informel de la devise, qui n’a d’équivalent que dans les pays, où tout est interdit officiellement et tout est permis officieusement.

Il est de ce fait difficile de demander à des structures dont les arguments ne tiennent pas la route, et les études non chiffrées ni étayées, de faire l’exact contraire de ce qu’elles ont fait jusque là, sans leur demander au préalable d’assumer ce qui a déjà été fait comme mal à ce niveau depuis les années 1980.

Aucune justification fournie à ce jour, ne répondant à une logique économique ni même de droit, il faut chercher les tenants et aboutissants de cette attitude dans autre chose que ces deux critères. Une partie de la réponse, se trouve dans cette prétention à combattre un marché où tout le monde s’approvisionne y compris ceux en charge de l’éradiquer.

La deuxième partie qui me parait évidente, est que certains cercles, se servent des peurs instinctives du personnel, pas très compétents en matière de changes, pour justement maintenir en l’état un marché qui en drainant toute une nation, dans ses méandres, s’en sert aussi bien comme justificatif que comme écran de camouflage pour les gros transferts en amont et en aval.

Et le seul moyen de tarir ce marché, est justement à mon sens de retirer le gros de la clientèle faite de millions de petits acheteurs, en leur donnant ce qui leur revient de droit, pour que ce marché, devienne effectivement délictuel et facile à cerner une fois les gros poissons privés de l’écran des gros bancs de petits poissons. La solution est dans l’alignement sur le reste du monde, y compris ceux du voisinage, qui n’ont pas cette terreur de perdre leurs devises avec des allocations de 3000 euros par an, et des avantages pour les entreprises et les études et soins, dont il est interdit de rêver chez nous.

Le déséquilibre entre l’offre et le demande sur le marché interbancaire profite-t-il au marché noir?

Ce qu’on appelle le marché interbancaire, ne touche pas les operateurs, où les citoyens, et il n y a pas de déséquilibre entre l’offre et la demande, entre les banques. Le flux et permanent, et avec les résidents, il n’a tout simplement pas de flux, dans la mesure où le seul change consenti est commercial et en voie même d’être réservé à des têtes précises par voie de licences discrétionnaires.

Un autre phénomène que couvre ce marché, par la voie de la généralisation du recours à ses services, est celui de la compensation entre surfacturations et sous facturations. En créant une zone de détaxe avec l’union européenne, avant même l’accès à L’OMC qui n’intéresse plus les européens pour le cas algérien, à cause justement de ce privilège, l’Etat, a crée un effet d’aspiration entre deux zones, où opèrent les algériens. Ainsi nous avons, une zones sous taxée, qui permet la surfacturation, et une autre surtaxée qui pousse à la sous-facturation, et les premiers vendent aux deuxièmes leurs devises, en laminant les revenus des douanes dans les  deux sens, les premiers par voie de détaxe et les seconds par voie de sous-déclaration.

Les Banques finissent par alimenter aussi bien le marché parallèle, que les comptes à l’étranger en devises, tout en payant les différentiels de facturation pour les zones asiatiques, des devises officielles. Et cela dure depuis 23 ans pour la sous-déclaration et au moins 7 ans pour la surfacturation massive et 15 ans pour les surfacturations d’investissements privés ou publics. Là où il y a franchise de taxes à l’import, il y a tentation de surfacturation, et là où il y a excès de taxes, il y a sous-facturation, et les deux phénomènes ont rendez vous au marché parallèle.

Le Gouverneur de la Banque d’Algérie s’est opposé à une révision à la hausse de l’allocation touriste, qu’en pensez-vous ?

J’ai précisé plus haut, que les autorités où le Gouverneur en l’occurrence, peuvent s’opposer à ce qu’elles veulent, tant qu’une APN solide et incontestée ne leur dicte pas ses volontés, qui sont théoriquement celles du peuple.

Ce sujet, devrait faire l’objet d’un débat, dans lequel la Banque d’Algérie et le Ministère ne seraient que partie, et la décision finale prise par voie de loi de finances, après vote en plénière à l’Assemblée Nationale, et on verra qui sera pour ou contre un change respectable, même dans la sphère gravitant autour des centres de décision.

Si le Gouverneur, avait étayé son refus, ou sa position par des chiffres fiables, quand à ce qu’il craint exactement comme déperditions en devises, par le fait de cette augmentation de l’allocation touristique, en donnant au passage, les chiffres de l’augmentation de la facture d’importations sans augmentation des quantités importées ni des cours des matières importées ailleurs, et aussi les autres déperditions dans la balance des services et autres paiements dus à des tares de gestion généralisée,  on pourrait discuter plus rationnellement en accordant du crédit à ses refus ou acceptations. Mais comme il s’est fondé à émettre un refus sur les biens d’autrui de par le poste occupé sans aucune explication chiffrée, il n’y a pas grand chose à discuter.

En ce qui me concerne, j’affirme et j’assume, qu’en dévaluant le cours officiel du dinar, à 130 dinars l’euro et 120 dinars le dollar, tout en procédant à une compensation du  SNMG de 10% sans incidence pour les salaires de plus de 25.000 dinars. Et en accordant un droit de change de 3000 euros par an, par algérien adulte, on ne verra pas sortir des banques officielles plus de 4 milliards e dollars, alors qu’avec ces restrictions les réserves de change ont perdu, 104 Milliards de dollars en 3 ans, et perdront le reste en une même période, et sur les 104 Milliards de dollars, il y a fort à parier qu’au moins 10 Milliards sont passés au square ou dans des comptes off shore.

Par contre, et faute d’une demande populaire massive et légitime sur ce marché , les cours chuteront faute de clients, en nombre suffisant, et ceux qui y auront quand même recours pourront être qualifiés de délinquants, pour des gains pas très appréciables, qui ne sauront pas dépasser les 10% du cours officiel, ce qui poussera aussi les détenteurs de devises en banque ou en retraites à en échanger une bonne partie dans les banques, vu la faible marge du marché non officiel de ce fait on peut estimer que, si défendre les intérêts du pays, consiste à empoisonner la vie de ses habitants autochtones, la banque d’Algérie et autres autorités financières ont très bien réussi depuis des décennies. Mais si cela consiste à veiller sur son économie, les résultats visibles et les déclarations du  défunt ministre Bakhti Belaib me dispensent d’aller plus loin.

Le marché informel est-t-il un marché secondaire?

Le qualifier d’informel, est un abus de langage, et de parallèle une méconnaissance des règles élémentaires de la géométrie. En ce sens, qu’on ne peut être informel et visité par tous les Algériens au moins une fois dans la vie, soit plus que la Mecque. Et non ne peut être qualifié de parallèle à quelque chose d’inexistant, il n y a jamais eu de parallèles qui ne soient au moins deux. Si quelqu’un connait un autre marché de la devise que celui là, qu’il vienne nous parler de parallèle!

Ce sont les pratiques économiques et monétaires ainsi que leurs motivations dans le pays, qui ont toujours été informelles et non ce marché, qui se tient, sous les murs du pôle économique spécialisé de la justice Algérienne, à 100 mètres de la banque d’Algérie et face aux portes de trois banques publiques. Par contre s’il existe une économie parallèle, et un marché de la devise parallèle, c’est bien celui qui met quelques milliers de personnes cooptées de manière peu orthodoxe en position de tout faire en devises, sous couvert de commerce extérieur et le reste de tout un pays, en position de passer par leurs conditions pour avoir quelques euros nécessaires même pour un médicament inexistant, car peu rentable ici.

Ce marché n’est pas secondaire, c’est l’unique qui s’alimente aussi bien des restrictions posées par les banques pour accéder à la devise officiellement, que des devises de ces mêmes banques, qui arrivent quand même au même endroit, du fait même de cette interdiction.

Ma conclusion, est que ce point n’est qu’un point parmi d’autres, d’une économie qui est gérée selon toutes sortes de considérations et motivations, autres qu’économiques, par des structures qui sont à l’économie ce que les gargotes sont à la gastronomie. Il est devenu fatiguant de traiter les tares de cette vision étriquée de l’économie et de la société, un par un, alors qu’il faut peut être secoué tous les cocotiers de cette ile de la tortue qu’est devenue notre administration.

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