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Ali Benouari : « Les marchés financiers privés ne nous prêteront pas pour des durées longues »

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INTERVIEW – Le directeur de la société en conseil financier, Ecofinance, et ancien ministre du budget dans le gouvernement de Sid-Ahmed Ghozali, Ali Benouari, répond aux questions d’Algérie-Eco sur la dépréciation du dinar, son impact sur l’économie, ainsi que la problématique de l’endettement extérieur.

La dévaluation du dinar s’accélère. A quoi est-elle due ? N’est-elle pas provoquée dans l’objectif de faire face aux tensions budgétaires enregistrées ces derniers temps ?

Cette dévaluation rampante et non assumée publiquement répond à un double souci : celui de financer l’important déficit budgétaire et celui de financer le déficit croissant de notre balance des paiements. Il faut rappeler que ces déficits sont de nature structurelle, ce qui signifie que notre appareil de production est en dessous de nos besoins de consommation et que nous dépendons excessivement des hydrocarbures pour financer nos importations et notre budget. La dévaluation s’impose aujourd’hui comme la seule issue. La politique pratiquée jusqu’ici, depuis le commencement de la chute du prix du pétrole, fin 2013, a consisté à effectuer des ponctions sur le fonds de régulation de recettes (FRR) et sur les réserves de changes pour financer les déficits en question. Cette politique de fuite en avant est en train de montrer ses limites. En effet, les réserves de changes s’épuisent dangereusement et il est vraisemblable que le FRR sera épuisé à la fin de cette année. Dès lors l’équation est simple et se résume en ces termes:

Premièrement, pour financer le déficit de la balance des paiements, il faut, soit continuer à ponctionner les réserves de change, qui s’épuiseront au plus tard à l’horizon 2019 (entraînant le pays vers une situation très grave, proche de la famine), soit adopter une politique volontaire de baisse drastique de la demande (ce qui se traduira immédiatement par des émeutes de grande ampleur qui risquent de déstabiliser le régime), soit laisser glisser le dinar progressivement. Dans le but, là aussi, mais de façon non assumée, de faire baisser la demande solvable et donc in fine les importations.

On espère ainsi, à travers cette dernière option, aboutir au même résultat, mais de façon masquée.

Cependant les effets seront quasiment identiques dans tous les cas de figure. Ils se traduiront par une austérité générale qui conduira à la paupérisation du plus grand nombre et à la hausse du chômage.

Deuxièmement, pour financer le déficit budgétaire, qui est colossal (plus de 12% du PIB), la solution sera, là aussi, la dévaluation du dinar. En effet, c’est le seul moyen de faire rentrer rapidement les recettes fiscales nécessaires. Mais vu l’ampleur du déficit, cette dévaluation devra être nécessairement importante.

Nous voyons bien que les deux déficits, qui étaient jusqu’ici financés par les recettes pétrolières et les rentrées fiscales et parafiscales qui leur sont associées, puis par les réserves de change et le FRR appelleront un ajustement monétaire conséquent. Le budget 2016 pourra encore être financé par ce qui reste encore dans le FRR. Mais en 2017, et si le prix du pétrole ne remonte pas significativement (au dessus de 80 dollars), ce qui est peu probable, il est à craindre que la dépréciation du dinar atteigne des sommets. Peut-être 300 dinars pour un euro, peut-être plus. C’est l’ampleur de cette dépréciation à venir qui explique sans doute que le pouvoir ait choisi de commencer à dévaluer dès 2016, afin que l’ajustement ne soit pas trop brutal. Comme on le voit, la marge de manœuvre du pouvoir est étroite.

Quel est et quel sera l’impact de cette dépréciation sur la situation économique du pays ?

Une augmentation du chômage et de l’inflation qui iront en s’accélérant, hélas, qui mettront à nu l’échec de la politique menée depuis une quinzaine d’années. Une stagflation (récession + inflation) qui n’épargnera aucun secteur et entraînera des mouvements sociaux de grande ampleur. La production intérieure reculera forcément, quels que soient les plans d’ajustement qui pourraient être mis en place, car ces plans n’exerceront leurs effets que dans de nombreuses années… Si tant est que le gouvernement voudra s’attaquer aux déséquilibres de notre économie qui sont, je le rappelle, de nature structurelle.

Le pouvoir politique n’exclut pas un recours à l’endettement extérieur. Celui-ci est-il souhaitable, faisable ?

Les marchés financiers privés ne nous prêteront pas, à mon avis, pour des durées longues, car nous sommes déjà notoirement insolvables au terme de 3 ans. Ceci est problématique, car cela pourrait inciter à recourir, à l’endettement à court terme. Une telle politique serait suicidaire. Toute la question reviendra à trouver les financements à moyen et long terme adaptés, je l’espère, aux besoins en investissements du pays et à la nécessité de préserver nos équilibres financiers.

Le Think thank Nabni préconise un endettement extérieur auprès des organismes multilatéraux comme la Banque africaine de développement, la Banque islamique de développement, la Banque mondiale, etc., dont les conditions sont moins contraignantes que le FMI. Le FCE parle de fonds privés comme le Fonds allemand Hermès. En tant qu’ancien ministre du Budget et expert financier, que pensez-vous de ces deux propositions ?

Je n’ai pas pris connaissance des propositions de Nabni, mais je pense que le problème doit d’abord être correctement posé. Il faut se demander d’abord s’il y a une stratégie économique derrière l’endettement envisagé. Savoir aussi si c’est pour financer des infrastructures, des équipements industriels, des intrants (produits apportés aux terres et aux cultures, ndlr) pour l’agriculture, l’industrie, etc., ou pour financer la consommation (blé, médicament…). Le FMI n’entre en la matière que pour une assistance à la balance des paiements, ce qui exclut tout recours à court terme à cette institution. Les institutions multilatérales et les fonds de développement peuvent, eux, financer des infrastructures telles les routes, chemins de fer, barrages, hôpitaux, etc.

Quant aux organismes d’assurance-crédit tels Hermès, Coface, SACCE, leur mission est de garantir les exportateurs de leurs pays, pour la fourniture de biens d’équipements divers. Cette garantie permet aux banques des pays concernés de prêter aux pays importateurs avec un risque résiduel de 15%. Cependant cette politique d’endettement, au passage diabolisée au début du règne du Président Abdelaziz Bouteflika, a des limites. Outre qu’elle diminue notre capacité d’endettent futur, déjà amoindrie par nos performances économiques désastreuses et nos déficits croissants, cette politique se heurtera très vite:
– aux plafonds de risques que chaque institution financière octroie à notre pays ;
– au ratio du service de la dette de notre pays qui ne devra pas dépasser 30% de nos revenus d’exportations. Entendre par là, compte tenu de nos recettes actuelles, environ 9 milliards de dollars par an. En remboursement du principal et des intérêts de la dette. Ce plafond sera vite atteint si la part de la dette à court terme est prépondérante dans le total de nos emprunts. Ce qui sera le cas certainement vu l’ampleur de nos besoins non couverts par les exportations.

En effet, les crédits multilatéraux et ceux des fonds de développement sont des crédits à long terme qui impactent peu le dit ratio, mais une fois atteints les plafonds de crédits fixés par ces institutions, nous serons contraints de recourir à l’endettement à court terme, plus disponible, mais plus onéreux.

En conclusion, oui, on peut recourir aux différents types d’endettement évoqués, mais à un prix qu’il faudra payer un jour, un jour pas très éloigné. Il faut retenir que toute somme empruntée aujourd’hui devra être remboursée. Et ce sera au plus mauvais moment, ce qui nous conduira plus tôt que prévu à passer par la seule issue qui nous restera : celle du FMI. Ne sont-elles pas ces craintes qui ont fondé la politique du pouvoir tout au long de la dernière décennie ? On ne peut pas ne pas signaler que le retour à l’endettement sonnera comme l’aveu d’un double échec : celui de l’instauration d’une économie prospère et celui de la préservation de notre souveraineté financière. Soit l’échec des deux promesses les plus importantes de Bouteflika.

Propos recueuillis par Nadir Allam

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