Mises en œuvre sans réelles convictions, la pléthore de réformes appliquées au secteur public économique n’a rien changé au mode de désignation des cadres dirigeants des entreprises appartenant à l’État, resté aussi hasardeux et clientéliste qu’il l’était du temps où ces dernières étaient placées sous la tutelle directe des administrations centrales.
Aussi bien les cadres dirigeants que les administrateurs sont, en effet, toujours placés à la tête des entreprises publiques, non pas, parce que leurs curriculum vitae ou leurs aptitudes intellectuelles les prédestinaient mais, tout simplement, parce qu’ils bénéficient des faveurs subjectives des décideurs du moment.
Dans le sillage des réformes qui visaient à déconnecter les entreprises publiques économiques de la sphère politique, les fonds de participation puis les holdings publics et les sociétés de gestion des participations qui leur ont succédé, ont bien tenté de constituer un fichier national des cadres duquel devait être puisés en toute objectivité les profils souhaités, mais tous les efforts entrepris dans ce sens furent torpillés par ceux que la transparence, la compétence et l’autonomie des dirigeants d’entreprises étatiques dérangeaient.
En mars 1996, une circulaire du chef de gouvernement Mokdad Sifi avait bien tenté d’introduire un système de sélection sur la base d’un appel public à candidatures mais ce dernier ne résistera pas longtemps aux pressions des barons du secteur public. Il quittera le gouvernement sans jamais avoir réussi à l’appliquer. L’annulation de cette directive sera d’ailleurs une des toutes premières décisions que prendra son successeur Ahmed Ouyahia qui, à l’évidence, souhaitait avoir, à travers les dirigeants qu’il aurait lui-même choisis, ses propres hommes aux commandes des grandes entreprises publiques.
C’est ce mode de désignation qui prévaut aujourd’hui encore, faisant des chefs d’entreprise, non pas, des gestionnaires soumis aux seules exigences de résultats, mais des responsables dont le déroulement de la carrière ne peut être troublé qu’au cas où leurs relations personnelles avec les hiérarchies qui les ont cooptés venaient à se détériorer.
Les dirigeants principaux des entreprises publiques en sont ainsi arrivés à redouter beaucoup plus les remaniements ministériels qui risquent de leur faire perdre leurs soutiens, que les mauvais résultats de leur gestion. Les PDG qui accumulent plusieurs déficits sans jamais être inquiétés par leurs hiérarchies sont de ce fait légion, tandis que les quelques très rares dirigeants qui n’ont pas la chance d’avoir de solides appuis, ne font généralement pas long feu, quand bien mème les résultats de leurs gestions plaideraient objectivement en leur faveur.
Exception faite de la minorité de miraculés qui ont duré à leurs postes du seul fait de leurs performances managériales, force est de constater que l’obligation de résultats dans le secteur public relève du mythe et non pas de la réalité, le secteur public algérien regorgeant beaucoup plus de gestionnaires écartés, non pas, en raison de leur incompétence, mais essentiellement, en raison des recompositions de clans au pouvoir ou de leur indocilité à l’égard de ceux qui les ont désignés à leurs postes.
Cooptation et clientélisme
De nombreuses voix se sont, à juste raison, élevées contre ce mode de désignation hasardeux et clientéliste qui est en grande partie responsable du déclin de notre économie, en déplorant notamment l’exclusion de cadres de valeur qui n’ont jamais eu droit au chapitre, du fait qu’il ne soient pas intégrés à des réseaux de clientèles.
Alors que les dirigeants protégés se permettent de « surfer » d’une entreprise publique à l’autre sans jamais rendre compte de leurs échecs passés, ceux qui disposent des bagages intellectuels requis n’arrivent même pas à se faire recruter comme simples administrateurs d’entreprises publiques. Le cas de cet ingénieur aujourd’hui installé en Écosse à la tête d’un grand groupe international d’ingénierie pétrolière alors qu’il n’avait jamais réussi à accéder à un poste de responsabilité dans son propre pays est, à ce titre, édifiant. Et de tels cas sont malheureusement, nombreux.
Les espoirs fondés sur la dernière réforme du secteur public économique qui visait à déconnecter l’économique des interférences d’ordre politique en donnant davantage d’autonomie de gestion aux dirigeants principaux des entreprises publiques se sont, malheureusement, effondrés notamment avec le tournant volontairement dirigiste que lui a imprégné la dernière réorganisation du secteur public économique qui a, comme on le sait, replacé les EPE sous la tutelle directe des ministères.
Le clientélisme fait de nouveau rage, les nominations et les révocations des cadres dirigeants et, notamment des PDG, se faisant désormais sur simples coups de fil donnés aux SGP assurant l’interface entre le pouvoir politico- administratif et les entreprises étatiques et, parfois même, directement adressé aux dirigeants ciblés.
Il est à ce titre bien regrettable de constater que le critère d’appartenance à un clan proche du pouvoir ou à un parti politique, constitue un peu trop souvent l’élément déterminant du choix ou de la révocation des dirigeants principaux d’entreprises publiques, alors qu’il pourtant bien connu que le clientélisme et la gestion n’ont jamais fait bon ménage. Bien au contraire! Subjectivement désignés, les PDG d’EPE cooptés ont tendance à reproduire, dès leur installation, le mode de désignation clientéliste dont ils ont eux même bénéficié, en évinçant les cadres en place qu’ils remplaceront, sans égard pour leurs compétences, par des « hommes sur qui ils peuvent compter » pour reprendre la formule consacrée.
Le secteur public économique est de ce fait en perpétuelle instabilité managériale. Et c’est en grande partie ce qui explique la faiblesse de ses performances productives, son manque de compétitivité et son incapacité chronique à moderniser son management.