En dépit d’une importante perte d’influence en Afrique, la Russie a tout de même gardé une certaine aura auprès de nombreux pays africains, du fait de l’aide qu’elle leur avait accordée lors de leurs luttes d’indépendance, mais aussi et surtout, du fait que bon nombre de leurs élites militaires, furent formées dans les grandes écoles de l’ex Union des Républiques Socialistes soviétiques (URSS) ou de l’actuelle Union des Républiques Fédérales de Russie. Beaucoup de généraux, comme c’est le cas en Algérie, en Syrie, Libye, Égypte, Soudan, Mozambique, Angola, Éthiopie et autres, parlent couramment le russe et continuent à entretenir des relations amicales avec les « camarades » russes qui les avaient formés. Certains sont même restés fidèles à l’idéologie communiste et continuent, aujourd’hui encore, à admirer des leaders soviétiques très controversés du fait de leurs penchants franchement hostiles à la démocratie.
Malgré vingt années de retrait, bon nombre de pays africains rêvent toujours d’une reprise des relations avec cette grande nation qui les avait beaucoup aidés à se libérer du joug colonial. Vladimir Poutine semble l’avoir bien compris et, c’est précisément, ce qui explique ce retour diplomatique spectaculaire vers l’Afrique. Le balai diplomatique, mais aussi militaire, a effectivement commencé depuis le sommet Russie-Afrique d’octobre 2019, qui avait réuni autour de Vladimir Poutine, pas moins de 50 chefs d’Etats africains, en Crimée. Un sommet qui avait, on s’en souvient, suscité beaucoup d’inquiétude chez les américains et les européens, qui voulaient se réserver l’exclusivité sur l’Afrique et notamment, sa région nord. En faisant valoir son passé anti colonial et le principe du respect de la souveraineté des Etats, il compte séduire les dirigeants et hommes d’affaires africains, afin qu’ils accordent à la Russie des marchés et des relais diplomatiques et stratégiques, comme au bon vieux temps de l’Union Soviétique.
L’Afrique, tout comme la Russie, d’il y a vingt ans, ne sont évidemment pas les mêmes que celles d’aujourd’hui. Beaucoup de choses ont changées. La fédération de Russie issue de l’éclatement du bloc soviétique a en effet connu de longues années de crise qu’elle a heureusement pu surmonter sous la conduite de Vladimir Poutine qui en a fait une puissance, qui pèse lourd sur l’échiquier international. Les africains n’ont, de leur coté, pas perdu de temps, puisque nombreux sont les états qui ont réussi à prendre leur développement économique en mains et pour certains, réalisé des progrès considérables.
Par ailleurs, l’Afrique n’est plus la chasse gardée des anciens colonisateurs ( notamment la France) qui, certes, réalisent aujourd’hui encore dix à quinze fois plus de chiffres affaires que la Russie, mais qui commencent à être sérieusement concurrencés par de puissantes nations. De grands pays, à l’instar de la Chine et des Etats-Unis d’Amérique, ont en effet profité du long retrait des russes, pour prendre pieds dans ce vaste continent qui offre une multitude d’avantages, allant d’une profusion de ressources naturelles, à la présence de marchés de plusieurs millions de consommateurs. C’est dire l’importance des enjeux sur lesquels se focalisent, non seulement, les pays qui avaient colonisés le continent, mais aussi, de grandes puissances, parmi lesquelles, cette Russie, plus que jamais déterminée, à reprendre sa place de partenaire privilégié. Les vingt milliards de dollars d’échange commerciaux comptabilisés aujourd’hui paraissent en effet bien dérisoires, au regard des richesses qu’elle pourrait tirer du gigantesque potentiel économique africain. Pour se tailler une place de choix parmi ses concurrents, la Russie de Poutine compte jouer la carte de la coopération équilibrée. Contrairement à la Chine qui a développé ses relations économique avec l’Afrique sur la base de facilités d’octrois de crédits, Moscou propose, au contraire, une politique d’effacement ou de conversions des lourdes dettes héritées de l’époque soviétique.
Au cœur de cette offensive en Afrique il y a, on l’a compris, les ventes d’armes et de céréales, mais aussi, les hydrocarbures et l’exploitation minière. En ces temps où un certain nombre de gouvernants africains sont contestés par leurs peuples, il est à craindre que les dictateurs en proies aux contestations populaires, soient tentés de faciliter aux russes l’accès aux marchés africains, pour peu, que les russes promettent de les protéger directement ou par procuration (cas de la société privée de sécurité russe « Wagner », présente en Libye et nouvellement recrutée contre l’avis des français, par le gouvernement malien, pour sécuriser ses frontières. Soutenir ouvertement les dictateurs africains, pourrait effectivement valoir aux russes d’importants privilèges économiques, voire même, le droit d’ingérence dans les affaires des pays vulnérables.