La crise de l’économie algérienne n’est pas réductible, comme on a tendance à le croire, à une simple crise de liquidité financière. Si cela avait été le cas, les 1000 à 1200 milliards de dollars de recettes pétrolières engrangés ces 20 dernières années auraient largement suffi à la surmonter. Il faut également savoir qu’à ce flot d’argent, s’ajoute celui que les banques ont également mis à la disposition des entreprises publiques. Pas moins de 1000 milliards de dinars (4,3% du PIB de l’année 2018) de crédits leur ont en effet été octroyées durant cette période, sans constat de résultats notables sur la production de biens et de services, qui n’a guère évolué. Les retours sur investissements sont effectivement dérisoires et les déficits des EPE se sont accrus au point que près d’un millier d’entre elles sont désormais en situations de faillites, officiellement notifiées par leurs commissaires aux comptes.
La situation est si grave que le Fond Monétaire International (FMI) a cru bon de tirer la sonnette d’alarme en interpellant les banques algériennes sur leur excès de générosité à l’égard des entreprises publiques insolvables, que ces facilités pourraient mettre en état de déstructurations irrémédiables, tout en ruinant le trésor public, comptable en dernier ressort des dettes contactées par ces entreprises qui, faut-il le rappeler, appartiennent à l’Etat.
En septembre 2018 déjà, le FMI avait évalué les crédits irrécouvrables à plus de 7 milliards de dollars tout en prévenant le gouvernement algérien d’un accroissement substantiel possible, en raison des retombées de la pandémie de coronavirus sur l’économie. Ces dettes sans contre partie productives seraient de nature à rendre insupportable la dette totale d’investissement qui en 2017 déjà, avait atteint le chiffre alarmant de 58 milliards de dollars de prêts accordés à des entreprises d’Etat qui n’ont pas su les rentabiliser. Le fonds monétaire international a de ce fait exhorté les banques, notamment celles du secteur public, à être plus prudentes envers les sociétés qui ne sont pas capables de créer de la richesse, mais qui continuent tout de même à solliciter des emprunts qu’elles ne sont pas capables de rembourser. L’ingénierie financière doit prévaloir insiste le FMI, qui souhaiterait que les « canards boiteux » soient définitivement exclus du processus d’octroi de crédits à l’économie, qu’il faudrait, insiste-t-il, réserver aux seules entreprises rentables et à celles qui présentent des business plans bancables.
La problématique que soulève le FMI n’est en réalité pas nouvelle puisqu’en 1995 déjà, il avait prévenu le gouvernement algérien du risque d’effondrement de l’économie nationale, en raison des centaines de sociétés étatiques déficitaires et insolvables, que le trésor public continuait à financer à perte, au point que la dette intérieure avait pris des proportions gigantesques. A la fin des années 90, on avait évalué cette dette à environ 20 milliards de dollars, dont une importante partie n’a pas encore été épongée à ce jour. Le gouvernement avait certes tenu compte des conseils du FMI, en procédant notamment les crédits d’investissement à certaines entreprises qui avaient fini par être dissoutes ou privatisées, mais cela n’a malheureusement duré que le temps des cinq années d’ajustements structurels exigés par le FMI (1994-1998) comme condition d’octroi d’un prêt d’environ 1,5 milliard de dollars.
Comme il fallait s’y attendre, les autorités algériennes sont revenues à leurs mauvaises habitudes de soutien sans conditions au secteur public économique dés que les experts du FMI avaient plié bagage. Ce secteur d’État a englouti depuis cette date des sommes colossales, sans effets notoires sur la production de biens et de services, ni même, sur l’organisation générale du secteur étatique resté, comme par le passé, archaïque, rentier et budgétivore. Dès que l’accord liant l’Algérie au FMI avait pris fin, les dirigeants des sociétés nationales ont repris leurs mauvaises habitudes qui consistent notamment, à dépenser beaucoup plus que ce que leurs entreprises gagnent. Il faut dire que les PDG des entreprises nationales savent jouer de leurs relations avec les hiérarques du régime qui les ont généralement placés à ces postes. Les entreprises publiques sont également intouchables du fait qu’elles constituent une garantie pour les autorités politiques algériennes qui, grâce à elles, peuvent maintenir un certain niveau d’emplois et leur faire prendre en charge des réalisations et des services utiles à leurs carrières politiques. Les 1400 entreprises publiques que compte le pays croulent de ce fait sous le poids des dettes, que le trésor public tente d’effacer sans jamais y parvenir, au moyen de ruineux assainissements financiers.
Les recommandations du FMI valent-elles des avertissements au gouvernement algérien, comme de nombreux éditorialistes ont commencé à l’affirmer sans preuve tangible ? Rien n’est moins sûr ! Il s’agit, comme nous l’a expliqué un haut cadre du FMI, d’une mission d’évaluation et de recommandation routinière qui fait partie des prérogatives de cette institution. Il s’agit de recommandations et non pas de directives, insiste-t-il. Le gouvernement algérien n’est pas tenu de les appliquer, même si le FMI le souhaite vivement.
Pour ce qui d’un éventuel appel du gouvernement algérien au FMI pour l’aider à traiter le problème du déficit de la balance des paiements, le cadre du FMI qui a requis l’anonymat pour des raisons compréhensibles, pense qu’on n’en est pas encore à ce stade. La situation financière de l’Algérie, tient encore globalement debout et n’a pas, pour l’instant encore, besoin d’une aide frontale. L’Algérie est très peu endettée à l’extérieur et un subit rebond des prix du pétrole pourrait changer la donne financière de manière spectaculaire, en quelques mois seulement, précise-t-il.
Il considère par contre que la gouvernance du pays a besoin des aiguillages et conseils du FMI et de tout ceux qui sont en mesure de l’aider à améliorer la gestion des finances publiques, car c’est là que réside le plus gros problème de l’Algérie, affirme à juste titre notre interlocuteur.