S’il est, dans l’état actuel du climat des affaires déjà bien difficile de maintenir en activité une petite ou moyenne entreprise, ça l’est encore davantage quand il s’agit d’en créer de nouvelles. Aux persistants obstacles bureaucratiques qui continuent à empoisonner la vie des chefs d’entreprises vient, en effet, s’ajouter l’instabilité juridique que redoutent par dessus tout, les hommes d’affaires.
Une instabilité déjà très forte de par le passé et qui s’est exacerbé à la faveur des crises politiques et économiques dont souffre actuellement l’Algérie. Des ordonnances et des lois régissant le monde des affaires sont en effet, souvent remises en cause aux moyens des lois de finances annuelles ou complémentaires et, parfois, par des décrets exécutifs promulgués par des dirigeants peu soucieux de la continuité du service de l’Etat, quand leurs intérêts sont en jeu.
Des milliers d’entreprises qui avaient établi leurs business-plans sur la base de la législation en vigueur, se retrouvent ainsi constamment déstabilisées par cette profusion de lois et règlements, souvent confus et contradictoires.
Le cas du chamboulement de la législation régissant la production et la commercialisation des véhicules, qui a causé la fermeture de pratiquement toutes les unités de montage et, pas moins, de 50.000 pertes d’emplois, en est un parfait exemple. La filière montage automobiles automobile a pratiquement disparu et le commerce des véhicules neufs s’est réduit aux seules ventes d’automobiles importés sous licences d’anciens moudjahidines ou par diverses voies informelles.
L’obligation de résultats étant la vertu cardinale des entreprises, il est bien évident que de telles pratiques ne sauraient donner confiance aux investisseurs qui engagent leur propre argent pour créer de nouvelles sociétés ou améliorer les performances productives de leurs usines.
Les effets négatifs de cette instabilité juridique furent si grave que des associations patronales avaient demandé dans le courant de l’année 2012 au gouvernement de l’époque, de maintenir une stabilité du droit des affaires durant au minimum cinq années, mais surtout de les consulter, sur toutes les lois relatives à l’économie, qu’il viendrait à prendre. Ce gouvernement et ceux qui ont suivis ont évidemment fait la sourde oreille et continué à légiférer au gré des humeurs et des intérêts claniques.
Les conséquences sur les entreprises furent désastreuses et face à la désinvolture de ceux qui promulguent ces lois, les entrepreneurs ont trouvé la parade dans l’économie informelle dont la particularité est de faire fi de la législation en vigueur. Toute une panoplie d’activités marchandes prospères fonctionnant hors de la légalité avec leurs propres lois et codes de conduite, mêlant dans bien des cas la débrouillardise et les pratiques mafieuses, s’est ainsi constituée. Elles brassent des chiffres d’affaires prodigieux qui leur confèrent un poids politique et social considérable. Elles sont devenues de gros pourvoyeurs d’emplois dans un pays où le chômage est roi, ce qui en fait des entreprises intouchables au risque de provoquer de graves troubles sociaux.
Devant l’incurie de nos législateurs, tout le secteur privé algérien aurait aujourd’hui tendance à suivre la voie de l’informel qui offre l’avantage d’éviter les procédures fastidieuses de l’immatriculation, d’échapper au fisc et aux contraintes chaque année plus forte, imposées aux entreprises déclarées. De ce fait, l’économie informelle ne cesse de se développer au point de gangrener l’ensemble de la société algérienne progressivement atteinte par la mentalité du gain facile et de transgression des lois qui font obstacles à l’expansion des entreprises.
La taille réduite de nos infrastructures commerciales, l’insuffisance et l’exigüité des marchés communaux réglementés ont, à l’évidence, beaucoup contribué à la prolifération de ce type d’affaires qui s’installent et se développent sans état d’âme là où il y a un vide commercial à combler. Pour peu qu’il y ait un bon potentiel de clients à l’endroit où ils ont décidé de s’installer, les acteurs de l’informel, de plus en plus nombreux et audacieux, finissent toujours par mettre les autorités concernées devant le fait accompli, en créant de nouvelles zones de commerce informel ou en procédant à l’extension, souvent anarchique, de ces zones lorsqu’elles s’avèrent trop exigües.
Connaissant les limites de son pouvoir, notamment en période de crises politique, économique et sanitaire, comme celles que le pays traverse, l’Etat évite d’intervenir pour remettre de l’ordre sachant qu’il n’a absolument rien à offrir en contrepartie, aux employeurs et aux employés concernés.
Pour comprendre l’ampleur prise par l’informel, il est bon de se référer à l’enquête de l’Office National des Statistiques (ONS) qui en 2010 déjà avait révélé que ce secteur employait à cette date pas moins de 1,78 millions de personnes, soit presque 22% de la population occupée. L’étude avait également mis en relief l’importance démesurée prise par l’informel dans l’indifférence totale des autorités algériennes, en révélant que plus de 35% des emplois agricoles et 15% des emplois industriels et commerciaux ne sont pas déclarés aux impôts et à la sécurité sociale. Les budgets des caisses de sécurité sociale (notamment la caisse nationale de retraites), s’en trouvent ainsi gravement pénalisés.
Cette même étude avait enfin chiffré les revenus nets du secteur informel à environ 17% de l’ensemble des revenus des ménages. On comprend alors pourquoi les pouvoirs publics hésitent à lutter contre le marché informel qui, en vérité, prend en charge l’emploi d’une très importante frange de la population, que l’Etat ne saurait tirer d’affaire, notamment, en cette période de crise multidimensionnelle que traverse le pays.