L’avocat Mostefa Bouchachi a rendu publique, mercredi, une lettre qu’il a adressée au président de la République, Abdelmadjid Tebboune qui l’avait invité à participer au débat et à l’enrichissement de l’avant-projet de révision de la Constitution.
La longue lettre publiée par Me Bouchachi sur sa page Facebook a été datée du 5 juillet dernier. Il a indiqué qu’il avait reçu l’avant-projet le 21 mai dernier. A travers cette lettre, l’avocat a remercié le président Tebboune de l’avoir invité et lui a exprimé son refus de participer au débat et à l’enrichissement de l’avant-projet de l’amendement de la Constitution.
Me Bouchachi a rappelé dans sa lettre que par expérience, « l’élaboration des Constitutions et leur amendement étaient toujours l’initiative du système et des présidents représentant sa façade ». Pour lui, ces Constitutions ont un but principal « le maintien du système » et que « cette façon n’est pas démocratique ». « L’établissement d’une Algérie démocratique nécessite une Constitution élaborée par le peuple algérien à travers une instance élue, peu importe son appellation », a estimé Me Bouchachi.
L’avocat pense que le moment est inopportun pour proposer le débat et l’enrichissement de l’avant-projet de la révision constitutionnelle dans ces circonstances de crise sanitaire et de confinement, et ce, alors que les gouvernements du monde ont reporté les questions non urgentes pour faire face à la pandémie du coronavirus en y mettant leurs capacités économiques et financières. Pour lui, dans les conditions actuelles, on ne peut pas garantir un large débat face à face du projet de l’amendement de la Constitution auquel participeront tous les algériens en tant que partis, société civile, militants, jeunes étudiants et universitaires.
Me Bouchachi a rappelé dans sa lettre la promesse faite par le président Tebboune lors de sa campagne électorale, celle d’amender la Constitution et d’en élaborer une « qui réponde aux aspirations du peuple algérien à la démocratie et à la liberté ». « Je pensais que vous alliez organiser une conférence nationale à laquelle allaient participer toutes les sensibilités, les parties politiques et la société civile, pour élaborer un document consensuel et une commission rédigerait les résultats de la conférence », a-t-il écrit, en ajoutant : « mais ce qui s’est passé, c’est que vous avez formé un comité pour formuler les souhaits et les orientations du système pour donner l’impression que c’est le comité d’experts qui a rédigé la mouture ».
Me Bouchachi s’est dit dans sa lettre « surpris » de constater à la fin que l’avant-projet de révision constitutionnelle met les bases d' »une gouvernance individuelle » faisant du président de la République « un empereur » qui « s’immisce dans le travail de toutes les autorités législatives et judiciaires », sans parler « des organes de contrôle qu’il contrôle par des nominations », et surtout qu' »il n’est responsable ni politiquement ni judiciairement. »
Selon l’avocat, le projet ne met pas en évidence un système spécifique, parlementaire, présidentiel, semi-présidentiel, mais au contraire, tel qu’il apparaît dans le document, il contredit tous les principes contenus des Constitutions qui mettent les bases de la démocratie. « Il n’y a aucun doute que la commission qui l’a rédigé a retranscris vos souhaits ou ceux du régime parce qu’elle n’a pas écouté la classe politique et a ignoré la volonté du peuple algérien pour le changement et d’aller à une vraie démocratie », a ajouté Me Bouchachi.
L’avocat ne pense pas que le contenu proposé pour cette Constitution puisse fonder l’Algérie nouvelle, l’Algérie de la démocratie et de la liberté pour laquelle sont sortis les algériens le 22 février 2019. Me Bouchachi a appelé le président Tebboune a écouter « la voix du peuple », à « la sagesse » et à s’ouvrir aux aspirations des jeunes » et que « l’élaboration d’une Constitution consensuelle soit dominée par la démocratie et la liberté ». « Le contenu du document portant la mouture donne une forte impression que l’objectif est de garantir d’autres conditions pour la continuité d’un système non démocratique », a estimé Me Bouchachi.
« La question qui vient à l’esprit est de savoir quelles sont les garanties que les modifications, ajouts ou suppressions proposés par les participants au débat à distance seront pris en considération, compte tenu du mode de participation et du manque de transparence », a écrit l’avocat. « J’espère que je me trompe, mais la manière dont le débat est mené par écrit et la tentative de donner l’impression que plus de 1 800 contributeurs parmi les partis, associations et personnalités ont exprimé leur avis, son but est peut-être donner une légitimité absente, car la constitution consensuelle nécessite un large débat de société », a-t-il expliqué.
Me Bouchachi a rappelé que des millions d’algériennes et d’algériens, en Algérie et à l’étranger réclament une nouvelle Algérie démocratique, des droits et des libertés qui redonnera l’espoir aux jeunes de vivre dignement dans leur patrie. « C’est là une chance pour vous et nous tous d’élaborer une Constitution consensuelle pour une nouvelle Algérie. Ne ratez pas cette opportunité comme l’a fait le système têtu en ratant la chance d’organiser des élections consensuelles le 12/12/2019 », a-t-il écrit.
Tout en remerciant une deuxième fois le président Tebboune de l’avoir invité, l’avocat s’est excusé de ne pouvoir soumettre des propositions, car, il n’est pas d’accord sur la manière dont a été élaborée la mouture dont le fond et dans la forme, et qu’aucune garantie n’a été présentée sur le fait que les propositions émises seront prises en considération.
Me Bouchachi a estimé que cette révision de la Constitution ne mènera pas vers une véritable démocratie. « Je continue d’espérer que le processus d’amendement et d’élaboration de la Constitution de la nouvelle Algérie prendra une autre voie politique, et qu’une instance élue et souveraine prendra en charge cette question pour construire l’Etat des institutions et de droit pour lequel nous luttons depuis longtemps. Nous avons vieilli et cette espérance ne s’est pas encore réalisée », a-t-il ajouté.
« C’est un noble objectif et pour sa concrétisation, il faut aujourd’hui un consensus avec la participation de toutes les énergies et catégories, ce que le pouvoir (…) n’a pas été en mesure de concrétiser, peut-être qu’il était incapable de le faire en raison de sa nature et de ses objectifs, qui devraient être complètement abandonnés », a conclu Me Bouchachi.