Le développement des énergies renouvelables (EnR) est un sujet sérieux et stratégique. Aussi bien que, Aicha Adamou, experte dans le domaine, propose de lui dédier une Haute instance qui sera rattachée au Premier ministère. Une approche qui sous-entend une considération institutionnelle à laquelle doit être manifestée une politique multisectorielle, dont le Partenariat public/privé est l’épine dorsale. Dans cet entretien qu’elle nous a accordé, elle revient longuement sur le renouvelable, qui le considère, non comme l’énergie du future mais plutôt du présent.
Algérie-Eco : Tout d’abord, présentez-vous à nos lecteurs ?
Mme Aicha ADAMOU : je suis Membre du Conseil Mondial de la Science et de l’Environnement , Ex Directrice Stratégie et Coopération internationale – NEAL, Ex Directrice du projet de création de l’Institut Algérien des Energies Renouvelables, Secrétaire Générale de l’Union des Professionnels des Energies Renouvelables UPER, Secrétaire Générale de l’Association pour L’Efficacité et la Qualité dans l’Entreprise APEQUE
Depuis des années, vous militez, si on peut utiliser ce terme, dans le cadre de la promotion des énergies renouvelables. Quel constat en faites-vous ?
Effectivement, je suis une véritable militante pour le développement durable dans son sens le plus large et les énergies renouvelables (EnR) particulièrement. Notre pays a d’excellents atouts pour se positionner comme un véritable leader dans les énergies renouvelables. Aujourd’hui, cette voie n’est plus un choix mais une nécessité absolue. Chacun de nous doit militer à sa façon avec comme soubassement : le Principe de responsabilité et d’engagement
Relativement à votre question, permettez moi de vous dire qu’au jour d’aujourd’hui, le développement des énergies renouvelables avance à pas de fourmis. La loi sur les énergies renouvelables a été promulguée en 2004, suivi par le décret de diversification et un programme national des énergies renouvelables adopté en 2011, partiellement révisé en 2013.
Le programme fixe un objectif de 22000 MW à 2030 avec un taux d’intégration de 40% .Aujourd’hui en 2016, soit 5 ans plus tard , le taux d’intégration n’excède pas 2%. Les raisons de ce retard sont plurielles et pour l’essentiel les suivants :
Un Cadre règlementaire manquant de clarté et de précision et des textes d’application accusant du retard. De plus, il est très contraignant, puisqu’il est orienté vers les grandes centrales, donc les petits producteurs sont exclus de fait.
S’agissant des acteurs présents sur la filière des énergies renouvelables, nous comptons le groupe Sonelgaz via sa filiale Sharikat Kahraba Takat ElMoutadjadida SKTM et trois autres « acteurs » à des niveaux différents, à savoir l’usine de Condor Electronics , l’usine d’ Enie Solar et l’usine des Aurès. Le secteur privé est quasi absent de la sphère (Procédures toujours en souffrance, délais d’octroi des crédits et autres les contraintes bureaucratiques). Un autre aspect, relève de la perception, par les décideurs, du secteur énergétique comme étant stratégique, et du secteur privé comme étant purement opérationnel dans le sens basique et ne jouissant, donc, pas de compétences et de technicité suffisantes.
Tout le monde parle des énergies renouvelables comme énergie du futur, de substitution aux énergies fossiles. En tant qu’experte, quels arguments pouvez-vous avancer pour étayer ces propos ?
Personnellement, je pense que les énergies renouvelables ne doivent plus être considérées comme énergies du futur, mais plutôt les énergies du présent. Le monde bouge à grande vitesse, même les plus grands producteurs de pétrole se sont mis au développement du renouvelable, donc le temps presse et on doit absolument allers vers le développement de cette filière.
Sur le plan géostratégique et économique, le marché pétrolier connait de très fortes perturbations et l’Algérie dont l’économie fortement dépendante des fossiles ( prés de 98% de ses recettes proviennent de la fiscalité pétrolière), doit revoir ses cartes en la matière.
Notamment suite à la chute du prix du pétrole, oscillant entre 50 – 52 $, alors que l’équilibre budgétaire table sur un prix du Baril de 100US. Donc l’activité économique du pays est dans une situation critique, pour preuve des politiques d’austérité sont déjà mises en place.
Sur le plan écologique, le phénomène des changement climatiques fait ravage, notamment la sécheresse et la pénurie d’eau, et ce, pour ne citer que ces facteurs déstabilisateurs ; en novembre, la température oscille entre 22 – 30°C.
Sur le plan social et sociétal, la population de l’Algérie est de l’ordre de 40millions (Janv. 2016) avec un taux d’accroissement naturel/an de 2.2%. Elle a été classée, faut-il le rappeler, au 25ème Rang à l’échelle mondiale : 75% de la croissance démographique mondiale durant 2010 – 2015.
En 2013 : la consommation d’énergie /hab était de l’ordre de 1277 KWH, en 2016, elle est : 1900KWH, elle sera de l’ordre de 80TWH en 2020 et de 150TWH en 2030
Un autre aspect incitateur au développement des EnR, est celui relatif au taux de chômage national qui est de l’ordre 10% dont 23,3% des chômeurs sont diplômés de la formation professionnelle et 21 % de l’université. Oui, avec le renouvelable, on peut aisément faire baisser ce taux.
De tout ce qui précède, ce triptyque (économique – sociétal et écologique), militerait en faveur d’un déploiement des énergies renouvelables. Le plutôt serait le mieux. Je souhaite, par ailleurs, que les générations futures aient leurs parts des fossiles, car je considère que le recours aux renouvelables permettrait d’allonger la vie de nos gisements gaziers.
Lors de votre communication au Salon des Energies renouvelables d’Oran, qui s’est tenu du 24 au 26 octobre, vous avez souligné l’importance du partenariat public privé comme gage de réussite dans le développement des EnRs. Comment ?
A l’instar de tous les pays, la participation du secteur privé est manifestement remarquable, et ce, quelque soit le secteur d’activité. Qui dit économie de marché, dit ouverture de celui-ci. En 2001, le législateur algérien a ouvert le secteur de la production de l’électricité et la distribution du gaz, ouvrant, de fait, la participation des acteurs privés. Or force est de constater qu’aujourd’hui, le monopole sur la production d’électricité est toujours détenu par le groupe Sonelgaz, de plus, en 2004, la loi sur les énergies renouvelables suivi par le décret sur les coûts de diversification ou appelé « feed in tarrif » comme mesures incitatives via l’octroi d’une prime pour les producteurs d’électricité d’origine verte, auxquels arsenal s’ajoute la mise en place d’un Fond National des Energies Renouvelables et de la Cogénération représentant un 1% de la fiscalité pétrolière. Donc, au vu de tout cela, et logiquement le secteur privé ne peut être qu’encouragé pour y participer.
Quelles sont les mesures incitatives ? Et qu’est qui bloque pour que le privé soit dans une posture apparente de développeur ?
Commençons par des projets simples et reproductibles, ensuite évoluons vers des projets plus larges et complexes. La création de guichets uniques pour les permis et autorisations requis par les PPP et l’amélioration de la sélection et la préparation des projets, sont la condition sine qua non pour la réussite de ce type. Plusieurs formes :
Les Projets de Participation Privée, susceptibles d’apporter des financements. Pour cette forme, la création d’une unité centrale des PPP rattachée directement au 1er ministère ou au ministère des finances. La création de cette unité centrale est une étape importante dans le renforcement des capacités. Exemple de l’Egypte, l’unité Centrale ppp au sein du ministère des Finances, et de la Tunisie, ou les Unités des PPP sont localisées au niveau du Cabinet du 1er Ministre/ Ministère des Finances.
Les PPP peuvent induire des économies majeures, jusqu’à 33% des coûts via une nouvelle conception du projet. Les risques de conception et de construction seront supportés par les Partenaires Privés plutôt que par l’État. Néanmoins, la condition de réussite serait d’abord la libération de l’acteur privé des spécifications techniques trop détaillées et l’amélioration des documents de l’appel d’offres. Ces derniers devraient ne pas se limiter uniquement à des spécifications techniques trop détaillées, mais devraient aussi prendre en charge les résultats fonctionnels.
Investissement National Privé « IPN » par l’encouragement de l’épargne nationale. Il existe une capacité nationale d’investissement considérable susceptible de financer des projets d’infrastructure et réduirait de manière substantielle le recours à l’endettement extérieur et son corollaire (Ajustements structurels éventuels).
Cependant et dans le cadre de la sécurisation des projets à long terme, sa contribution reste tributaire d’un tarif de rachat unique pour toutes les filières. Relativement à ce type de partenariat, les investisseurs peuvent se constituer en groupement, et ce dans un souci de rentabilisation des projet.
Producteurs d’Energie Indépendants IPP : Une solution aux difficultés de financement et d’approvisionnement, tributaire de la garantie d’un environnement d’investissement stable et prévisible et un cadre réglementaire clair et cohérent. Depuis les années 1990, une trentaine de projets de taille moyenne à importante supérieure à 40 MW et connectés dans 11 pays, pour une augmentation totale de la capacité d’environ 4,7 gigawatts. A titre d’illustration, au Kenya, en Afrique du Sud, au Nigéria et dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, les projets de production privée d’électricité ont vu le jour dans un climat d’investissement difficile. Aujourd’hui, la demande de projets privés dépasse l’offre
D’autres formes peuvent se développer, à titre d’exemple des modèles commerciaux basiques, tels que l’utilisation de la Technologie solaire dans le secteur des Télécoms via l’implantation de sources d’énergie locales dans des Régions isolées.
Quels sont les instruments permettant de créer un marché ? Qui va réguler ce marché ? Quel est le plan de charge du secteur privé ?
Les instruments permettant de créer le marché sont multidimensionnels
En amont : d’abord la réalisation d’étude sur les externalités des fossiles et les avantages du renouvelable, si elle n’est pas encore faite. Si tel est le cas, il faut absolument communiquer les résultats. L’objectif de l’étude est d’aller à la suppression de la subvention graduelle de cette énergie et la substituer par celle du renouvelable.
A ce niveau, il faut peut être, à mon sens, aller vers une segmentation de la population en fonction du revenu (Hauts, moyens et bas revenus). La suppression de la subvention devra être proportionnelle aux revenus. Et aussi, vulgariser et sensibiliser à l’usage des énergies renouvelables afin de limiter les résistances.
En parallèle et comme je l’ai souligné plus haut, c’est plus de clarté et de précision dans le cadre réglementaire ( loi et textes d’application) :
- Etude sur l’identification des besoins par secteur d’activité et par zone géographique.
- L’identification quantitative et qualificative des acteurs du secteur privé
- Un appui très fort sur la recherche
Relativement à la régulation du marché, la nécessité de la mise en place d’une entité faisant office de PUISSANCE PUBLIQUE, est fortement recommandée pour plusieurs raisons.
Le Coût d’investissement du programme est de l’ordre 120 Milliards de dollar, donc ayant un impact financier très lourd, essentiellement en ces temps de crise que traverse le pays. En sus, le programme du renouvelable concerne l’ensemble des secteurs, ce qui induirait forcément à de véritables problèmes de coordination. D’où la mise en place d’une entité chargée de contribuer à préserver un équilibre satisfaisant entre toutes les parties prenantes et, in fine, répondre aux risques auxquels les Producteurs Privés EnR seront confrontés (changements arbitraires de règles, pouvoir discrétionnaire excessif en matière de prix). Le groupe Sonelgaz, qui, aujourd’hui, a le lead sur le programme, serait un opérateur à part entière au même titre que les autres. Fondamentalement, les missions de cette entité vont s’articuler autour de la définition des modalités de sélection et de contractualisation des projets; l’élaboration des révisions fiables et détaillées de l’offre et de la demande ; l’organisation des processus en termes de clarification et répartition de la production EnR entre secteurs privé et public, et, surtout, assurer la transparence globale.
Pour ce qui concerne le plan de charge du secteur privé, celui-ci serait à l’ordre du jour, lorsque le marché existe et les rôles seront bien définis
Vous parlez également de LEADERSHIP PARTAGE. Qu’en est-il au juste ?
Aujourd’hui, le déploiement du développement des EnR, doit s’inscrire dans une approche sectorielle. Lorsque je parle de leadership partagé, cela signifie une véritable collaboration de tous les acteurs socioéconomiques. Tous les secteurs devront s’engager à prendre part au programme du développement des EnR. Arrêtons de penser à une approche purement verticale, c’est à dire un seul « Responsable et un seul décideur » et allons vers l’approche transversale « tous responsables et tous décideurs » . Aujourd’hui, la Responsabilité globale des acteurs s’impose d’elle même. Avec une veritable approche collaborative ( secteurs économiques – secteur de la recherche scientifique – société civile ) et une véritable coordination, je suis plus que persuadée que nous sommes capables de réaliser des miracles.
Un dernier mot
D’abord permettez-moi d’abord de vous remercier pour cette interview et longue vie à Algérie Eco.
Je souhaiterais interpeller l’ensemble des forces vives de la Nation pour se mobiliser autour du développement des énergies renouvelables qui s’inscrivent en droite ligne avec le concept du développement durable, qui signifie à la fois économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement tolérable.
Le social doit être un objectif, l’économie un moyen et l’environnement une condition.
Le développement est qualifié de « durable » que lorsqu’il est conçu de manière à en assurer la pérennité du bénéfice pour les générations futures.