Des milliers de femmes algériennes ont choisi d’émigrer. Selon le département des affaires économiques et sociales des Nations unies (Undesa), près d’un million d’Algériennes vivent à l’étranger, un chiffre qui dépasse celui des hommes. Le rapport de l’Undesa (2024), publié au début de l’année, montre que les femmes algériennes migrent davantage que les hommes.
« J’ai moi-même travaillé sur les données de l’Undesa (2024) dans deux articles actuellement en cours d’évaluation. Les résultats confirment une tendance claire en matière de stocks migratoires. Contrairement aux autres pays d’Afrique du Nord, l’Algérie présente un profil singulier : depuis la période antérieure à la Covid-19, le stock de femmes migrantes y dépasse légèrement celui des hommes. En 2020, on comptait ainsi 866 740 femmes pour 866 082 hommes, soit un ratio de 0,999. Résultat qui s’affiche au clair en 2024 », indique Idir Smail, sociologue, cité par le journal El Watan dans son édition de ce jeudi 18 décembre.
Cette situation diffère de celle des autres pays de la région. « Dans les autres pays de la région (Egypte, Libye, Maroc, Tunisie, Mauritanie et Soudan), la migration reste majoritairement masculine depuis 1990, avec des écarts variables selon les pays. En Egypte, par exemple, le stock de femmes représente environ la moitié de celui des hommes. En Libye, l’écart était faible jusqu’en 2009, mais s’est accentué en faveur des hommes à partir de 2010 », ajoute-t-il.
Les raisons de cette migration féminine
« Au-delà des facteurs déjà évoqués, on peut noter que le phénomène des harraga (migration irrégulière) est majoritairement masculin. Les hommes algériens semblent ainsi privilégier d’autres stratégies, souvent non réglementaires, pour émigrer », explique le sociologue. Il précise aussi : « Il convient toutefois d’interpréter ces données avec prudence. Par exemple, l’INSEE (Institut français des statistiques et des études économiques) signalait dès 2012 une proportion plus élevée de femmes parmi les migrants diplômés. Ce constat s’inscrit dans une tendance observée depuis les années 2000, marquée par une quête d’ouverture et d’émancipation des Algériennes ».
Selon le sociologue Mohamed Saïb Musette, spécialiste des migrations, cité par le même journal, la proportion de femmes dans les mouvements migratoires d’Afrique du Nord reste inférieure à la moyenne mondiale ou africaine. « Il est estimé à 0,67 en 1990, il accuse une hausse légère en passant à 0,69 en 2024. La parité femme/homme dans les mouvements migratoires est ainsi assez faible. Parmi les pays de l’Afrique du Nord, la particularité des migrations féminines mérite d’être soulignée. Selon la même source, le stock des femmes migrantes d’Algérie vient de dépasser celui des hommes », souligne-t-il.
Il précise que le ratio F/H était plus favorable aux hommes entre 1990 et 2010. « Depuis cette date, le ratio a pris progressivement l’ascenseur, il égalise celui des hommes en 2020 ; et la domination des femmes ne fait plus de doute – avec un ratio de 1,02 en 2024 : ce qui est nettement supérieur par rapport autres pays de l’Afrique du Nord. Les migrations algériennes se retrouvent dans un groupe de pays assez divers – Cuba, Espagne, Serbie, Uganda, tous avec un ratio de 1,02 en 2024 », ajoute-t-il.
D’après les travaux du réseau CARIM (Bouklia-Hassan, 2011 ; Labdelaoui, 2011), Mohamed Saïb Musette note que « le processus de rupture avec la tendance passée avait commencé il y a plusieurs années, avec une féminisation croissante des migrations algériennes ». « La rupture est consommée en 2024. Des nouvelles lectures s’imposent. La hausse des migrantes traduit aussi une baisse de la masculinité de l’émigration algérienne », précise-t-il.
Une accumulation de facteurs
Cette féminisation peut s’expliquer par plusieurs éléments : « meilleure réussite scolaire des filles, report du calendrier de mariage, fort chômage des femmes, notamment les diplômées, faible taux d’emploi, prédominance des compétences féminines dans les professions intellectuelles », indique Mohamed Saïb Musette.
« Il existe une trentaine de théories sur les migrations internationales pour comprendre les mouvements et expliquer les évolutions. Il est aussi surprenant de constater une certaine myopie, pour ne pas dire une cécité sur les comportements des mouvements migratoires selon le genre (Bircan & Yilmaz, 2022). Les études féministes sont restées cantonnées dans la lutte contre les stigmates et des stéréotypes affectant les travailleuses dans certaines niches du marché du travail international (Christou & Kofman, 2022) », ajoute-t-il.
Des recherches récentes tentent d’explorer cette tendance à travers les intentions de migration selon le sexe. Le sondage du Baromètre arabe (2023), mené en Algérie auprès de 2161 adultes, dont 1033 femmes, apporte des éléments intéressants. « Les premiers résultats sont assez intéressants : le quart des femmes qui aspirent à la migration sont au foyer. La parité selon le genre est en faveur des hommes : pour les travailleurs (salariés et employeurs), les femmes obtiennent un score de 0,31. Les étudiantes arrivent avec un score de 0,78 – ce qui se rapproche de celui des hommes. Par contre, on enregistre un ratio de 0,44 pour les femmes au chômage », conclut le sociologue.






