AccueilLa uneDécret sur la micro-importation : le texte "a besoin de maturation", selon...

Décret sur la micro-importation : le texte « a besoin de maturation », selon CARE

Date:

Le décret exécutif n° 25-170, publié au Journal Officiel n° 40 en date du 29 juin 2025, encadre désormais l’activité de micro-importation, appelée également « commerce du cabas », en Algérie. Cette mesure, qui s’adresse exclusivement aux auto-entrepreneurs, vient légaliser une pratique jusque-là exercée de manière informelle.

Selon ce texte, peuvent exercer cette activité les citoyens algériens majeurs, résidant en Algérie, sans autre emploi, affiliés à la CASNOS, titulaires d’un compte devises à la Banque extérieure d’Algérie (BEA) et disposant d’une carte d’auto-entrepreneur mentionnant « micro-importation ». Une autorisation générale du ministère du Commerce extérieur est également exigée.

Le dispositif permet au micro-importateur d’effectuer jusqu’à deux voyages par mois à l’étranger et d’importer à chaque fois des marchandises pour une valeur maximale de 1,8 million de dinars. Les produits doivent être revendus en l’état sur le marché national. Le financement doit se faire exclusivement avec des devises propres. Les produits importés doivent être déclarés à l’avance via une plateforme numérique et porter un étiquetage précis.

Certains produits restent interdits, comme les médicaments, les substances sensibles ou dangereuses, ainsi que ceux nécessitant une autorisation spéciale ou portant atteinte à l’ordre public.

Parmi les avantages accordés : une comptabilité allégée, l’absence d’obligation de registre de commerce ou d’autorisation d’importation, ainsi qu’un droit de douane réduit à 5 %.

Dans une note d’analyse publiée le 1er juillet, le Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (CARE) salue cette reconnaissance officielle d’« une pratique déjà répandue dans la société depuis de longues années ». L’organisation estime que le décret constitue « une opportunité pour formaliser cette activité dans un environnement légal sécurisé ».

Un risque d’alimenter le marché parallèle des devises

Mais plusieurs points du dispositif suscitent des interrogations. CARE questionne notamment l’obligation de déplacement physique à l’étranger, jugée coûteuse et contraignante. L’organisation propose d’autoriser les commandes à distance afin d’ouvrir l’activité à un plus grand nombre, indépendamment des contraintes de visa.

« Le montant maximal de chiffre d’affaires autorisé mensuellement est de l’ordre de 3,6 Millions de DA, soit pour l’ensemble d’un exercice annuel, quelques 43,2 Millions de DA », souligne CARE, qui estime que « ce montant parait tout à fait raisonnable et suffisant pour rendre l’activité en question économiquement viable. »

« Il est toutefois difficile de comprendre les motivations derrière cette obligation de 24 déplacements à l’étranger pour importer un bien quelconque », indique le think tank, expliquant que « le coût de 24 déplacements à l’étranger est en soi exorbitant, il est tout à fait inutile et représente un handicap majeur pour l’exercice d’une activité quelconque. »

Selon CARE : « Il est vrai que l’idée première était celle de normaliser une activité à la limite de la légalité et qui était exercée principalement en marge de déplacements à l’étranger : mais dans la mesure où l’Etat s’engage dans un processus de régularisation organisée et transparente, il n’y a plus lieu de paramétrer cette même activité à l’aune de la seule frange de population qui l’exerçait jusque-là. »

« La loi étant par principe générale et impersonnelle, pourquoi ne pas simplement autoriser comme pour toute marchandise importée, la commande à distance, plus efficace et plus inclusive ? », s’interroge le Cercle de réflexion, et d’ajouter : « Les portes seraient grandes ouvertes à tous les citoyens intéressés sans discrimination d’accès et sans que ces derniers soient à la merci des restrictions de visas que de nombreux pays leur imposent. »

Un autre point critiqué concerne le financement en devises. « Le décret impose de financer les achats en devises propres, sans accès au marché officiel », relève CARE, estimant que « cela poussera les micro-importateurs vers le marché noir. » « Pourquoi ne pas autoriser un quota de change officiel et contrôlé, dès lors qu’il s’agit d’une activité qui est reconnue par la loi et dont les conditions de fonctionnement sont strictement encadrées par un texte réglementaire ? », se demande l’organisation.

Et de souligner : « L’effort d’adaptation qui est la substance même de cette nouvelle réglementation risque d’être totalement érodé aux yeux de la population algérienne par une situation de fait qui voudrait que l’Etat lui-même invite les auto-entrepreneurs à s’adresser à un marché noir des devises qu’il s’efforce par ailleurs de contenir et de réprimer. »

CARE suggère d’ouvrir le dispositif aux PME et TPE

CARE attire aussi l’attention sur les entreprises formelles qui ne peuvent pas bénéficier de ce dispositif, en évoquant les difficultés d’approvisionnement que rencontrent les PME et TPE pour des intrants parfois essentiels. « Le décret exclut les entreprises formelles qui pourraient utiliser ce même canal pour importer des intrants essentiels à leur activité », note la même source.

Et d’expliquer : « Nul n’ignore qu’un grand nombre d’entre elles peinent à s’approvisionner à l’étranger pour l’accès à des matières premières essentielles pour leur fonctionnement au quotidien. » « Pourquoi ne pas leur permettre de créer en leur sein un département de micro-importation qui leur permette de bénéficier elles aussi des avantages de ce nouveau cadre réglementaire ? », s’interroge encore CARE.

Selon ce dernier : « Certaines d’entre elles sont quelquefois contraintes de suspendre tout un processus de production parce qu’il leur manque une pièce de rechange, un petit équipement quelconque, un matériau indispensable, un réactif chimique ou tout autre intrant spécifique, etc. Très souvent, les coûts de tels achats sont totalement insignifiants au regard des retards encourus et des surcoûts générés pour un nombre incalculable d’activités de production essentielles. » 

« Et en tout état de cause, s’il n’y a rien à redire concernant l’objectif légitime de simplifier l’approvisionnement de quelques « supérettes » en produits d’appel importés pour leur clientèle, il est difficile d’expliquer en quoi celui-ci est plus important que l’approvisionnement de centaines de milliers de PME et TPE productrices de biens et de services essentiels pour le bon fonctionnement de l’économie nationale dans son ensemble », écrit le think tank.

Sur le plan fiscal, CARE reconnaît les avantages du régime prévu, mais regrette qu’il soit « aussi exclusif ». L’organisation suggère d’étendre ces mesures à d’autres structures économiques jugées utiles, comme les coopératives ou les jeunes entreprises.

« Le régime fiscal avantageux (droit de douane réduit, simplifications administratives ; imposition favorable à 0,5% du chiffre d’affaires annuel) est tout à fait pertinent », estime l’organisation, et de se demander : « Mais alors, pourquoi ne pourrait-on pas l’élargir à d’autres structures économiques utiles au pays : coopératives, jeunes entreprises, producteurs ? Pourquoi ne pas l’élargir également à toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 43,2 MDA (millions de dinars, ndlr) ? »

Le plafond autorisé dépasse celui prévu pour les auto-entrepreneurs

Autre incohérence soulevée : le plafond de chiffre d’affaires annuel autorisé pour les auto-entrepreneurs est fixé par la loi à 5 millions de dinars, tandis que le décret permet jusqu’à 43,2 millions de dinars. CARE estime que « cette disposition du décret n’est pas acceptable » tant que la loi des finances n’est pas modifiée.

« Il s’agit là d’un problème formel touchant au plafonnement légal (loi des finances pour 2023) du chiffre d’affaires des auto-entrepreneurs à un montant de 5 MDA. Ce seuil légal est pourtant largement dépassé pour le cas des micro-importateurs, avec un montant maximal affiché dans le décret à 43,2 MDA », relève CARE.

Et de préciser : « Aussi, sur un strict plan légal et par souci du respect de la hiérarchie des normes juridiques (un décret ne peut pas changer une disposition légale), cette disposition du décret n’est pas acceptable, elle requiert au préalable un changement de la disposition pertinente de la loi des finances (article 51 de la LF 2023). »

Autorisation générale : Un risque d' »interférence indue » de l’administration

Le document interroge aussi le rôle de l’autorisation générale exigée par le ministère du Commerce extérieur. « Pourquoi serait-il nécessaire que l’administration du commerce extérieur doive elle-même la réautoriser ? », demande CARE, qui craint un risque d’« interférence indue » de l’administration.

« Dans la mesure où le texte de ce décret sur la micro-importation affiche de manière claire, transparente et non ambigüe les règles et le cadre d’organisation de cette activité et qu’il pose à la base le principe de l’autorisation de son exercice par des auto-entrepreneurs parfaitement déclarés et identifiés, pourquoi serait-il nécessaire que l’administration du commerce extérieur doive elle-même la réautoriser de son côté ? », écrit la même source.

Et d’ajouter : « De même, comme la liste des marchandises interdites ou non concernées par l’activité de micro-importation est clairement affichée, pourquoi les auto-entrepreneurs doivent-ils déclarer à l’avance les marchandises à importer sur une plate-forme numérique dédiée ? N’y a-t-il un risque réel de voir l’administration interférer indûment dans la gestion des auto-entrepreneurs concernés ? »

« S’il existe un motif quelconque qui justifie ce contrôle préalable dévolu à l’administration du commerce extérieur (ou à toute autre administration) il serait nécessaire de le préciser d’une manière ou d’une autre. S’il ne s’agit que de suivi et de contrôle à postériori, la base de données publiques des douanes algériennes est largement suffisante », explique CARE.

Le décret « a besoin de faire l’objet d’une maturation un peu plus poussée »

En conclusion, CARE souligne que ce décret est « un pas dans la bonne direction », mais qu’il doit être affiné. L’organisation appelle à « une vision d’avenir » qui dépasse la seule logique administrative et invite à « faire rentrer [l’économie nationale] dans la modernité ».

« Ce décret constitue, dans son esprit et si l’on s’en tient aux orientations initiales du Président de la République, une avancée incontestable et un pas dans la bonne direction. Mais, à l’évidence, il a besoin de faire l’objet d’une maturation un peu plus poussée », estime le think tank.

Et d’ajouter : « Par-dessus tout, il a besoin de s’inscrire dans le cadre d’une vision d’avenir et non d’être enfermé dans une niche étroite qui reproduit à l’infini les errances d’une bureaucratie administrative de plus en plus épuisante, que les pouvoirs publics s’acharnent par ailleurs à combattre. »

« Fondamentalement, il n’est pas acceptable que, dans l’Algérie de 2025, ce soient toujours les clients algériens, pourtant tout à fait solvables, qui s’acharnent à courir derrière leurs fournisseurs, là où dans le monde entier, ce sont ces derniers qui viennent proposer sur place leurs produits et leurs services », souligne CARE, qui s’interroge : « Pourquoi ces mêmes clients algériens devraient-ils continuer d’aller changer leurs dinars durement gagnés, comme des voleurs, au détour de ruelles sombres et non dans aux guichets de banques officiellement établies ? »

« A l’ère de la finance mondiale totalement digitalisée, la seule permanence du marché du Square Port-Saïd, illégal mais toléré par la force des choses, est un chancre humiliant qui illustre à lui-seul l’étendue des retards de notre système financier et monétaire », souligne la même source, et d’ajouter : « Il est temps, plus que jamais, de tourner la page et, une fois pour toutes, de le faire rentrer dans la modernité. »

Articles associés

Derniers articles