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Il représente l’équivalent de 30% du PIB: L’informel prospère en marge des dysfonctionnements de l’économie

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Dans un de ses derniers rapports, la Banque Mondiale a estimé à environ 30% la part de l’informel dans l’économie algérienne entre 2010 et 2020. Par rapport aux 145,2 milliards de dollars de produit intérieur brut (PIB) de l’année 2020, les revenus générés par les pratiques économiques et commerciales informelles, avaient atteint pas moins de 43,6 milliards de dollars en 2020. C’est la plus importante de tous les pays d’Afrique et du moyen orient dont la moyenne ne dépasse guère 20%, estime cette même source.  

Comme cette pratique s’est installée dans la durée (depuis 1980) et qu’elle progresse d’année en année, en Algérie l’informel est devenu un véritable phénomène de société qui occupe le quotidien des algériens, généralement mal à l’aise quand ils en parlent. S’il suscite effectivement une condamnation morale au vu des malversations qu’il comporte, l’informel a parfois tendance à être perçu comme un légitime raccourci vers la réussite économique et sociale, rendu nécessaire par le verrouillage bureaucratique du business légal.  

 Ce sont les transactions informelles, le trafic de drogues et les prébendes qui s’opèrent en marge du commerce légal qui ont en effet, permis à des personnes sans scrupules de faire rapidement fortune mais la moralité du constat est différemment interprétée, selon qu’on appartient à une frange de la société ou à une autre. Les uns voueront de l’admiration pour les acteurs de l’informel partis de rien mais qui sont parvenus à se faire rapidement une place au soleil, les autres leur reprocheront de s’être enrichis de manière illicite, en faisant fi des lois en vigueur. Entre ces deux mondes que tout oppose, le clivage a toujours existé mais il tend à s’exaspérer au fil des années, au gré de l’expansion du marché informel auquel l’Etat semble accorder une troublante liberté d’action.

Lorsqu’à la faveur de rares réactions hostiles, l’Etat manifeste son intention de veiller aux bonnes règles économiques et commerciales, c’est la frange légaliste de la société qui l’emporte, mais quand, comme c’est malheureusement souvent le cas, le marché est abandonné aux commerçants véreux, c’est la frange hors la loi qui domine le business et « fait son beurre » sous le regard admiratif de nombreux algériens.  N’ayant rencontrés aucune résistante sérieuse de la part de la Justice et des organes légaux de répression, ces nouveaux riches ont même gagné en respectabilité, notamment auprès des jeunes qui souvent les prennent pour références, comme exemples à suivre. Cette nouvelle caste de riches qui garde encore les stigmates d’une fraiche appartenance aux couches les plus pauvres de la population, n’hésite effectivement pas à afficher de manière la plus ostentatoire possible les richesses (véhicules de luxe, exhibition de liasses d’argent liquide, accumulation de bijoux etc.), accumulées dans l’illégalité et souvent, au dépens d’autrui.

Le plus grave est que ces « anciens pauvres » constituent, comme nous l’affirmions plus haut, des modèles de réussites économiques et sociales pour de nombreux algériens et, notamment, les plus jeunes. Une sorte de consensus a en effet fini par s’opérer dans le mental des algériens qui désormais considèrent que l’informel n’est en réalité qu’une réponse au verrouillage bureaucratique de l’économie nationale. Un verrouillage auquel, seuls les acteurs proches du pouvoir et de ses administrations, peuvent échapper. Des cas de personnes parties de rien pour devenir riches en des temps record, sont fréquemment cités comme d’emblématiques exemples de réussite à imiter, dans un pays où les perspectives d’enrichissement légal sont effectivement bouchées. Comment en effet, un cadre algérien peut il se frayer un chemin honorable, dans une société qui le rémunère très mal, ne permet pas aux plus méritants d’évoluer dans leurs carrières et soumet la réussite entrepreneuriale, non pas, à la compétence des managers, mais aux relations subjectives que ces derniers entretiennent avec les hiérarques du pouvoir. L’oligarchie économique algérienne s’est en effet entièrement constituée à l’ombre des hommes forts du pouvoir et ces derniers ne sont, à ce jour, pas prêts à remettre en cause ce mode d’ascension sociale qui leur permet de garder la main sur les hommes fortunés du pays   

Il n’est, de ce fait, pas rare de voir des jeunes se plaindre de ce désespérant blocage, de plus en plus convaincus que le monde appartient désormais à ceux qui osent faire fi de la réglementation et de la bonne morale. Saisir une opportunité qui n’est pas conforme à la loi pour empocher le pactole, devient alors une obsession pour tous ces jeunes qui rêvent d’une belle vie, à laquelle ils pourraient accéder, eux aussi. Ces opportunités se trouvent dans le marché informel, la connexion avec les milieux maffieux et toute une panoplie de business illégaux, qui permettent d’accumuler des fortunes sans trop de risques dans un pays où contrôle étatique brille par son inefficacité.

Il existe effectivement chez de nombreux jeunes le désir de se lancer dans les affaires, en prenant soin de se trouver un ou plusieurs protecteurs au niveau d’une institution publique. C’est pratiquement une obligation s’ils ne veulent pas subir les foudres des services de contrôle, prompts à réagir quand les contrevenants n’ont pas de puissants protecteurs. Pour beaucoup d’entre eux, cette issue se présente comme l’unique voie de réussite, dans un pays qui offre peu d’opportunités d’enrichissement légal, mais où il y a par contre, beaucoup d’argent à amasser dans une multitude d’affaires, qu’il suffit de saisir opportunément. Toute une panoplie d’espaces destinés à l’enrichissement sans cause existent en effet, à commencer par le marché parallèle de la devise, les sociétés de négoce avec leurs lots de surfacturations et de tromperies sur la qualité des marchandises importées, les transactions immobilières frauduleuses, pour ne citer que ces moyens d’enrichissement en vogue. Les fortunes qui y sont amassées sans effort particulier et à l’abri du fisc, sont effectivement prodigieuses.

L’exercice du métier de businessman clandestin n’exigeant pas de sortir d’une grande école de commerce, seule la débrouillardise « El Qafza », couplée à un réseau de solides connaissances « El Maarifa », comptent en effet dans ce type d’aventures qui peut, du jour au lendemain, faire de vous un archi milliardaire. Comment s’étonner alors que le travail productif soit aussi dévalorisé qu’il l’est aujourd’hui et que soit, par contre, glorifié l’accès rapide et sans efforts, à la fortune. Les jeunes sont, de ce fait, de plus en plus nombreux à rêver de gagner beaucoup d’argent sans travailler, au risque de sombrer, comme ça sera parfois le cas, dans la délinquance.  

On comprend alors la frénésie d’une frange de plus en plus importante de la société, pour ce type de pratiques et il n’est, aujourd’hui pas rare de voir certains parents pousser leurs enfants sur cette voie, en leur avouant que faire des études poussées dans les conditions présentes, n’est assurément pas le meilleur moyen de s’offrir un bel avenir dans une Algérie de plus en plus bureaucratique et rentière.

L’enrichissement sans cause, aujourd’hui proclamé sans honte, comme meilleur moyen d’ascension sociale est, de ce fait, en train de pervertir la société algérienne, qui perd progressivement le sens des valeurs qui, il y a quelques années encore, structuraient la société algérienne. Il faut dire que c’est, bel et bien, le système politique algérien qui a préparé le lit de l’informel, en offrant à ses acteurs les conditions idéales de prolifération que sont, notamment, la bureaucratie tatillonne et corruptible qui a pris en tenaille l’économie algérienne, la législation des affaires qui brille par son instabilité et la confusion de ses textes, les impôts et sur taxes qui écrasent les entreprises légales, les banques et leurs moyens paiement archaïques, le marché boursier et de changes qui tardent à se mettre en place, le faible débit d’internet, le dinar inconvertible et constante dérives etc.

C’est sur ce terreau particulièrement fertile, que pousse et se développent toutes les pratiques informelles, qui empêchent l’Algérie de construire un système de marché fonctionnant selon les règles universelles.

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