Depuis l’année 2013, date à laquelle l’Office National des Statistiques (ONS) avait annoncé que les naissances en Algérie avaient dépassé la barre du million de nouveaux-nés par an, la machine démographique n’a pas arrêté de s’emballer. Par effet d’accroissement naturel, auquel s’est ajouté « l’effet confinement contre le coronavirus », les naissances n’ont pas cessé d’augmenter pour probablement atteindre 1,4 million de nouveaux-nés par an à partir de 2025.
Cette tendance aurait pu être considérée comme positive pour le pays, si la machine économique tournait à un rythme aussi rapide, avec des performances productives et des taux de croissance à la mesure de ce « boom » démographique qui s’est installé dans la durée. Si tel avait été le cas, ces nouvelles naissances auraient alors constitué autant de bras et de cerveaux, au service du développement. Ce qui n’est malheureusement pas le cas. La croissance est depuis l’apparition de la crise sanitaire en très forte contraction et l’Algérie est toujours aussi dépendante des importations, pour pratiquement tous ses besoins alimentaires.
Cette subite explosion démographique arrive de surcroît, au moment où les ressources d’hydrocarbures sur lesquelles compte habituellement l’Etat pour financer la demande sociale, sont en net déclin. De 60 milliards de dollars en 2006, les recettes d’hydrocarbures n’ont en effet guère dépassé 22 milliards par an, depuis 2015. On mesure alors l’ampleur de la crise pour le pays, qui n’a échappé à une rupture totale de paiements, que grâce à ce qui reste des réserves de change, constituées au temps où les cours du pétrole et les quantités exportées étaient à leur apogée. Le pays est depuis cette date, empêtré dans d’inextricables problèmes de chômage, d’insuffisance de logements, de places pédagogiques et de capacités d’accueil des hôpitaux qui requièrent au minimum, une politique de limitation des naissances, ne serait-ce, que le temps que durera cette crise.
Si ce déclin venait, comme il est sérieusement à craindre, à perdurer, les quelques rattrapages réalisés ces quinze dernières années à la faveur de l’aisance financière (infrastructures routières et logements notamment), seront vite dépassés eu égard à la très forte demande sociale que va générer la population en forte progression numérique. Et à cause de toutes ces difficultés, il est de plus en plus évident, que l’économie algérienne devra désormais évoluer dans un contexte de plus en plus contraint.
L’Etat qui tient à garder, sans doute pour des raisons idéologiques, son rôle de promoteur exclusif du développement économique et social du pays, devra pour ce faire, assurer à la fois, le « pain quotidien » aussi bien à la population existante, qu’au million de personnes supplémentaires qui naissent chaque année. Ce qui ne sera évidemment pas une mince affaire dans ce contexte de restriction budgétaire, qui ne pourra prendre fin qu’au terme de profondes réformes structurelles, que les autorités politiques actuelles ne pourront malheureusement pas entreprendre pour diverses raisons. En effet, à moins d’un changement politique majeur qui résulterait d’une forte pression sociale, il est peu probable que les autorités algériennes qui ont ouvertement opté pour un statu quo qui préserve leurs intérêts, consentent à changer leur mode de gouvernance qui consiste à répartir la rente d’hydrocarbure au gré de considérations étroitement liées à leur maintien au pouvoir.
Faute de rente pétrolière à la mesure du populisme ruineux que le pouvoir se doit d’entretenir perpétuellement pour rester en place, il est donc dans la logique des choses que les déséquilibres sociaux s’amplifient tout au long de la décennie à venir. Il faut en effet savoir qu’en 2025 la population algérienne dépassera allégrement 5O millions d’habitants, auxquels il faudra assurer emplois, logements, santé et formation.
Pour ce qui est de l’emploi, ce n’est pas moins de 550.000 emplois nouveaux par an qu’il faudra créer pour maintenir le taux de chômage au niveau actuel de 11%. Quant aux logements, le maintien du taux d’occupation (TOL) actuel (5,5%) requiert une livraison annuelle de pas moins de 450.000 logements nouveaux, performance que l’Algérie n’a jamais réalisée même au temps où l’argent et les moyens ne faisaient pas défaut.
Pour ce qui est enfin de l’éducation-formation, le nombre d’écoles, de CEM, Lycées, universités, centres de formation professionnelle nouveaux à construire, est tout simplement hors de portée d’un pays qui n’a plus les moyens de sa politique de redistribution rentière, qu’il applique depuis pratiquement l’indépendance du pays.
Même constat pour la Santé qui devra, uniquement pour se maintenir au niveau de satisfaction très contestable actuel, construire de nouveaux CHU, mettre en place au minimum 45.OOO lits d’hospitalisation supplémentaires pour gérer du mieux possible les maladies courantes et les pandémies, réaliser un millier de centres de santé et former des milliers de médecins et paramédicaux.
Il faut ajouter à cette demande sociale incompressible, l’alimentation en eau qui pose déjà problème et les approvisionnements en denrées alimentaires de première nécessité qu’il faudra importer encore plus massivement, alors que l’Algérie n’a aucune prise sur les prix du pétrole qui sont fixés par le marché international.
C’est dire à quel point la demande sociale risque de s’exacerber au fil des années avec le risque bien réel, d’atteindre un point de rupture, qui pourrait gravement compromettre la paix sociale. C’est dire aussi, à quel point la question de la croissance démographique est importante, notamment quand elle prend d’aussi inquiétantes proportions. Elle devrait de ce fait être au centre des préoccupations de l’Etat, ce qui n’apparaît malheureusement dans aucune des orientations politiques officielles de nos gouvernants actuels.