La justice marocaine a condamné vendredi le journaliste Soulaimane Raissouni à cinq ans de prison pour « agression sexuelle », en son absence car il est en grève de la faim depuis 93 jours.
Depuis mai 2020, M. Raissouni, 49 ans, est en détention provisoire à la suite d’une plainte d’un militant LGBT pour « agression sexuelle », des faits qu’il conteste. Ses soutiens dénoncent un « procès politique », tandis que le plaignant se défend d’être « instrumentalisé politiquement ».
Au Maroc comme à l’étranger, le cas du journaliste mobilise : des défenseurs des droits humains, des intellectuels, des responsables politiques avaient réclamé sa libération provisoire, en vain.
Face aux critiques, les autorités marocaines, elles, ont toujours mis en avant l’indépendance de la justice et la conformité des procédures.
Vendredi, le juge a ordonné de faire venir le journaliste, absent de son procès depuis la mi-juin, afin qu’il entende sa condamnation, mais le prévenu a « refusé », d’après un procès-verbal lu au cours de l’audience à la cour d’appel de Casablanca.
A peine la sanction prononcée, quelques voix de protestation, parmi les soutiens du journaliste, ont rompu le silence pesant dans la salle et avant même la levée de l’audience, ses proches et avocats, dépités, l’ont quittée. « C’est une boucherie judiciaire, comment peut-on condamner un accusé en son absence ? C’est du jamais vu ! Le verdict est à l’image de ce procès », a déclaré à l’AFP Me Miloud Kandil, un des avocats de M. Raissouni, à la sortie de la salle d’audience.
La défense ne plaidait plus depuis mardi pour protester contre le refus du juge d’hospitaliser puis de faire venir le prévenu, qui n’a pas été auditionné par la cour.
Le journaliste s’est dit prêt à assister à son procès, à condition « d’être transporté en ambulance et d’avoir un fauteuil roulant ». Son absence a été considérée comme un « refus » par la cour qui a décidé de poursuivre sans lui.
Durant l’ultime audience, le parquet a requis la peine maximale, estimant que les déclarations du journaliste étaient « contradictoires » tandis que celles du plaignant étaient « concordantes et cohérentes ».
Le plaignant, lui, a réaffirmé durant son audition jeudi devant le juge « sa version des faits telle que racontée à la police et au juge d’instruction », niant que cette affaire soit « instrumentalisée politiquement », a indiqué à l’AFP son avocat Me Omar Alouane.
La santé « critique » de l’éditorialiste inquiète ses soutiens et ses proches, surtout depuis que M. Raissouni n’a pas renoncé à sa grève de la faim, entamée depuis le 8 avril contre une « grande injustice ressentie ».
L’administration pénitentiaire (DGAPR) avait affirmé mardi que le journaliste usait de sa « prétendue grève de la faim » pour « pousser le tribunal compétent à le remettre en liberté ».
La dernière fois qu’il est apparu à la cour, le 10 juin, il marchait en titubant, son corps amaigri et la peau sur les os.
La peine de M. Raissouni a été assortie d’un dédommagement au plaignant de 100.000 dirhams (environ 9.500 euros). Ce procès s’est ouvert en février, alors que le journaliste avait été placé en détention préventive en mai 2020. Il a été arrêté suite à la publication par le plaignant d’un post sur Facebook accusant le journaliste de l’avoir « agressé sexuellement ».
Après son arrestation, une pétition de soutien signée par une centaine de défenseurs des droits humains, des politiques et intellectuels avait dénoncé le « ciblage des journalistes et des défenseurs des droits humains critiques à l’égard des autorités, avec les mêmes méthodes basées sur des accusations sexuelles ».
Plus récemment, des partis politiques avaient appelé à la libération de journalistes et à « créer un climat général positif basé sur un apaisement politique et la protection des droits humains ».
Le rédacteur en chef du journal Akhbar Al Yaoum — en cessation de paiements depuis mars — signait régulièrement des éditoriaux critiques.
Sa nièce Hajar Raissouni, reporter au même journal, avait été condamné à un an de prison pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage » en 2019 avant d’être gracié par le roi Mohammed VI.
Le fondateur du quotidien arabophone Taoufik Bouachrine avait lui été condamné à 12 ans de prison en 2018, une peine alourdie à 15 ans en appel, pour des violences sexuelles qu’il a toujours niées.
Afp