C’est un livre fort intéressant que le docteur Lachemi SIAGH vient de publier à Casbah-Editions, sous le titre évocateur: « Algérie, les voies de la re-naissance ».
Il y fait un diagnostic sans complaisance d’une économie mal partie depuis l’indépendance du pays, mais qui connaîtra un destin encore plus désastreux, lorsque des dirigeants sans vergogne et bien servi par l’argent du pétrole, prendront les rênes du pays au début des années 2000, et s’y accrocher vingt années durant. Les dégâts commis seront décrits de manière à ce qu’ils apparaissent dans leur extrême gravité. Des dégâts qui ont en effet ravagé, non seulement, l’économie mais la société toute entière, à tel point qu’elle fut poussé à la révolte un certain 22 février 2019. Les dirigeants civiles et militaires qui portent l’entière responsabilité de ce désastre programmé, sont également clairement ciblés par l’auteur lui même victime de ces potentats qui avaient dirigés sans partage le pouvoir de 1999 à 2019, ce qui fait de cet ouvrage un témoignage qui pourrait concrètement contribuer à l’écriture de l’Histoire récente de l’Algérie.
Mais, à notre sens, le plus gros intérêt de cet ouvrage réside dans le fait qu’il dégage d’intéressantes pistes de travail, qu’une direction politique légitime et bien éclairée, pourrait suivre pour sortir le pays de l’archaïsme et du marasme, dans lesquels l’a fourvoyé une dictature systémique qui sévit, par régimes politiques interposés, depuis notre indépendance.
Depuis son indépendance, l’Etatisme outrancier, la centralisation, le patriotisme démagogique, le pillage, la corruption, le népotisme, le régionalisme, la hogra, l’incompétence, le manque de vision, de projet de société et de stratégie, en un mot, la non gestion des affaires ont en effet, peu à peu, fait replonger le pays dans l’obscurantisme médiéval à travers la régression culturelle, sociale, économique et sanitaire, mais également engendré la perte des valeurs traditionnelles qui avaient permis de combattre le colonialisme. La situation est aujourd’hui si grave que Lachemi SIAGH, a cru nécessaire de poser la question termes shakespeariens. La question qui se pose à l’Algérie aujourd’hui, affirme t-il est : « être ou ne pas être », « to be or not to be », en ajoutant que « c’est d’ailleurs cette question existentielle qui a déclenché la Révolution du sourire ou Hirak ».
Cet ouvrage analyse sans concession la gestion calamiteuse du pays depuis l’indépendance et surtout depuis les dix dernières années du règne du président Bouteflika. La lecture de la première partie du livre risque de paraître démoralisante, tant les dégâts sont majeurs. L’absence de transparence et de bonne gouvernance ont eu raison de toutes les velléités de développement du pays. Alimentée par des recettes exceptionnelles dues à une flambée des prix des hydrocarbures, la corruption a été un immense brasier. Une bonne partie de la société a été corrompue et s’est consumée. Les dirigeants, bien sûr, et de manière substantielle, mais aussi, une grande partie de la population dans une gabegie des ressources qui auraient certainement trouvé meilleur emploi, dans le développement d’une société moderne solidement arrimée à économie mondialisée. Nos dirigeants politiques ont fait de l’Etat qui devait se concentrer exclusivement sur ses fonctions de régulation, un État entrepreneur, notamment dans le secteur des infrastructures dont il avait l’exclusivité. Le secteur privé national a été marginalisé par l’effet d’éviction découlant du contrôle quasi-total des ressources financières par l’Etat et la diabolisation de l’investissement étranger. Les réformes économiques ont été reportées sine die, et les possibilités de diversification de l’économie se sont amenuisées. On a assisté alors à un recours massif et inefficace à la dépense budgétaire, c’est-à-dire à un mode de croissance extensif, non créateur de richesse et d’emplois durables affirme à juste titre l’auteur. . Le pays produisant peu et étant dépourvu de capacités de réalisations à en effet, connu une explosion des importations et le développement de divers quasi-monopoles sur les produits essentiels, notamment les biens de consommation, les matériaux de construction et les médicaments, détenus par les clients du pouvoir connus sous le nom d’oligarques. Ces importations et ces importateurs ont inhibé toutes les velléités de création d’une industrie nationale puissante et prospère. Dans ce contexte, comme dans certains pays exportateurs de pétrole nos dirigeants ont eu tendance à privilégier les « méga-projets » qui permettent de camoufler et de recueillir plus facilement des pots-de-vin, et éviter, en même temps, des investissements productifs à long terme qui sont plus transparents. C’est pour ces raisons que les Algériens ne conçoivent pas comment un pays qui a engrangé plus de 1400 milliards de dollars en 20 ans, avec 200 milliards de dollars de réserves de change accumulés jusqu’en 2014, de quoi hisser l’Algérie parmi les pays émergents à l’instar des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), se retrouve avec de multiples déficits : budgétaire, balance commerciale et balance des paiements ; un fonds de régulation et des réserves de change qui ont fondu comme neige au soleil, entraînant l’utilisation de la planche à billets. Enfin, des cadres qualifiés qui émigrent par milliers et des jeunes chômeurs qui bravent les périls des mers comme harragas.
Sur le plan social, on assiste au paradoxe qui veut qu’à mesure que les ressources financières du pays augmentent le pouvoir d’achat des masses diminue, écrit Lachemi Siagh, en ajoutant e juste titre, que « la croissance du modèle économique algérien a produit de la pauvreté salariale et une concentration excessive des revenus dont a profité une nouvelle classe de prédateurs, nommés oligarques qui se sont arrogés des pouvoirs extra-constitutionnels ».
L’objet principal de l’ouvrage de Lachemi SIAGH , consiste à analyser en profondeur ce système qui perdure depuis l’indépendance, dans la perspective de proposer un modèle alternatif politique et économique, à même, de permettre de sortir l’Algérie de la profonde crise qu’elle connaît.
« Algerie: les voies de la re-naissance »est structuré en deux parties. La première partie comporte trois chapitres. Le premier traite de l’expérience socialiste de l’étatisme et de la centralisation depuis l’indépendance. Le second, traite de I’histoire économique des années 2008-2019 qui a vu la mise en œuvre d’un « patriotisme économique » à tout va. Le troisième, décrit l’impact économique et social de ce « patriotisme économique désastreux qui a failli mettre le pays à genoux».
La deuxième partie propose une esquisse de projet de société, des pistes pour un véritable re-engineering du pays, une stratégie de développement économique et social offrant une vision d’une Algérie moderne et prospère. Elle esquisse également les réformes fondamentales et urgentes à mettre en œuvre pour que l’Algerie puisse se relever rapidement pourquoi pas, rejoindre d’ici 2030, le concert des pays émergents. Cette deuxième partie est composée, également, de trois chapitres consacrés à la proposition d’un nouveau paradigme pour une Algérie nouvelle. Le premier chapitre traite de la conception du pouvoir et de l’État à travers la confrontation des idées des grands théoriciens, comme Hobbes, Max Weber, Rousseau, Ibn Khaldoun, etc. Le second engage la proposition d’une vision et d’un projet de société nouveaux et le point de vue de l’Islam dans ce projet politique .
Le troisième chapitre décline les autres réformes économiques et financière à mettre en œuvre.
L’ouvrage se termine par des préconisations consacrées aux sujets qui préoccupent les algériens à court terme, tel la récupération de l’argent spolié et transféré à l’étranger, comment mobiliser l’argent de la diaspora, comment attirer les IDE ; etc.
En conclusion, et comme le soulignent à juste titre, les professeurs Taieb Hafsi et Mohamed Lachemi auxquels ont doit la magistrale préface de ce livre, « il faut retenir trois choses fondamentales que cet ouvrage offre aux lecteurs et aux personnes désireuses d’aider l’Algérie à survivre aux désastres du passé récent. D’abord, on ne peut pas construire un pays dont la population a besoin de liberté, avec un système étatique centralisé. L’étatisme et la centralisation sont destructeurs pour tous les pays, mais en particulier pour l’Algérie ». Un système ouvert, ajoutent-ils redonnerait la main aux Algériens et il bénéficierait de leur créativité, voire de leur génie ». L’ouverture ne signifie pas seulement l’ouverture politique. Elle doit être multidimensionnelle et toucher tous les secteurs de la vie nationale, en particulier l’économie. Les entreprises sont le moteur de toute économie. Les contraindre, c’est saboter l’émancipation du pays et sa véritable libération. Ensuite, la connaissance est cruciale pour l’émergence et la survie. Les Algériens ont bénéficié d’un système d’éducation imparfait mais qui leur a donné le goût de la réussite. L’ouverture à la connaissance permettra de rattraper le retard. En particulier, le domaine financier tant crucial pour la vie économique et la création d’un marché financier national puissant et profond.
Finalement, il est crucial que les algériens ne cèdent pas à la facilité ou à la peur, mais devront plutôt laisser parler les qualités qui leur ont permis de sortir de la nuit coloniale, de transformer la malveillance en bienveillance, de mettre le travail au cœur des réalisations humaines, de faire confiance à la science et de donner la main aux jeunes pour préparer le futur. Rien ne changera en Algérie sans que les gens ne fassent un travail sur eux-mêmes, participent à l’avènement du changement et les responsables à tous les niveaux ne respectent les principes de bonne gouvernance qui sont la transparence, la reddition des comptes et le respect des contre-pouvoir, concluent les brillants professeurs Hafsi et Lachemi.
Lachemi SIAGH a tenu à préciser que son livre est le condensé éclectique de plus de quarante années d’expériences acquises en Algérie et dans une dizaine de pays différents sur quatre continents, dans les domaines de la stratégie de la finance et des affaires, au sein de grandes organisations évoluant dans systèmes politiques différents. « C’est un legs à la jeunesse algérienne, aux forces vives du Hirak et de la nation qui peuvent s’en inspirer pour construire une alternative viable au système actuel qui a vécu », conclut-il, à l’adresse de ceux qui seront sans doute nombreux â lire et s’inspirer de cette contribution intellectuelle, personnellement je juge utile et importante.
Préface de :
Pr Taieb Hafsi : Titulaire de la chaire de management Stratégie et Société, HEC Montréal et membre de la Société royale du Canada.
Pr Mohamed Lachemi : Recteur et Vice-chancelier de l’Université Ryerson, Toronto