Le département d’Etat américain a publié le 30 mars dernier son rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde dont l’Algérie. Dans ce long rapport qui couvre la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2020, le département américain est revenu sur toutes les violations des droits humains commises en Algérie l’année dernière.
Ainsi, selon le rapport, les principaux problèmes relatifs aux droits de l’homme comprenaient : « la détention arbitraire; prisonniers politiques; manque d’indépendance et d’impartialité de la justice; ingérence illégale dans la vie privée; de graves restrictions à la liberté d’expression et de la presse, y compris les lois pénales sur la diffamation, les arrestations de journalistes et le blocage de sites », lit-on dans le rapport.
Et de poursuivre : « ingérence substantielle dans les libertés de réunion et d’association pacifiques; le refoulement de réfugiés vers un pays où ils seraient menacés pour leur vie ou leur liberté; la corruption; absence d’enquête et de responsabilité pour la violence à l’égard des femmes; traite des personnes; criminalisation des relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe; des restrictions importantes à la liberté d’association des travailleurs; et les pires formes de travail des enfants. »
« Le gouvernement a pris des mesures pour enquêter, poursuivre ou punir les agents publics qui ont commis des violations, en particulier la corruption. L’impunité de la police et des agents de sécurité restait un problème, mais le gouvernement a fourni des informations sur les mesures prises contre les responsables accusés d’actes répréhensibles », souligne le rapport.
Dans le chapitre sur les conditions de détention, le département d’Etat américain a indiqué : » Il y a eu des signalements importants d’abus psychologiques et physiques dans les centres de détention qui ont soulevé des problèmes de droits de l’homme. Les avocats et militants des droits de l’homme ont exprimé leur inquiétude quant à la gestion du COVID-19 dans les prisons. »
Dans le document, il est souligné le recours excessif à la détention provisoire par la justice algérienne. « La loi interdit les arrestations et détentions arbitraires. Un détenu a le droit de faire appel de l’ordonnance de mise en détention provisoire d’un tribunal et, s’il est libéré, de demander réparation au gouvernement. Néanmoins, la surutilisation de la détention provisoire demeure un problème. Une augmentation de la détention provisoire a coïncidé avec le début du mouvement de protestation populaire en février 2019. (…) Les forces de sécurité arrêtaient régulièrement des personnes qui participaient à des manifestations non autorisées. Les personnes arrêtées ont déclaré que les autorités les avaient détenues pendant quatre à huit heures avant de les relâcher sans inculpation », indique le rapport du département américain.
Le rapport relève : « Bien que la loi interdise les arrestations et détentions arbitraires, les autorités ont utilisé des dispositions vaguement formulées telles que »inciter à attroupement non armé » et »outrage à corps constitué » pour arrêter et détenir des individus considérés comme troublant l’ordre public ou critiquant le gouvernement. »
« Selon le CNLD (Comité national pour la libération des détenus, ndlr), 61 prisonniers politiques associés au mouvement de protestation Hirak étaient détenus par le gouvernement. Ils comprenaient des journalistes, des militants, des avocats, des personnalités de l’opposition et des manifestants du Hirak », a indiqué le département d’Etat américain dans son rapport, en rappelant : « Le 10 juillet, le général à la retraite et ancien candidat présidentiel Ali Ghediri a entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention. Le gouvernement a arrêté Ghediri en juin 2019 pour »atteinte au moral de l’armée » et l’a emprisonné pour trahison et espionnage. Le 29 juillet, la chambre d’accusation du tribunal d’Alger a abandonné les accusations d’espionnage. Ghediri a affirmé que ses 13 mois de prison avaient été »un confinement politique pour l’éloigner de la scène politique et de l’élection présidentielle ». » Le rapport a également rappelé les poursuites contre la militante Amira Bouraoui et les militants Slimane Hamitouche et Samir Belarbi.
Dans le chapitre consacré à la liberté d’expression dont la liberté de la presse, le rapport a rappelé que la constitution algérienne prévoit la liberté d’expression et de presse, mais le gouvernement a parfois restreint ces droits. « Alors que le débat public et la critique du gouvernement étaient répandus, les journalistes et les militants étaient limités dans leur capacité à critiquer le gouvernement sur des sujets franchissant des »lignes rouges » non définies », indique le document, qui ajoute : « Les autorités ont arrêté et détenu des citoyens pour avoir exprimé des opinions jugées préjudiciables aux fonctionnaires et institutions de l’État, y compris l’utilisation du drapeau berbère lors des manifestations (…). »
Citant les cas d’arrestations et d’emprisonnement du journaliste Khaled Drareni, du poète du Hirak Mohamed Tadjadit, l’activiste Issam Sayeh et de Walid Kechida, le département américain a noté que « les autorités ont soumis certains journalistes au harcèlement et à l’intimidation. »
« Les journalistes ont rapporté que les poursuites sélectives servaient de mécanisme d’intimidation. Selon Reporters sans frontières, le gouvernement a intimidé des militants et des journalistes. Les actions du gouvernement comprenaient le harcèlement de certains critiques, l’application arbitraire de lois vaguement rédigées et des pressions informelles sur les éditeurs, les rédacteurs en chef, les annonceurs et les journalistes », a précisé la diplomatie américaine, qui a rappelé : « le 19 août, les autorités ont arrêté le correspondant de France 24 Moncef Ait Kaci et le cameraman Ramdane Rahmouni. La gendarmerie avait convoqué Ait Kaci en novembre 2019 et en février. Ait Kaci n’a pas fourni les raisons des arrestations ou de la convocation, mais a nié qu’elles étaient liées à ses articles. »
Le même rapport a souligné que « certains grands médias ont fait face à des représailles directes et indirectes pour avoir critiqué le gouvernement. » « Les organes de presse font état d’une plus grande prudence avant de publier des articles critiquant le gouvernement ou des responsables gouvernementaux par crainte de perdre des revenus de l’ANEP », est-il noté dans le même document, qui a évoqué le blocages de nombreux sites d’information en ligne.
Le département d’Etat américain a également souligné dans son rapport le contrôle d’Internet par les autorités algériennes. « Les internautes ont régulièrement exercé leur droit à la libre expression et à l’association en ligne, notamment via des forums en ligne, les réseaux sociaux et les e-mails. Les militants ont rapporté que certaines publications sur les réseaux sociaux pouvaient entraîner des arrestations et des interrogatoires; les observateurs ont largement compris que les services de renseignement surveillaient de près les activités des militants politiques et des droits de l’homme sur les sites de médias sociaux, y compris Facebook », lit-on encore dans le rapport.
« Il y a eu quelques perturbations de la communication avant les manifestations antigouvernementales prévues au cours de l’année, à savoir les coupures d’Internet, le blocage de l’accès à certains sites d’actualité en ligne et plateformes de médias sociaux, et la restriction ou la censure du contenu. En mars, certaines régions du pays ont continué de subir des pannes d’Internet lors des manifestations du Hirak », est-il relevé dans le même rapport.
Concernant la lutte contre la corruption, le département d’Etat américain a relevé dans son rapport que les autorités ont poursuivi l’année dernière leur campagne de lutte contre la corruption notamment contre les responsables politiques, militaires et de sécurité, ainsi que des chefs d’entreprise de l’ère Bouteflika.
« La loi prévoit des sanctions pénales de deux à 10 ans de prison pour corruption officielle, mais le gouvernement n’a pas pleinement mis en œuvre la loi. Bien que l’administration de Tebboune ait mis l’accent sur l’éradication de la corruption, cela restait un problème, et les fonctionnaires se sont parfois livrés à des pratiques de corruption en toute impunité », est-il souligné dans le document qui a rappelé les condamnations des deux anciens Premiers ministre Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, l’homme d’affaires Ali Haddad et de l’ex-DGSN, Abdelghani Hamel.