Selon une estimation du ministère de l’Industrie et des Mines datant de 2016 mais toujours d’actualité, l’Algérie a un besoin incompressible de 400.000 véhicules par an, au risque de provoquer une pénurie qui affecterait, non seulement, le train de vie des citoyens, mais un certain nombre de rouages de l’économie.
Jusqu’en 2018, les importations complétées par environ 200.000 véhicules sortis des usines de montage en activité notamment à l’ouest du pays, parvenaient à satisfaire honorablement cette demande. L’Algérie consacrait annuellement entre 2 et 2,5 milliards de dollars à l’importation de véhicules neufs, mais les usines de montage rentrées en production à partir de 2017, ont pu réduire la facture d’environ 400 millions de dollars, ce qui peut être considéré comme un bon début.
Cette louable dynamique sera malheureusement stoppée nette, en 2019 avec la chute du clan d’Abdelaziz Bouteflika qui entraîna avec lui celle de pratiquement tous les oligarques qui possédaient des usines de montage d’automobiles. Ils seront tous incarcérés et condamnés à de lourdes peines pour des faits de corruption. Faute de mesure de sauvegarde, leurs usines ont été subitement frappées de paralysie et plus aucun véhicule, n’est sorti de cette dizaine d’usines qui venait à peine d’entrer en activité. Durant pratiquement une année, la Justice ne s’est préoccupée que de l’inculpation de ces oligarques sans jamais penser à épargner à leurs usines les conséquences néfastes des actions judiciaires.
Un administrateur judiciaire a certes été désigné une année après, pour gérer provisoirement les biens des oligarques déchus, mais n’étant généralement pas du métier, leur gestion ne pouvait être que désastreuse telle que les travailleurs qui peinent à encaisser régulièrement leurs salaires et à produire faute de matières premières, le confirment.
Aucun de ces administrateurs n’a en effet été capable, d’impulser une nouvelle dynamique à ces usines à l’arrêt faute de disponibilités financières et soumises aux blocages multiformes de la machine judiciaire. Bien au contraire, ils ont bureaucratisé la gestion à l’extrême, étouffant ainsi ces embryons d’industries de montage automobile.
Il est vrai que leurs marges d’action étaient réduites du fait que les comptes des entreprises concernées avaient été longtemps bloqués et les cadres des usines souvent convoqués par les tribunaux. L’importation de kits et pièces de rechange était également stoppée depuis un peu plus d’une année. De ce fait, les usines ne pouvaient que sombrer dans l’inactivité.
Plus grave encore, non content d’avoir tué dans l’œuf cette industrie à peine naissante, le gouvernement algérien a entrepris de bloquer les concessionnaires qui se contentaient seulement d’importer des véhicules neufs.
Les quotas qui leur étaient accordés annuellement leurs sont subitement refusés, sans explication aucune, en 2018, mettant dans l’embarras ces sociétés qui ne savaient pas si elles devaient continuer leurs activités avec l’espoir d’un prochain quota ou fermer boutique, en procédant au licenciement de leurs employés.
Le résultat de cette attitude inqualifiable du gouvernement est qu’aucun véhicule neuf n’a été mis sur le marché par ce canal depuis environ trois années consécutives. Ce même gouvernement avait fait miroiter aux algériens la possibilité d’importer directement des véhicules de moins de trois années d’âge, mais là aussi, les autorités ne tiendront pas cette promesse pourtant annoncée à grand renfort médiatique.
La pénurie de véhicules engendrée par toutes ces maladresses de gouvernance au plus haut sommet de l’Etat, commence déjà à se ressentir par de subites hausses des prix des véhicules d’occasion et de la difficulté à trouver un véhicule récent en dehors des licences d’importation accordées aux anciens moudjahidines. La pénurie de pièces de rechange commence également à poindre au point où de nombreux automobilistes se rabattent sur le marché de l’occasion.
Les usines, les points de vente et les administrations des concessionnaires automobiles ont dû licencier l’écrasante majorité de leurs personnels et le gouvernement, qui a passé plus d’une année à réfléchir en vain sur le cahier des charges qui réglementerait les activités de montage et d’importation de véhicules, ne semble pas du tout s’inquiéter de ce marasme, qui a porté un coup fatal à l’industrie du montage automobile dont on commençait pourtant à palper concrètement les résultats avec la mise en vente de diverses marques de voitures montées en Algérie.
Eu égard aux persistantes tergiversations du gouvernement et, notamment, du ministre de l’industrie, qui n’arrive toujours pas à fixer une feuille de route claire à ce secteur névralgique, on se pose la question de savoir si l’arrière pensée n’est pas de laisser les algériens se débrouiller seuls pour importer eux-mêmes leurs véhicules, l’Etat n’ayant pas les moyens de dépenser chaque année 2 milliards de dollars pour importer les 400.000 véhicules dont ont besoin les algériens.
Si c’est bien l’arrière pensée du gouvernement, son application ne manquera pas de poser problème, car pour pouvoir importer eux-mêmes leurs véhicules, les algériens n’auront d’autres solutions que de s’adresser au marché parallèle de la devise, pour échanger leurs dinars contre des euros ou des dollars. Si tel sera le cas, la pression qui sera exercée sur ce marché par des centaines de milliers d’acheteurs potentiels de véhicules, fera flamber les cours de la devise à tel point qu’ils atteindront des sommets insoupçonnés. Les répercussions sur les indicateurs macroéconomiques (parité du dinar, inflation) seront telles que l’Algérie pourrait sombrer dans un désastre économique comparable à celui du Venezuela.